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Répression, tripatouillages électoraux, manœuvres... Qui est cheikh Salman, "l'homme providentiel" de la Fifa ?

Le prochain président de la Fifa sera désigné – sauf report de dernière minute – le 26 février prochain. Si le départ de Joseph Blatter, après dix-huit ans de règne, est acquis, pourra t-on véritablement parler de changement si cheikh Salman, fortement pressenti pour lui succéder, est élu ? 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Cheikh Salman, candidat à la présidence de la Fifa, le 31 janvier 2016, à Doha (Qatar). (KARIM JAAFAR / AFP)

Ne voyez en lui ni un Che Guevara, ni un Monsieur Propre. Le Bahreïnien cheikh Salman bin Ibrahim Al Khalifa, que tout le monde appelle cheikh Salman, est le grand favori pour succéder à Joseph "Sepp" Blatter à la présidence de la Fifa, vendredi 26 février. Mais pour le grand soir des institutions du foot mondial, jusque-là gangrenées par la corruption, on repassera.

Le boulet de la répression du printemps arabe

"Si la Fifa n'a trouvé qu'un membre de la famille royale de Bahreïn comme meilleur Monsieur Propre...", soupire dans le Guardian Nicholas McGeehan, spécialiste du Golfe persique au sein de l'organisation Human Rights Watch. Et pour cause. Cheikh Salman traîne comme un boulet la répression du printemps arabe de 2011, quand le prince Nasser lui avait confié la tête d'un comité chargé d'identifier les sportifs hostiles au régime. Une trentaine d'entre eux ont perdu la vie dans les geôles du pays, d'autres ont dû abjurer leurs fautes en direct à la télévision.

Mis en cause par ses rivaux, cheikh Salman s'est défendu sur la BBC, en expliquant que ledit comité n'avait jamais vu le jour : "Ce sont des mensonges obscènes !" Depuis, il renvoie le plus souvent vers ses avocats, le cabinet londonien Shillings & Co, dont la devise sied parfaitement à Salman : "Défendre la réputation, exiger le secret." Un de ses rivaux pour la présidence de la Fifa, le prince Ali de Jordanie, fait remarquer que s'il n'a rien fait de mal, il n'a pas levé le petit doigt pour ces malheureux sportifs.

200 000 dollars le vote en 2009

Longtemps président de la fédération bahreïnienne, cheikh Salman s'est rêvé un destin international à partir de 2009. Cette année-là, il se lance dans la course à la présidence de la Fédération de football asiatique (AFC). En face de lui se dresse un candidat de taille : le Qatari Mohammed Bin Hamman, vieux routier de la Fifa et argentier de la candidature qatarie au Mondial 2022. Un scrutin qui reste considéré comme le plus sale de l'histoire de la Fifa – c'est dire –, rapportent les journalistes Heidi Blake et Jonathan Calvert dans leur enquête intitulée L'homme qui acheta une Coupe du monde. Selon eux, les votes se monnayaient plus de 200 000 dollars par tête. Le président de la fédération philippine de l'époque, Jose Martinez, a même reconnu sur la chaîne australienne SBS qu'on lui a proposé de l'argent pour voter pour cheikh Salman. L'équipe de Salman a toujours nié que son poulain ait eu connaissance de ces dérapages.

De toute façon, le Bahreïnien est  battu par plus fort que lui, et en tirera les leçons. Une fois Bin Hamman hors-jeu, Salman est élu dans un fauteuil à la tête de l'AFC, en 2013, avec le soutien de l'establishment, notamment Michel Platini et Sepp Blatter. Trois ans plus tard, quand les deux poids lourds du foot mondial sont écartés par des ennuis judiciaires, un boulevard se libère pour un outsider. Le 2 octobre 2015, le quinquagénaire affirme, la main sur le cœur, sur le site de l'AFC : "Jamais l'idée d'être candidat en 2016 ne m'a traversé l'esprit." Le 26, il dépose sa déclaration de candidature. 

L'agence tous risques à son service

Et il ne vient pas présenter une candidature de témoignage. Cheikh Salman s'est entouré du faiseur de rois de l'institution, le Koweïtien Al-Sabah, qui a fait élire le président du CIO Thomas Bach, mais aussi d'un certain Peter Hargitay, le spin-doctor employé par Bin Hamman contre lui en 2009 ! En 2010, cette vieille connaissance de Sepp Blatter réussissait à être à la fois salarié de la candidature australienne au Mondial... et en même temps sur les listings de Mohammed Bin Hamman, qui finançait celle du Qatar, rapporte le Brisbane Times. On parle là d'un homme qui a eu la lourde tâche de minimiser la responsabilité de la société pétrochimique Union Carbide dans l'explosion de son usine de Bhopal en Inde, en 1985.

Fort de cette équipe de choc et d'un programme où figure la mesure magique pour s'attirer de nouveaux amis (davantage de pays en lice à la Coupe du monde !), un soupçon de symbole (il a proposé de ne pas toucher de salaire, ce qui est plus facile quand on dispose d'une solide fortune personnelle), et un vernis de réforme (séparer la Fifa en deux parties, l'une sur la gouvernance, l'autre sur le business), Salman est considéré comme le favori du scrutin, avec une centaine de votants acquis à sa cause. Presque la moitié du corps électoral.

Le changement, ce n'est pas pour maintenant

"Est-ce que Salman est vraiment crédible pour représenter la démocratie et le renouveau ?", s'offusque le spécialiste anticorruption Mark Spieth dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pas vraiment, mais tant que le processus de désignation du président demeure le même, aucun profil différent ne peut émerger. 

Les gens comme Salman viennent de familles qui règnent sur leur pays de manière autocratique, et c'est comme ça qu'ils managent les organisations sportives.

James Dorsey, universitaire et auteur du blog "The turbulent world of Middle East Soccer"

Le journaliste de Sports Illustrated, Grant Wahl, avait tenté de se porter candidat en 2011, mais aucune fédération n'avait osé le parrainer, de peur de perdre ses petits avantages. Avant le scrutin du 26 février, il écrit justement : "Ceux qui votent à la Fifa ont-ils vraiment envie de changement ?" Le verdict des urnes en donnera une bonne indication.

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