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DECRYPTAGE. Comment expliquer la saison agitée en tribunes ? Quelles leçons en tirer ? Table ronde entre acteurs du supportérisme

Spectaculaire et indécise sur les terrains, la saison 2021-2022 de Ligue 1 a été émaillée de nombreux incidents impliquant les supporters. À l’heure du bilan, franceinfo: sport a réuni plusieurs spécialistes du sujet pour décrypter, à froid, cette flambée de tensions.

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
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Des supporters de l'Olympique de Marseille avant le match contre Galatasaray, le 30 septembre 2021. (BURAK AKBULUT / ANADOLU AGENCY)

Sur les terrains, on vient d’assister à un championnat hors norme. Du spectacle, des équipes joueuses, du suspense à tous les étages… Tous les ingrédients ont été réunis pour accoucher d’une saison exceptionnelle. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas en tribunes. Avec une multiplication des incidents liés les supporters, l’exercice 2021-2022 restera dans les mémoires.

Pour dresser le bilan de cette année, franceinfo: sport a réuni plusieurs acteurs proches du monde des tribunes : Kilian Valentin, porte-parole de l’Association nationale des supporters (ANS), maître Pierre Barthélémy, avocat de l’ANS, Jacques Cardoze, directeur de la communication de l’OM, Sacha Houlié, député de la Vienne et Marie-George Buffet, députée de la Seine-Saint-Denis et ancienne ministre des Sports, auteurs d’un rapport d’information sur le supportérisme en France en 2020. Si tous s'accordent pour évoquer leur surprise par rapport à cette saison agitée et le goût "amer" qu'elle laisse, ils ont chacun leur analyse du problème. Table ronde.

L'analyse des multiples débordements

Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports: "Je pense que le sport est tout simplement traversé par les dérives de la société : un regain d’exaspération, de la violence, la montée des thèses d’extrême droite dans notre pays." 
Pierre Barthélémy (avocat de l’Association nationale des supporters) : "On en a beaucoup parlé avec des sociologues experts du sujet, qui sont arrivés à la conclusion que les tribunes ne sont pas une représentation de la société. On y retrouve la diversité de la société oui, mais pas la symétrie des tensions sociales qui animent le débat public."
Kilian Valentin (porte-parole de l’Association nationale des supporters): "L’excitation du retour en tribunes a sans doute joué. L’autre point, c’est tout le système organisationnel autour d’un match de football, qui demande un réajustement. La ministre a évoqué les stadiers, mais aujourd’hui ce problème n’est toujours pas réglé. Il y a toujours ce problème de formation et de rémunération de stadiers. C’est un point central."
Jacques Cardoze (directeur de la communication de l'OM) : "C’est un faux problème. Les stadiers font bien leur travail. Il n’y a pas de relation de cause à effet directe. En revanche, ils sont trop peu payés, oui. Mieux les payer permettrait de mieux embaucher et mieux encadrer. Ce métier n’est pas assez valorisé alors qu’il est essentiel dans le dispositif d’un match aujourd’hui."

La gestion par les institutions 

Sacha Houlié (député de la Vienne) : "On n’a pas vu assez d’anticipation dans la gestion des matchs, la DNLH [Direction nationale de lutte contre le hooliganisme] absente, les préfets n’organisaient pas de réunions avec les supporters. Or, si on réunit les supporters avant le match, avec le référent supporters, le club, les pouvoirs publics, ça marche. Mais cette année, l’INS a été complètement occultée. Pourtant, c’est une instance consultative idéale, puisqu’elle rassemble toutes les parties prenantes."  
Kilian Valentin (porte-parole de l’ANS) : "C’est un problème d’intérêt et de connaissance au ministère des Sports."
Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports: "Il n’y avait pas de volonté politique de s’occuper du sport pendant tout ce temps. Le sport a été complètement absent de la campagne présidentielle. Aujourd’hui quand on est ministre des Sports, on va se balader dans les tribunes présidentielles et le reste du temps, on ne s’en occupe pas. C’est une erreur parce que le sport est un vecteur très puissant dans la société : si on banalise la violence, le racisme, les discriminations dans le sport, ça entraîne les mêmes faits dans le reste de la société."

La promesse d'individualiser les sanctions

Pierre Barthélémy (avocat de l’ANS) : "Quand le gouvernement parle de ça en décembre, il est sincère. À ce moment-là, il a dialogué avec la LFP et les personnes qui suivent ces sujets. Il a alors compris que les mesures collectives n’ont jamais rien amélioré. Mais ensuite, comme les incidents ont rapidement cessé, le sujet a été mis de côté. 

"Roxana Maracineanu considérait ce sujet comme complètement accessoires. Elle improvisait totalement sur le sujet."

Pierre Barthélémy, avocat de l’Association nationale des supporters

à franceinfo: sport

Kilian Valentin (porte-parole de l’ANS) : "La loi sport a été un camouflet, en dehors de l’encadrement de la pyrotechnie. Ça montre la méconnaissance et le fait qu’il n’y a pas eu d’investissement humain et intéressé de la part du ministère des Sports dans les travaux de l’INS. Ils n'ont rien repris du rapport parlementaire de 2020 !"
Sacha Houlié (député de la Vienne) : "Ça passe notamment par de trop nombreuses interdictions de déplacements, ce qui génère de l’incompréhension des supporters, et donc de la tension. Les sanctions collectives abusives, c’est une machine à frustration. Les pouvoirs publics sont obligés d’apporter une autre réponse, celle d'aujourd'hui n'étant pas satisfaisante, comme le montre la saison écoulée."
Pierre Barthélémy (avocat de l’ANS) : "Quand le travail du dialogue recule, il est remplacé par des postures liberticides et une explosion des arrêtés. Le tout sécuritaire devient une réponse automatique."

Quelles conséquences pour les supporters ?

Kilian Valentin (porte-parole de l’ANS) : "La saison a fait du mal à l’image des supporters, on est à nouveau les parias du football. On a entendu qu'il fallait ''nettoyer'' les tribunes. C’est un terme fort, qu’on n’avait pas entendu depuis 2010." 
Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports: "Tous ces incidents, et le mot est faible, donnent à voir le foot et ses supporters à travers ces débordements. L’image du foot peut être très rapidement abîmée à cause de tout ça, et ce n’est pas un hasard si on note un recul du foot, de l'attachement des Français à ce sport."
Sacha Houlié (député de la Vienne) : "La loi Sport de février a aussi introduit un nouvel outil de répression : l’amende forfaitaire de 500 euros contre l’utilisation des fumigènes dans un stade. Je n’en suis pas défenseur, parce que cette amende vient ajouter un outil de répression, alors qu’on avance bien dans l’expérimentation en vue de la légalisation des fumigènes."
Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports) : "C’est une sanction supplémentaire dont je ne vois pas trop l’utilité."
Jacques Cardoze (directeur de la communication de l'OM) : "On sait faire en France, je pense, on l’a vu avec Feyenoord pour qui on avait mis une fanzone. Après cette saison de folie post-confinement, je serais partisan de classer plus de matchs à haut risque. Les autorités nous aident plus dans ces cas-là, ce qui était le cas contre Feyenoord. Il faut une plus grande étanchéité entre les supporters adverses et ceux à domicile." 

L'implication des ultras dans les clubs

Pierre Barthélémy (avocat de l’ANS) : "Il faut relativiser cela. En vérité, il n’y a rien de plus qu’une demande de dialogue. Et quand il est établi, via le référent supporter, on avance. Le problème, c’est que quelques éditorialistes se sont mis en tête que les supporters voulaient plus de pouvoir. Mais ce n’est pas parce que supporters critiquent qu’ils veulent être directeur sportif ou président !"
Sacha Houlié (député de la Vienne) : "Les supporters sont une partie du capital du club, on l’a écrit dans notre rapport parlementaire. Ils ont la légitimité et représentent quelque chose avec leurs particularités. Cela dit, tous n’attendent pas forcément de peser."

"Les groupes ultras ne revendiquent pas plus de pouvoir, ils veulent simplement que leur parole soit entendue, que leurs inquiétudes ne soient pas mises aux oubliettes. Dénoncer l’attitude d'un dirigeant, ce n’est pas demander plus de pouvoir. C’est alerter."

Kilian Valentin, porte-parole de l’Association nationale des supporters

à franceinfo: sport

Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports: "Comme au Red Star en ce moment, où, du jour au lendemain, on change complètement de propriétaire. Vous ne connaissez pas le futur projet, la motivation des repreneurs, leurs objectifs. Donc les supporters se mobilisent, je comprends."
Jacques Cardoze (directeur de la communication de l'OM) : "Les supporters sont très présents à Marseille, c’est une composante essentielle du club. On a presque un devoir de les impliquer dans beaucoup de décisions, notamment celles concernant l’encadrement d’un match. Nous, on a un devoir de transparence, vis-à-vis de ce que risque le club, l’équipe, sportivement. Avoir un 13e homme avec nous peut nous emmener très haut, et avoir le stade contre nous peut nous amener très bas."

La tendance pour l'avenir

Kilian Valentin (porte-parole de l’ANS) : "La nouvelle ministre arrive dans un contexte où tout le monde attend de discuter. Tout est à disposition, les outils sont en place." 
Sacha Houlié (député de la Vienne) : "Et côté société civile, il y a des visages pour l’incarner ce mouvement. Côté politique, ils savent maintenant qui trouver pour travailler, c’est important. Les graines ont été semées."
Marie-George Buffet (ancienne ministre des Sports) : "Ce qui m’inquiète plus, c’est le retour des signes fascistes dans les stades. Là, on devrait entendre beaucoup plus fortement les présidents de clubs et les autorités de l’Etat. Les groupes de supporters, qui n’ont pas envie d’être mêlés à tout ça, devraient parler. L’ANS aussi. Aujourd’hui, on a tout faux parce qu’on réagit dans l’urgence. Il faut aller au delà des sanctions de la justice pour créer des conditions de travail avec les groupes de supporters qui veulent jouer leur rôle de supporters dans le foot, leur donner des responsabilités. Pour marginaliser les individus racistes, discriminatoires, il faut travailler avec les autres."
Sacha Houlié (député de la Vienne) : "L’INS et les réunions préparatoires doivent prévaloir match après match toute la saison, ce qu’on n’a pas vu cette saison. 

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