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ENTRETIEN. "Il ne faut pas nettoyer les tribunes au Kärcher, mais au pinceau", estime le sociologue Nicolas Hourcade

Spécialiste du monde du football et surtout de ses tribunes, le sociologue Nicolas Hourcade revient sur la saison mouvementée dans les stades français.

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des CRS interviennent au stade Vélodrome lors d'OM-Feyenoord, le 5 mai 2022. (NICOLAS TUCAT / AFP)

Après une saison 2021-2022 marquée par une série d'incidents en tribunes, le sociologue Nicolas Hourcade, enseignant agrégé de sciences sociales à l’École Centrale de Lyon et spécialiste du supportérisme, prend le temps d'analyser les causes et conséquences de ces événements. Pour le sociologue, il faut tirer des leçons de cette saison calamiteuse en tribune avec une priorité : réinstaurer le dialogue entre les supporters, et les différentes institutions.

Franceinfo sport : La saison vient de se terminer. Quel bilan faites-vous de cet exercice émaillé de nombreux incidents en tribunes ?
Nicolas Hourcade : Vivement que ça se termine (rires). Cela a été une année très compliquée, plein de choses n’allaient pas, tant du côté des supporters que de ceux qui les gèrent. Et en plus le retour de manifestations d’extrême droite ! Les tensions entre supporters et dirigeants liées aux transformations du football ont aussi marqué l'année.

Vous avez été surpris par les débordements du début de saison ?
Oui, notamment par l’ampleur des incidents. Est-ce un phénomène conjoncturel dû au retour du public dans les stades après la crise sanitaire, ou structurel avec des supporters plus violents qu’avant ? Je pense que c’est un peu des deux. Les nombreux incidents de la première partie de saison peuvent être liés à l'excitation excessive provoquée par le retour dans les stades. Mais on sent aussi que des groupes ultras et hooligans sont plus violents depuis quelques années, déjà avant le Covid. 

Le virage sud du stade Vélodrome lors d'OM-Feyenoord, le 5 mai 2022. (NICOLAS TUCAT / AFP)

Pour quelles raisons la tension monte ?
Il y a des éléments conjoncturels liés à l'après-Covid : l’excitation des supporters, on l'a dit, mais aussi la perte de certaines habitudes d’organisation des matchs, le recrutement difficile des stadiers, etc... Aussi, depuis la fin des années 2010, le mouvement ultra a pris de l'ampleur et les rivalités entre groupes se sont ancrées. Les tensions sont reparties de plus belle cette saison après de longs mois de matchs sans public. Ensuite, le football est en pleine transformation : passage de la L1 puis de la L2 à 18 clubs, projets de ligues fermées, arrivée de fonds d’investissement…

Les supporters sont persuadés qu'ils sont les garants de l’intégrité de leur club et interviennent pour le protéger. Ça peut déboucher sur des incidents violents, comme sur des actions contre la direction ou les joueurs (Paris, Lyon, Nantes ou le Red Star récemment).

Nicolas Hourcade

à franceinfo: sport

La conséquence de tout ça, c'est que la réponse des autorités n'est que répressive, avec des arrêtés préfectoraux interdisant les déplacements de supporters...
Le problème n’est pas la répression des comportements violents, qui est nécessaire, mais la manière dont elle est effectuée. La France se caractérise par des mesures collectives : fermeture des stades, des tribunes, interdiction de déplacement. Elle tape sur tous les supporters au lieu de cibler ceux qui posent problème. Ce n’est pas en procédant ainsi que l’Angleterre ou l’Allemagne ont éradiqué le hooliganisme, mais en ciblant les individus violents pour les exclure du stade. 

Pourquoi ces méthodes ?
C’est plus simple et moins coûteux d’interdire les déplacements et de fermer une tribune que de mobiliser des policiers et juges pour identifier et sanctionner des individus. 

Notre mode de répression n’est pas efficace et produit des effets pervers. Il faudrait revenir aux progrès faits entre 2016 et 2019, avec une meilleure articulation entre répression et prévention, une meilleure anticipation des déplacements, et concilier sécurité et liberté.

Nicolas Hourcade

à franceinfo: sport

L’esprit de la circulaire Nunez de 2019 envoyé par le ministère de l’Intérieur aux préfets semble bien loin. Elle les incitait à n’interdire le déplacement des supporters visiteurs qu’en dernier recours. Cette année, on a eu un festival d'interdictions de déplacements pour des motifs lunaires qui font perdre leur légitimé à ces mesures. Le préfet de Loire-Atlantique a quand même interdit aux Nantais de porter le maillot du FCN dans leur propre ville !

Pourquoi cette absence de dialogue avec les supporters ?
Les responsables politiques ont appelé à l’individualisation des sanctions, mais les actes n’ont pas suivi les paroles. On a aussi l’impression que le monde du foot, y compris certains observateurs, est en attente de sanctions extrêmement visibles pour des raisons d’affichage. Cette année l’INS (Instance nationale du supportérisme) a été complètement occultée. Pourtant, c’est une instance consultative idéale, puisqu’elle rassemble toutes les parties prenantes. Pourquoi ? Il faut poser la question à la ministre des Sports. Peut-être qu’elle n’a pas bien saisi en quoi consistait cet outil, ce qu’il pouvait apporter pour désamorcer et apaiser les tensions. L’INS semble vue comme se réduisant à porter la voix des supporters, alors qu’elle est un organe d’échanges entre autorités sportives et publiques, clubs et supporters.

Que fait la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme ?
La DNLH ne semble plus jouer le rôle régulateur qu’elle avait su occuper entre 2017 et 2020. Or, cette régulation nationale est nécessaire pour éviter les abus de certaines préfectures.

En 2014, des membres de la DNLH avait formé le personnel des JO de Rio 2016, ici au stade Maracana. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Les référents supporters ont encore un poids ?
Les référents supporters sont de plus en plus considérés dans le milieu du football. En revanche, cette année, il semble ne pas y avoir eu assez de dialogue entre les clubs et les préfectures.

Le dialogue et les progrès des dernières années vont-ils pouvoir reprendre ?
Je ne peux pas dire que je suis optimiste, je n’ai aucune idée de ce qui peut advenir l’an prochain. Globalement, la saison pousse plutôt au pessimisme. Mais depuis quelques temps, les échanges se relancent au sein de l’INS. J’espère qu’on saura tirer les leçons des dysfonctionnements de cette saison afin d’être meilleurs l’an prochain. Peut-être aussi que la nouvelle ministre des Sports saura s’emparer de ce dossier et le gérer efficacement.

Les clubs sont-ils fautifs ? 
Il faut que tout le monde joue son rôle : autorités, ligue, clubs, supporters. Mais selon moi, l’impulsion doit venir d’en haut, de l’Etat, qui doit responsabiliser les clubs et non pas se défausser sur eux. Les clubs doivent, eux, s’efforcer de construire des relations constructives avec les groupes de supporters, ce qui est très variable d’une ville à l’autre. 

La croix celtique incrustée sur un drapeau tricolore pavoisé par les supporters rémois à Lorient, en mai dernier, n’est pas un événement anodin. On n’avait pas vu ça depuis dix ans, il faut être vigilant.

Nicolas Hourcade

à franceinfo sport

Quelle place prend la volonté de pouvoir, d’implication dans la vie du club, dans ce phénomène ?
Les tensions actuelles entre clubs et supporters sont liées à l’évolution, notamment économique, du football. L’histoire du football au XXIe siècle est marquée par le fait que les supporters se transforment en acteurs du club et sont reconnus comme tels. Ce rôle a été loué quand une partie des tribunes anglaises s'est opposée au projet de ligue fermée. Parfois, les supporters ont le sentiment d’être les seuls à s’opposer aux transformations économiques rompant avec certaines traditions de ce sport, comme à Marseille contre Eyraud, ou Bordeaux contre Longuépée.

Le 24 avril 2021, les supporters girondins manifestaient contre le président Longuépée, dans les rues de Bordeaux. (MEHDI FEDOUACH / AFP)

Les supporters soulèvent souvent des problèmes profonds. Il serait utile que les institutions nationales et internationales encadrent mieux le football pour éviter que n’importe qui ne puisse faire n’importe quoi, que ce soit dans un club, ou dans le format des compétitions. Le projet de Super Ligue s’adresse à d’autres supporters que ceux qui se mobilisent actuellement, notamment à ceux qui sont devant la TV. Les supporters les plus engagés sentent que le football pourrait devenir autre chose que le sport qu’ils ont appris à aimer, ce qui explique leur mobilisation.

Dimitri Payet a encore appelé au calme lors de la cérémonie des trophées UNFP, il a raison de se positionner ainsi selon vous ?
C’est bien que des joueurs s’impliquent et cherchent à sensibiliser leurs supporters. Mais tout dépend ce que Payet entend par "nettoyer les tribunes". Pour l’instant, on le fait au Kärcher, pour reprendre une expression célèbre, ce qui n’est pas efficace. Nettoyer les tribunes, ça suppose un travail fin avec une mobilisation de tous les acteurs, contre les individus qui posent problème. Il ne s’agit pas de toucher tous les supporters, mais de viser précisément. Il ne faut pas nettoyer les tribunes au Kärcher, mais plutôt au pinceau.

Quels sont les clubs dont il faut suivre l’exemple ?
Strasbourg est évidemment un bon exemple. C’est un cas intéressant, parce que le club a dû repartir de zéro et s’est efforcé de se reconstruire sur des bases saines. Les supporters ont été positivement associés à cette reconstruction. Cela passe par des choses concrètes, comme des échanges réguliers entre le club et ses associations de supporters, mais aussi par la conception même de la place que les supporters occupent dans le club. Le public est souvent mis en avant, il devient en lui-même un élément valorisant le club. Le même processus semble se mettre en place du côté de Toulouse.

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