A huis clos, les finales de Coupe auraient-elles encore un sens ?
"La Coupe de France est la plus belle des coupes, avec une communion des supporters. C'est ça, le football. (...) Mais là, on nous parle de jouer dans un stade vide. Il n'y aurait plus de saveur", reconnaissait Roland Romeyer le 2 mai dans l’Equipe. Puis le président du directoire de l’AS Saint-Etienne a vu son collègue Bernard Caïazzo lui emboîter le pas. Depuis, les deux dirigeants stéphanois se sont fait reprendre par le patron de la FFF, Noël Le Graët, et semblent aujourd’hui enclin à disputer leur finale de Coupe de France à huis clos, à contre-cœur. Les enjeux financiers (notamment en droits TV) ont sûrement calmé les Stéphanois, mais leur refus initial témoigne de l’importance des supporters pour un tel match, bien plus encore que pour une simple rencontre de championnat.
Pas de fête sans supporters
Lors de cette interview, Roland Romeyer développait son point de vue : “Je ne peux pas imaginer une minute qu'on la joue sans nos supporters. Ça ne passera d'ailleurs pas auprès des nôtres. Saint-Étienne, sans ses supporters, n'est plus Saint-Étienne. Pour moi, ce n'est pas possible de la jouer sans eux”. Et effectivement, cela a du mal à passer pour beaucoup d’amoureux des Verts, à l’image d’Arnaud, abonné du kop Nord : “Je ne vois pas comment on peut jouer une finale sans public. Pour le championnat, à la rigueur, il va falloir accepter pour jouer des matches. Mais une finale c’est censé être une fête dans les tribunes et sur le terrain, c’est tout sauf un match classique”.
Chose rare : des supporters lyonnais tombent même d’accord à ce sujet avec leurs rivaux stéphanois, à l’image de Lucas, habitué du Groupama Stadium : “Plus que tout autre match, une finale se joue avec des supporters. En temps normal, le football n’a pas de raison d’exister sans son public. C’est la base du football tel qu’on le connaît”. Du côté de Paris, les supporters ont beau être habitués aux finales depuis quelques années, ils partagent aussi cet avis. Pour autant, à l’image d’Antoine, membre du Collectif Ultras Paris, il faut se résigner : “C’est le contexte actuel qui fait qu’il n’y a que des décisions pourries, pas de bonnes réponses. Il faut opter pour la moins mauvaise des solutions. Si c’est possible de les jouer en terrain neutre, à huis clos, ce sera extrêmement triste, mais pour moi c’est possible”.
Par essence, les finales sont des matches exceptionnels, dont rêvent joueurs et supporters. Ne pas y assister serait évidemment un crève cœur pour les fans les plus fervents, mais cela toucherait aussi l’aspect purement sportif du match. “Je pense que c’est préjudiciable pour le jeu de la jouer sans public, parce que pour remporter un trophée le public aide. Surtout quand il faut battre Paris”, estime le lyonnais Lucas. Il poursuit : “Je ne sais pas si on peut dire qu’on aurait moins de chances avec nos supporters, mais on aurait plus de chances avec nos supporters. Pour les joueurs, c’est compliqué de se transcender dans un stade vide”. Le Stéphanois Arnaud approuve.
Sacrifier la Coupe d’Europe ?
Autre point important, la qualification en coupe d’Europe pour le vainqueur. Si Lyon et Saint-Etienne gagnent leur finale contre le PSG, ils disputeront l’Europa League. Or, pour cela, il faut que les matches aient lieu rapidement, donc à huis clos. La question devient alors : faut-il préférer jouer la finale avec public, donc plus tard, et dire adieu à la Coupe d’Europe ? “Oui, clairement, tranche Arnaud. J’abandonne la qualification européenne sans hésiter”. Là encore, on a un accord entre Lyonnais et Stéphanois, puisque Lucas abonde : “Je préférerai faire une croix sur la coupe d’Europe et jouer la finale avec un public”. Pas sûr que son président, Jean-Michel Aulas, partage cet avis.
Du côté parisien, la question ne se pose pas, le club étant qualifié en Ligue des champions via le championnat. Alors, forcément, dans les camps parisiens la perspective du huis clos est acceptée plus facilement. “Si c’est possible de les jouer en terrain neutre, à huis clos, ce sera extrêmement triste, mais pour moi c’est envisageable”, assure ainsi Antoine, tout en précisant : “Nous aussi on est déçus parce qu’il y avait un beau match en tribunes contre les Stéphanois, c’était aussi un beau remake de la finale de 1982, celle du premier titre parisien”.
Avantages, incohérences et spectacle malgré tout
A l’image des Parisiens, peu à peu, tous les supporters se résignent : les finales de coupe risquent bien de se jouer à huis clos début août. Si l’absence de supporters dérange tout le monde, la programmation début août revêt quelques avantages aux yeux des supporters lyonnais et parisiens, notamment en vue de la reprise de la Ligue des champions en août. “C’est sûr que ça peut faire un bon match de préparation pour reprendre le rythme avant de se faire désosser en Ligue des champions contre des équipes qui auront déjà repris”, glisse Lucas. Supporter parisien, Rudy partage ce point de vue : “On va se servir de tous les matches pour jouer à fond la C1. Et dans ce but, jouer deux finales juste avant c’est intéressant parce que ce sont des matches à haute intensité, comme la C1”.
Pour autant, ces quelques avantages ne masquent pas l’incohérence dénoncée par certains, dont Sofiane, supporter lyonnais : “C’est illogique parce que d’un côté la LFP décide d’arrêter la saison, mais de l’autre ils veulent quand même jouer la finale de leur coupe. En terme de cohérence, c’est difficile de continuer une compétition et pas l’autre”. Lucas complète : “On a arrêté le championnat, pourquoi pas les coupes ? Dans ces conditions les finales n’ont plus vraiment de sens, les coupes sont déjà désuettes”. A Saint-Etienne, Arnaud propose même de dénoncer le ridicule de cette situation par un acte symbolique : “Ils ont qu’à y aller avec les U18 et faire un match pathétique. Je serai président, je la jouerais comme ça, comme Pape Diouf, pour protester”.
A défaut de l’être en tribune, le spectacle devrait toutefois être au rendez-vous sur la pelouse. L’absence des supporters pèsera évidemment sur les débats, mais les enjeux sportifs seront toujours les mêmes. Pour Lyon et Saint-Etienne, il y a un premier trophée à aller chercher depuis des années, et une qualification en coupe d’Europe inespérée après les saisons ratées des deux clubs. Et même pour Paris. “On a une revanche à prendre : on n’a pas gagné ces deux coupes l’année dernière. Les joueurs ont dû être piqué dans leur orgueil. Je pense que les joueurs vont les jouer à fond, en dépit du contexte”, prévient Antoine. Les jouer à fond pour se faire pardonner des supporters … qui ne pourront pas y assister. Là est tout le paradoxe de ces finales qui n’en seront plus vraiment.
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