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CAN 2022 : aux origines de la compétition qui a révélé l’Afrique

Article rédigé par franceinfo: sport - Kévin Veyssière, fondateur du FC Geopolitics
France Télévisions - Rédaction Sport
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La CAN 2022, 33e édition de la plus grande compétition africaine de football, s'ouvre dimanche 9 janvier au Cameroun.

Alors que l’incertitude planait sur la tenue de cette 33e édition de la Coupe d’Afrique des nations, la compétition aura bien lieu du dimanche 9 janvier au 6 février, au Cameroun. Il ne pouvait en être autrement pour la reine des compétitions africaines de football qui a permis, depuis sa création en 1957, à tout un continent de se révéler.

La première édition de la Coupe d’Afrique n’est en effet pas un hasard. Elle est organisée le 10 février 1957, soit seulement deux jours après la création de la Confédération africaine de football (CAF). Une avancée historique, car c’est la première véritable union du continent post Seconde Guerre mondiale. L’Organisation inter-étatique de l'unité africaine ne verra, elle, le jour qu’en 1963.

Mais tout n’a pas été simple pour arriver à ce résultat. Un an auparavant, en juin 1956, la Fifa rejetait en bloc cette initiative africaine. Ce qui avait alors eu le don de courroucer Abdelaziz Salem, représentant du football égyptien.

"Si nous ne sommes pas tous traités ici sur le même pied d'égalité, il n'est nullement question de notre présence parmi vous."

Abdelaziz Salem

"De Khartoum à Accra, 51 ans d’Histoire de Coupe d'Afrique des Nations", cameroon-info.net, Benoît BALLA, 19 janvier 2008.

Le ballon rond est déjà à l’époque bien plus qu’une histoire sportive, puisque la naissance d’une Afrique du football doit prolonger la naissance d’une Afrique libre, qui commence alors à s’émanciper de la tutelle coloniale. C’est ce bras de fer de 1956 qui va marquer le point de départ de la naissance de la Coupe d’Afrique. L’aboutissement d’un long processus, qui prend ses racines à la suite de la Seconde Guerre mondiale.

Le long combat pour une Afrique libre

À cette époque, le mouvement pour l’autodétermination des peuples du continent prend de l’ampleur, dans la droite lignée des précurseurs Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah ou Léopold Sédar Senghor. Il faut dire que l’article 3 de la Charte de l’Atlantique de 1941, à savoir "respecter le droit des peuples à choisir leur forme de gouvernement, restaurer la souveraineté de ceux qui en ont été privés par la force", est incorporé dans la Charte des Nations unies du 26 juin 1945. Ce qui laisse prévoir une remise en cause des empires coloniaux à la fin de la guerre.

L’Afrique ne compte alors que 3 Etats indépendants (Libéria, Afrique du Sud, Egypte) et c’est la Libye qui enclenche la première le mouvement de décolonisation en déclarant son indépendance, le 24 décembre 1951. D’autres soulèvements se sont également mis en place sur tout le continent, mais les puissances coloniales de l’époque en Afrique - France et Royaume-Uni en tête - ne veulent pas laisser leurs empires s’écrouler. En témoigne un conflit qui fera date, cette fois en Asie : la guerre d’Indochine. La défaite française et la chute de Diên Biên Phu, en 1954, seront le symbole du délitement des colonies européennes.

Le football comme prolongement d’une "troisième voie" indépendante

À la suite de cette défaite française, les différents pays toujours colonisés veulent accélérer le processus d'indépendance. Dans cet objectif, une grande conférence internationale est organisée à Bandung, en Indonésie, en avril 1955. 29 pays africains et asiatiques sont pour la première fois réunis afin de promouvoir l’autodétermination des peuples et faire entrer sur la scène internationale les pays décolonisés, dits du "Tiers-monde".

Un élément moteur, qui aboutira lors de cette conférence à la création d’une troisième voie, le mouvement des non-alignés. Il s’inscrit en alternative à la Guerre froide et l’opposition entre le bloc de l’Ouest des Etats-Unis et le bloc de l’Est de l’URSS. L’Egypte, et en particulier son futur président Nasser, jouera un rôle crucial pour la création de cette nouvelle voie indépendante.

Un an plus tard, l’Egypte renforcera sa position géopolitique grâce à un événement : la crise du canal de Suez. En effet, depuis 1955 l’Egypte commerce avec l’URSS et, dans le même temps, sollicite l’aide financière et technique des Etats-Unis pour construire un barrage sur le Nil. Ces derniers refusent. En représailles, l’Egypte reprend la main et nationalise la compagnie du Canal de Suez, le 26 juillet 1956, qui auparavant appartenait principalement à des actionnaires britanniques et français.

Leur allié israélien envahit alors le Sinaï égyptien, bientôt suivi par la France et le Royaume-Uni. L’influence et la pression politique américaine et soviétique vont finalement conduire à un retrait des troupes occidentales en novembre 1956, marquant la fin du conflit mais surtout un sérieux revers pour les anciennes puissances coloniales.

"Des motifs politiques ont certainement guidé, en 1956, la Fifa à ne pas avaliser la création de la Confédération africaine du football [et de la Coupe d’Afrique] à cause du poids géopolitique de l’Egypte de Nasser, considéré comme un grand leader de l’émancipation du Tiers-monde et du continent africain colonisé", explique Chérif Ghemmour, journaliste à So Foot et correspondant pour RFI.

"Les puissances occidentales, et notamment l’Angleterre, redoutaient l’émergence de ce monde nouveau." 

Chérif Ghemmour, journaliste à So Foot et correspondant pour RFI

Et le football dans tout ça ? Ce sport participe à cette « offensive » diplomatique pour faire connaître l’Afrique en tant que continent libre. En tant qu’Afrique unie. Une idéologie portée alors par le panafricanisme, selon laquelle l’ensemble du continent africain doit être indépendant et les nations africaines solidaires entre elles. Quoi de mieux alors que le sport pour transformer les idées en actes. L’Egypte sera une nouvelle fois à la manœuvre.

L’Egypte, élément moteur d’une Afrique émancipée grâce au ballon rond

"C’est en partie sous l’impulsion de l’égyptien Abdelaziz Salem, premier membre du comité exécutif de la Fifa, que la Confédération africaine de football a vu le jour", explique Abdellah Boulma, journaliste indépendant spécialiste du football africain.

 "L’Egypte est l’une des premières sélections indépendantes du continent africain à participer à une Coupe du monde, en 1934 [et aux Jeux olympiques de 1924]. Une nation à l’avant-garde politique et économique de l’Afrique."

Abdellah Boulma, journaliste indépendant spécialiste du football africain

C’est d’ailleurs ce même Abdelaziz Salem qui est à la manœuvre lors du 30e congrès de la Fifa, le 8 juin 1956 à Lisbonne. En coulisses, il organise une réunion capitale dans les salons de l'hôtel Avenida avec six délégués africains (Youssef Mohamed et Mohamed Latif pour l’Egypte, Mohamed Abdel Halim, Abdel Rahim Shaddad et Mohamed Ali Badawi pour le Soudan ainsi que Fred W. Fell pour l’Afrique du Sud). Leur idée : proposer la création d’une confédération africaine de football (CAF) et l’organisation d’une compétition exclusive entre sélections nationales africaines.

L’idée a du sens puisque la Fifa a levé, en 1953, son interdiction de création de confédérations continentales, pour permettre aux fédérations européennes de créer l’UEFA en 1954. Pourtant, la grande organisation du football mondial refuse la demande de l’Afrique. Officiellement car il y a trop peu de membres africains (quatre). Selon Lotfi Wada, journalise spécialiste du football africain, "les membres de la Fifa (notamment l'Argentine et certains pays européens) étaient réticents à cette idée car ils estimaient tout simplement que le football africain était faiblement développé à l'époque, que ce soit en termes d'infrastructures et surtout de compétitions." 

Officieusement, la Fifa est encore une organisation pro-européenne (avec à sa tête le britannique Arthur Drewry) et elle est encore réticente à laisser le champ libre à l’émancipation de l’un de ses anciens "pré carrés".

Les délégations africaines, outrées, ne se laissent pas faire, ce qui conduit Abdelaziz Salem à menacer de quitter le congrès avec ses confrères africains. La Fifa, voulant éviter toute polémique, fera finalement machine arrière. Un an plus tard, le 8 février 1957, la CAF est officialisée au Grand Hôtel de Khartoum au Soudan.

Février 1957 : une première Coupe d’Afrique à 3 équipes

Cette première organisation du football africain comprend alors quatre pays (Afrique du Sud, Egypte, Ethiopie et Soudan). Son premier président ne sera autre qu'Abdelaziz Salem. Pour matérialiser cette union, la première Coupe d’Afrique est organisée du 10 au 16 février 1957 au Soudan. Un lieu qui n’a rien d’un hasard, puisqu’à ce moment-là le Soudan est le dernier pays africain à avoir obtenu son indépendance, le 1er janvier 1956. 

Tout est alors réuni pour célébrer cette première manifestation d’une Afrique unie. Pourtant, la fête sera gâchée car seulement trois équipes participent. L’Afrique du Sud refuse de venir, elle ne veut pas présenter une équipe "multiraciale". Ce pays est alors en pleine mise en place de sa terrible politique de ségrégation, l’apartheid. Une longue période trouble commence alors pour la patrie de Nelson Mandela, qui ne retrouvera le chemin de la Coupe d’Afrique que bien plus tard, en 1996 à domicile. Seuls l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan participent donc à la compétition. Le tirage au sort ayant déjà été effectué (demi-finales Egypte-Soudan et Ethiopie-Afrique du Sud), la sélection éthiopienne gagne par forfait.

C’est donc dans le flambant neuf « Stade municipal » de Khartoum que débute la toute première Coupe d’Afrique, le 10 février 1956. Deux matchs auront lieu. Le premier sera la demi-finale entre le Soudan et l’Egypte, remporté par la sélection des pharaons (2-1) grâce à un but salvateur de Mohamed Diab Al Attar, surnommé Ad-Diba.

Ce dernier sera le héros du second match du 16 février, la finale, puisque c’est lui qui mettra tous les buts du 4-0 infligé à l’Ethiopie. Devant plus de 30 000 spectateurs, l’Egypte devient donc le premier champion d’Afrique de l’histoire, la première sélection à remporter le trophée Abdelaziz Salem, en hommage au père fondateur de la Coupe d’Afrique.

De la Coupe d’Afrique à la Coupe d’Afrique des Nations

Cette première Coupe d’Afrique pose les bases du football continental et permet d’accroître la popularité, déjà grandissante, du ballon rond. Des bases qui, selon Lofti Wada, "seront renforcées 7 ans plus tard, en 1964, par la création de la Coupe des Clubs Champions Africains (ancêtre de la Ligue des champions de la CAF) afin de permettre aux joueurs d’Afrique de s'affronter régulièrement. Deux événements qui annoncent au monde la structuration administrative du football africain."

La Coupe d’Afrique quant à elle s’inscrira dans l’évolution du continent africain et deviendra la vitrine des différents pays nouvellement indépendants et de leurs couleurs. 6 participants en 1963, 16 en 1996, 24 en 2021 … mais surtout 52 équipes nationales présentes en phase de qualifications. Une compétition qui aura à cœur de mettre en avant ces nouvelles nations, comme en témoigne le changement de dénomination en 1965 : la Coupe d’Afrique devient la Coupe d’Afrique des Nations (CAN).

Depuis 1968, cette fête du football africain a eu lieu sans discontinuer tous les deux ans (bien qu’elle soit organisée depuis 2013 lors des années impaires pour éviter de se dérouler la même année qu’une Coupe du Monde). Une compétition historique qui s’est inscrite dans le calendrier sportif mondial et mobilise l’attention et les passions des peuples, des Etats. Comme si la CAN était finalement un reflet de la vitalité et de la complexité du continent africain.

Kévin Veyssière 
@FC Geopolitics

(*)  "De Khartoum à Accra, 51 ans d’Histoire de Coupe d'Afrique des Nations", cameroon-info.net, Benoît BALLA, 19 janvier 2008. 

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