Tunisie-Algérie, quand la CAN fait vibrer en France
Le bistrot Constellation est à deux pas du métro Château d’eau à Paris. La grande baie vitrée du troquet laisse deviner une quarantaine de paires d’yeux rivés sur un écran suspendu au plafond. L’absence de maillots ou drapeaux des deux nations dans les rues adjacentes n’était donc qu’un leurre. A l’intérieur, les supporters algériens sont largement majoritaires. Le monde continue d’affluer même si la machine à café hors-service en rebute plus d’un. Un peu calme, l’ambiance se réchauffe à mesure que Feghouli, la star de l'équipe, multiplie les fulgurances. Une tête sur la barre provoque une première explosion. Un grand « Ohhhh » partagé par tous, y compris les plus calmes. Plus expressif, un des clients se lève et se lamente un long moment la tête dans les mains.
Le show du "bonnet péruvien"
Son bonnet péruvien bleu à nattes vissé sur la tête, il est inénarrable. Sa tête ronde et ses joues bien gonflées entourent une barbichette et une langue bien pendue. L’attitude du jeune loup d’une vingtaine d’année tranche singulièrement avec son style vestimentaire pantalon – chaussures de costard. « Change de côté, tire, y’a pas faute, oui bien joué, en profondeur » ordonne-t-il en gesticulant. Dans sa main un verre d’eau accompagne ses injonctions et prend la direction des cieux lorsqu’il s’exaspère. « Pas comme ça, tais toi, pourquoi tu siffles pas ?, En haut, en haut, voilà ! » Au fur et à mesure que l’Algérie s’enlise, le théâtre s’intensifie, sans que personne n’y prête gare, malgré d’impressionnants sauts de chaise.
Devant la maladresse de leurs protégés, une certaine tension s’installe dans le bistrot. Les jambes tremblantes d’un homme qui arbore fièrement l’étendard algérien et discute avec son ami pour dilapider ses doutes en témoignent. Le gardien sort la parade pour les Verts. A Paris, les doigts de son compatriote martyrisent maintenant cuisses et poitrine. La trentaine bien sonnée, ses cheveux impeccablement coiffés et sa barbe bien taillée surplombée de lunettes carrées à montures noires s’agitent dans d’improbables chorégraphies.
Le public donne vie au Constellation. Les affiches à l’ancienne et les coupures de journaux incrustés à certains endroits amènent un peu de gaieté. Tout comme les nombreux souvenirs des Etats-Unis qui garnissent les parois, à l’image de cette plaque d’immatriculation tout droit venue d’Arkansas. Le magnifique bar en bois délimité par un immense comptoir derrière lequel trônent quatre robinets à pression version vieux bistrots offre même un certain charme. Immédiatement annulé par le revêtement lisse imitation brique grise déposé sur les murs dénués de décoration. Momo et Mouloud assurent le service en lorgnant sur l’écran pour ne rien manquer de la rencontre.
Frustration chez les supporters
La deuxième mi-temps a commencé. Le scénario est identique. Les Fennecs dominent stérilement. Au premier rang, un soixantenaire est attablé avec sa femme, exception dans un bar exclusivement masculin. Son mari se ronge les ongles à mesure que le chrono tourne. Elle, paraît s’ennuyer, mais frémit sous son foulard sur les multiples occasions algériennes. Dans un coin au fond du bistrot, les Anciens sont réunis en Sages, dilapidant conseils et réflexions. Discrets jusque-là, ceux qui ont connu la grande Algérie des années 80 (vainqueur de la CAN en 90, finaliste une fois et demi-finaliste à deux reprises sur la décennie) s’emportent. « Il y a trop de déchets » affirme l’un d’eux avec dépit. D’apparence calme, Momo ne peut refouler sa frustration face aux ratés de Mesbah, Guédioura et autre Kadir. Il donne un violent coup sur le comptoir.
Les plus jeunes se mettent au diapason. « Ils ne montent pas assez, ils ne suivent pas derrière » s’écrie l’homme aux jambes tremblantes en montrant l’écran des deux mains. L’entrée de Soudani. à la 71elui redonne espoir. « Il est vif lui, il est vif » répète-t-il frénétiquement. » « Vif, vif, walou ! » lui rétorque son compagnon au bonnet péruvien, toujours aussi actif. Dans une fin de match au couteau, les aînés, à cran, le rappellent à l’ordre pour qu’il calme ses ardeurs. Accoudés au comptoir, deux personnages amis d’un soir jouent un étrange ballet. Ils miment leurs réactions, hochant la tête pour approuver ou non les choix des joueurs. Dans leur dos, un petit vieux au physique râblé et à la fine moustache grimace, marmonne des jurons dans son écharpe. Sa moue sur le raté de Kadir en fin de match prend des allures de prophétie. Les voix ont beau s’élever pour pousser les Verts – « ils vont gagner, ils vont gagner » proclame un homme au fort accent africain – Mskani brise le rêve algérien d’un bijou en pleine lucarne.
Tout le monde se serre la main
Les trois seuls tunisiens perdus dans une masse Verte et Blanche bondissent pour fêter ce but inespéré. «Eh oué, fais le entrer et laisse le jouer, c’est un génie ce mec » s’emballe un des membres du trio à propos du buteur. « Il n’y a rien à dire… », renchérit un de ses adversaires, la mine déconfite. En guise de respect, les Rouge et Blanc serrent la main de leurs voisins maghrébins. Momo applaudit les vainqueurs pendant que son bistrot se vide en un claquement de doigts. Le serveur à la chemise rayée recouvrant une bedaine prononcée philosophe. « C’était un match serré mais ils méritent de gagner. On n’a pas réussi à marquer… Tant pis, c’est le sport… ».
Derrière lui, un des Anciens tente de le rassurer : « c’était un bon match va ! ». En revoyant les images d’une action litigieuse dans la surface de réparation tunisienne, Momo ne peut s’empêcher de broyer du noir. « C’aurait été Zlatan, il aurait sifflé… » Privés de CAN l’an dernier, les supporters algériens n’ont pas encore perdu espoir dans cette édition 2013. « T’as vu jouer le Togo ? Ils sont comment ? », s’inquiète un homme à la dégaine de repris de justice. Peu importe la valeur des Eperviers. Face aux partenaires d’Adebayor, les troupes d’Halilhodzic n’auront plus droit à l’erreur pour espérer disputer les phases finales.
A la sortie du bar, sur l’avenue Barbès, les soutiens aux Aigles de Carthage chantent leur bonheur et se drapent de leurs couleurs. Côté algérien, les étendards sont noués autour de la tête et la mine est triste. Aux « Tunisie, Tunisie » de quelques impétueux répondent pourtant avec ferveur les « Algérie, Algérie » de supporters qui ont déjà pardonné aux leurs. Preuve que samedi, le bistrot Constellation devrait encore vibrer au rythme de ses Fennecs. Ne manque plus qu’à réécrire la fin de l’histoire…
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