Cet article date de plus de douze ans.

Furiani, in memoriam

18 morts, 2357 blessés. Le 5 mai 1992, alors que les amoureux du football se préparaient à vivre un moment de fête à l'occasion de la demi-finale de Coupe de France opposant le grand Olympique de Marseille de l'époque à la formation du Sporting Club de Bastia, la tribune principale du stade Armand-Cesari cédait sous le poids des spectateurs. C'était il y a 20 ans.
Article rédigé par Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
La stèle commémorative

A l'heure où le club corse vient de décrocher son ticket pour la Ligue 1, ce samedi 5 mai marque un bien triste anniversaire, celui des 20 ans de la catastrophe dite de Furiani. Qui ne se rappelle pas de cette maudite journée, lorsqu'à dix minutes du coup d'envoi, le pire est survenu. La tribune provisoire de plus de 10.000 places, érigée au mépris des règles de sécurité s'effondrait, tuant 18 personnes et en blessant plus de 2300. Aujourd'hui, le drame est encore bien présent dans les esprits, et dans la chair de certaines victimes, à l'instar de Paul Calassi. Paraplégique depuis le ce fameux 5 mai, M. Calassi se bat "pour ne pas que l'on oublie ce que la connerie des hommes peut faire pour le fric". Assis tout en haut du château de cartes, M. Calassi a fait une chute de 17 mètres. Après trois semaines dans le service de réanimation, puis huit mois de rééducation, c'est une nouvelle vie qui a débuté, avec toutes les contraintes que son nouveau corps lui imposent. Il aura attendu dix ans avant de retourner voir un match, mais se dit incapable de retourner en tribune. Comme toutes les autres victimes, il réclame toujours que le football français se souvienne à jamais de cette tragédie en interdisant la programmation de rencontres de football ce jour-là. Une promesse qui avait pourtant été faite à l'époque par le Président de la République, François Mitterrand, et qui reste toujours lettre morte, à l'exception de ce week-end marquant les 20 ans de l'événément. Si la Fédération française de football a bien avancé d'une semaine la finale de la Coupe de France prévue le 5 mai, il serait de bon ton d'aller plus loin et de s'inspirer de nos voisins anglais, qui ne disputent plus le moindre match les 15 avril et 29 mai, depuis les tragédies d'Hillsborough et du Heysel.

Un devoir de mémoire

Avant même l'effondrement de la tribune, l'atmosphère était déjà électrique. Des supporteurs corses et marseillais s'échangeaient quelques noms d'oiseaux, des incidents étaient déjà à déplorer du côté de la tribune sud abritant les fans de l'OM. Et en quelques secondes, le pire est arrivé. Les chants des supporteurs sont aussitôt remplacés par des cris de souffrance et d'effroi. L’échafaudage haut de près de 20 mètres et qui accueillait 10.000 places, est par terre. Les joueurs qui s'échauffaient viennent au secours des personnes prisonnières de cet enchevêtrement de tubes métalliques. Les commentateurs assistent impuissants au drame qui se déroule sous leurs yeux. Le temps s'est arrêté, on a du mal à réaliser ce qu'il s'est passé. On compte les morts sur le terrain de football devenu un vrai champ de bataille, mais où le seul ennemi était un édifice de tubes métalliques, et de planches en bois. Et déjà, dès les premiers instants de la tragédie, certains dénoncent. Il n'avait pas échappé aux observateurs qu'une telle tribune ne pouvait pas se monter aussi rapidement (à peine deux semaines) sans que les normes de sécurité soient négligées. Selon l'enquête réalisée peu après, il est avéré que des matériaux n'avaient pas lieu d'être utilisés dans une telle infrastructure. Et ce sont pourtant bien les plus hautes autorités -malgré les avis défavorables du capitaine des pompiers- qui ont validé la sécurité de l'édifice. Le responsable des pompiers aura d'ailleurs été curieusement envoyé en mission au moment de la dernière réunion de sécurité... Les piliers soutenant deux structures distinctes, reposaient sur de simples parpaings, ou des planches de bois.

Furiani, 20 ans
Avec des récits de victimes, ou de familles de victimes qui sont soit dans le souvenir, soit toujours dans l'incompréhension, l'ouvrage collectif "Furiani, 20 ans" est une manière d'exorciser ce drame survenu il y a tout juste deux décennies. Il s'agit d'un livre à but caritatif, réalisé sous l'égide de l'UJSF Provence, et dont les bénéfices sont destinés à offrir des lits d'enfants médicalisés aux hôpitaux de Corse et de Marseille, qui avaient à l'époque accueilli les victimes.
www.furiani20ans-lelivre.fr

A ce jour, seul l'ingénieur de la société continentale qui a installé la tribune a été condamné à une peine de prison ferme, pour homicides et blessures involontaires. Certains s'étaient probablement fait justice eux-mêmes, en assassinant le président du SCB, Jean-François Filippi. Lui qui avait passé commande de la tribune avait été tué une semaine avant le procès... Sans parler de la double billetterie mise en place et les malversations financières (la recette officielle était deux fois plus importante que celle déclarée), et alors que le club corse accusait un déficit de six millions de francs, un sentiment d'injustice perdure. "Nous pensions que la justice passerait, mais personne n'a assumé ses responsabilités. Les victimes ont été oubliées. Tout ça pour du fric, c'est indécent", estime Mme Vanina Guidicelli, épouse du journaliste Pierre-Jean Guidicelli, décédé des suites de ses blessures.

Rien n'a changé

Ils sont encore très nombreux à retourner au stade depuis la catastrophe. De Bastia à Furiani, une seule route d'une petite dizaine de kilomètres et longeant la côte permet d'y accéder. En arrivant aux abords du stade, une stèle se dresse à l'entrée, portant les noms des 18 morts. Mais aujourd'hui, un sentiment d'incompréhension, de colère perdure. Car si la volonté de reconstruire un stade à Furiani était bien présente, dans les faits, c'est une autre affaire. Il suffit de faire le tour du Stade, pour se rendre compte de l'état lamentable du stade. Pourtant, plusieurs dizaines de millions d'euros ont bien été investis depuis la tragédie, pour redonner aux supporteurs du Sporting un stade décent. Aujourd'hui, le Stade Armand-Cesari reste inachevé, et ressemble dans ses alentours plus à un stade des pays du Tiers-monde qu'à un stade d'une équipe censée jouer dans l'élite du football tricolore. Encore une fois, les promesses n'ont pas été tenues, l'attrait de l'argent a pris le dessus sur la morale, les grands discours ont fait place au vide, celui-là même qui avait brisé des milliers de vie le 5 mai 1992.

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