Grand entretien Sangoku, Liverpool, Bleus, humilité... Rencontre avec Ibrahima Konaté, défenseur central de l'équipe de France

Le défenseur de l’équipe de France et de Liverpool Ibrahima Konaté a accordé un entretien exclusif à la direction des sports de Radio France.
Article rédigé par Julien Froment
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Ibrahima Konaté, le défenseur central de l'équipe de France et de Liverpool, au micro de franceinfo en mars 2024. (XAVIER MONFERRAN / RADIOFRANCE)

"Il n’y a pas d’électricité à Clairefontaine, faut payer les factures, en plus on a EDF en sponsor !" Il n'y a peut-être pas de lumière dans la salle d’entretien, mais un rire, solaire, irradie la pièce. Ibrahima Konaté, 24 ans et 1 m 94, prend beaucoup de place avec sa bonne humeur permanente. Il s'est confié pour FranceInfo pendant une vingtaine de minutes.

À l’aise dans l'exercice, même s'il préfère l'ombre à la lumière, le joueur s'est montré affable, drôle, et d’une sincérité rare dans le football. "Ibou" Konaté est revenu sur les valeurs inculquées par ses parents, à sa passion débordante pour le manga japonais, Dragon Ball Z, ou encore ses modèles quand il était plus jeune. Entretien XXL avec le défenseur central de Liverpool, devenu l'un des nouveaux cadres des Bleus.

Franceinfo : Ibrahima Konaté, plutôt Paris FC ou FC Sochaux ?

Ibrahima Konaté : Wow, c’est quoi ces questions ? (Rires)

Sochaux, c’est là où vous avez appris à devenir footballeur. Est-ce qu’il y a des valeurs, des conseils que vous avez appris là-bas et que vous appliquez toujours ?

Quand je vois que je suis surclassé avec les U19, et je me disais : "Un jour, si je suis surclassé, c’est que je suis trop fort" (rires). Quand je suis arrivé au centre de formation, je n’ai jamais pensé être surclassé. Là, je me suis dit avec beaucoup d’humilité que j’allais devenir pro.

Qu’est-ce que vous gardez de vos années à Sochaux ?

C’est en dehors du football, mais c’est la fraternité. Ce qui m’a permis de m’épanouir à Sochaux, c’est la fraternité, essayer de créer cette colonie longue durée pour prendre du plaisir ensemble. Pour ne pas avoir à se dire : 'Le centre de formation, c’est dur.' En vérité, ce sont mes meilleurs souvenirs d’enfance, même si je n’en ai pas beaucoup car j’étais au centre de formation. Les trois ans vécus là-bas étaient magnifiques.

Plutôt Ronaldo ou plutôt Paulo Maldini ?

Ronaldo, le Brésilien, clairement, on ne peut pas me l’enlever lui. Contre n’importe quel autre joueur, je le choisis lui, direct (sourires). C’est lui qui m’a fait aimer le football. Je jouais avant, pour faire passer le temps. Un jour, avec un ami de mon frère qui s’appelle Clément, on parlait de foot et il me demande si je connais Ronaldo. Je lui dis que non et là il me montre des vidéos de lui.

"C’était comme si je voyais de l’art, de la magie. Cela me fascinait. Je me demandais comment Ronaldo faisait ces trucs avec ses pieds J’ai ensuite regardé toutes ses vidéos et mon seul objectif, c’était de refaire les gestes au quartier."

Ibrahima Konaté

à FranceInfo

Donc la virgule [prendre le ballon de la partie extérieure du pied puis le rabattre avec l’intérieur du même pied], vous maîtrisez ?

Dans mon quartier, le nombre de virgules et de petits ponts (rires) ! Même au centre de formation à Sochaux, vous pouvez demander à n’importe quel joueur, la virgule, c’était trop.

Comment on passe de la virgule à la défense ?

Quand j’étais au Paris FC, j’avais un coach qui aimait bien me mettre défenseur. Moi, je n’aimais pas. On se prenait parfois la tête sur le sujet. Une fois, mon grand frère l’a même appelé car je n’étais pas épanoui. J’avais déjà signé au centre de formation de Sochaux. Mais il me faisait jouer à ce poste-là pour son intérêt. Je ne l’acceptais pas. Quand je suis arrivé à Sochaux, l’entraîneur Christian Walgenwitz m’a mis aussi en défense centrale. Je lui ai dit que mon poste c'était milieu de terrain, il l’a pris en considération, ça m’a fait plaisir.

Je me souviens, lors d’un match il me dit : "Allez, joue milieu de terrain." Et après la rencontre, les gens m’appelaient Pogba, Yaya Touré (rires). C’était rare, lors de mes deux premières saisons, que je joue défenseur central. J’étais plus milieu de terrain, je faisais des trucs de fou. Quand je suis allé en pro, j’ai joué défenseur et je ne pouvais pas me plaindre. Tu pouvais même me mettre au goal, j’aurais joué. Eric Hely me disait : "Tu vas finir défenseur central, tu es bon techniquement, tu es souvent dos au jeu. Quand tu seras face au jeu, ce sera très facile pour toi. Tu vas finir défenseur central."

"Van Dijk, c'est exceptionnel"

Plutôt petit pont ou tacle ?

Aujourd’hui, c’est tacle, mille fois.

C’est quoi un bon défenseur pour vous ?

Quand tes coéquipiers ont confiance en toi, là tu es un bon défenseur. S’ils sont hésitants, c’est qu’il y a encore des choses à peaufiner. Après, on peut toujours s’améliorer, mais si tes collègues te voient jouer sereinement et qu’ils te laissent tout seul – ce n’est pas bien (rires) – ça fait plaisir. Mes coéquipiers me le disent, mais je leur dis de ne pas abuser, je ne suis pas parfait (sourires) !

Vous avez des modèles ? Virgil van Dijk, votre coéquipier à Liverpool ?

Je ne regarde pas tellement le foot, mais dans une interview j’avais dit Sergio Ramos. C’était le numéro 1, puis ensuite Virgil van Dijk. Mais je n’avais pas conscience en fait. Quand j’ai joué avec lui, la première fois, je me suis dit que j’étais fou (rires). Il a une facilité, que ce soit techniquement ou défensivement, pfff, c’est exceptionnel. Mais je prends un peu des deux pour être une version "assemblée"…. La fusion quoi ! (rires). À l’époque, j’arrive sur la pointe des pieds de Leipzig. J’arrive avec la détermination, mais je me dis que ça ne va pas être facile. Je viens avec ma mentalité de mec de quartier, de Parisien capable de surmonter l’Everest. Mais Virgil a été un soutien positif, aux entraînements déjà j’apprends beaucoup de lui. Il me donne beaucoup de conseils, et ils sont précieux.

Ibrahima Konaté, le défenseur central de l'équipe de France et de Liverpool, au micro de franceinfo en mars 2024. (XAVIER MONFERRAN / RADIOFRANCE)

"Avant les matchs, je mets des combats de DBZ" 

Plutôt Sangoku ou plutôt Vegeta ?

Sangoku ! C’est trop un rageux Vegeta (rires). D’ailleurs paix à son âme à Akira Toryama [auteur du manga Dragon Ball Z et décédé le 1er mars] et merci pour toutes ces émotions qu’il nous a procurées. 

Des fois quand je regarde les mangas, mes coéquipiers de Liverpool me disent : "Ibou tu es trop grand pour regarder ça". Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que le manga, ce n’est pas qu’un plaisir visuel, ça m’inspire au quotidien.

"La mentalité par exemple d’un Vegeta, travailler pour être meilleur que le meilleur, c’est quelque chose qui me motive. Des fois, tu vas faire un entraînement, tu vas penser à lui et ça va te booster. C’est une inspiration au quotidien."

Ibrahima Konaté

à FranceInfo

On a l’impression que les mangas sont considérés, à l’image du rap, comme de la sous-culture ?

Mais il y a de vrais messages ! Parfois, avant certains matchs, je mets des scènes de combat (rires) et ça me met une détermination.

Plutôt célébrité ou discrétion ?

La discrétion. Je n’aime pas trop la lumière. Je sais que je n’ai pas le choix et que cela fait partie de l’envers du décor, on doit l’accepter.

Quel rôle joue votre famille pour que vous gardiez les pieds sur terre ?

Il y a plusieurs points qui me permettent de garder les pieds sur terre et j’espère que ça va continuer ainsi. Le premier point, c’est la religion. Cela nous apprend à être humble, ce que l’on a aujourd’hui, on peut ne pas l’avoir demain. Il faut être humble avec tout le monde et ce n’est pas une fin en soi tout ce qui peut nous arriver. Il y a ensuite l’éducation des parents, de la famille. C’est un point très, très important.

Je suis vraiment fan de mon père, car sa mission, c’était que ses enfants aient une bonne éducation, qu’ils soient bien élevés, qu’ils respectent tout le monde, le riche, le pauvre, le sans-abri, n’importe. Mais qu’on respecte tout le monde. Aujourd’hui, j’ai ces valeurs ancrées en moi et j’espère pouvoir les transmettre à mon tour à mes enfants.

Le départ de Klopp de Liverpool ? "Tout le monde appréhende"

Plutôt Jürgen Klopp ou Didier Deschamps ?

(Il éclate de rire). Cette question, je ne peux vraiment pas y répondre !

Comment vous avez accepté son départ à la fin de la saison, dur à encaisser ?

C’est un des piliers du club. J’ai été très surpris, mais quand on l’écoute, quand on comprend pourquoi il prend cette décision, on ne peut que le remercier.

Cela remet en cause votre engagement à Liverpool ?

Liverpool, c’est Liverpool. C’est Klopp qui est venu me chercher et qui m’a fait monter au niveau auquel je suis aujourd’hui. Cela restera toujours un club mythique, exceptionnel. Tout le monde appréhende, chaque joueur est conscient de ça. Quel sera le nouveau coach, est-ce que ça va bien passer, à titre collectif et individuel ? Car demain un nouveau coach arrive mais pour des raisons personnelles, il peut ne pas nous aimer. Et tu ne peux pas rester au club car tu as ta carrière, tu as tes plaisirs. Après, il n’y a pas vraiment trop d’inquiétude à ce niveau-là. Liverpool va faire le travail et moi avec ce que je fais sur le terrain aujourd’hui, il n’y a pas de raison pour que cela ne fonctionne pas.

Vous êtes à Liverpool depuis trois saisons. En quoi ce club est spécial ?

Je n’ai même pas les mots pour le décrire, c’est un club de "fou malade", désolé pour les termes que j’emploie (rires). Avant d’arriver, je le savais, mais en jouant pour ce club-là, c’est un club historique. En toute honnêteté, jamais de ma vie je me suis dit qu’à 21 ans, j’allais signer à Liverpool. Si j’avais eu un plan de carrière, ça aurait été de jouer à Sochaux, puis dans un autre club, mais une écurie comme Liverpool, pas avant 27-28 ans… J’ai signé à 21 ans, exceptionnel (rires). Que ce soit les fans, les matchs, Anfield, You’ll never walk alone…

La première fois que vous avez entendu l’hymne de Liverpool ?

Je rigolais bêtement sur le terrain et j’essayais de me cacher car j’avais peur que les gens me prennent pour un fou. Les émotions que cela procure… Tous les joueurs ici en équipe de France qui ont pu jouer là-bas vous le diront, c’est un truc de malade.

Vous allez peut-être croiser l'OM en demi-finales de la Ligue Europa [Liverpool affronte l'Atalanta Bergame, l'OM est opposé au Benfica Lisbonne] ?

J'ai envie de jouer contre l'OM ! On a déjà joué contre un club français, Toulouse. Et j'avais été agréablement surpris, mes coéquipiers pensaient même que j'avais joué là-bas.

Au Vélodrome, ça ne sera pas le même accueil...

Ce n'est pas grave! (Eclate de rire) J'ai des amis marseillais, que ce soit des joueurs ou des fans. Et même s'il y a des insultes, ça fait partie du show. Mais c'est surtout que j'ai déjà joué là-bas en Ligue Europa avec Leipzig [défaite 5-2 en quarts de finale retour], et c'était une ambiance magnifique et j'ai envie de le revivre.

Plutôt champion du monde ou champion d’Europe ?

J’ai joué les deux finales et je les ai perdues… (Rires). Mais champion du monde. C’est la finale qui m’a fait le plus de mal. Je me suis rendu compte que je n’aurais peut-être plus la chance de la rejouer. Ou dans quatre ans, mais il peut se passer beaucoup de choses. Alors que la Ligue des champions, chaque année on peut avoir l’opportunité de la gagner.

Vous êtes devenu un titulaire indiscutable chez les Bleus, ça fait quoi ?

Il y a quelques mois, je n’aurais pas dit que je suis un cadre. Là, je prends le chemin pour le devenir. Il y a une concurrence extrême à ce poste, mais ça me fait plaisir car elle est saine. À part peut-être William Saliba [le défenseur d'Arsenal, à la lutte avec Liverpool pour être champion], je ne veux pas qu’il gagne le titre (éclate de rire). Quand je les vois, je me dis que je dois être meilleur et ça me permet de mettre la barre haute et de toujours travailler. J’ai eu la chance d’être titulaire la plupart du temps quand j’étais là, mais ce n’est pas une fin en soi. C’est comme au karting : quand on est tout devant, c’est plus difficile quand les gens courent derrière. Le plus important, c’est quand le collectif gagne, fait de bonnes performances.

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