Ça s'est passé un 12 mai 1976 : La finale perdue de l'AS Saint-Étienne en coupe d'Europe des Clubs Champions face au Bayern Munich
L’épopée de l’AS Saint-Étienne 1976 est au football français ce que la bataille d’Alésia est à l'histoire de France. Le récit d’une finale perdue (1-0), à Glasgow, face à un Bayern Munich d’anthologie, un soir de 12 mai 1976. Cette date restera tout de même dans les mémoires de cette génération pour le formidable parcours, éliminant successivement Copenhague, Glasgow Rangers, Dynamo Kiev - au terme d'une incroyable remontée au match retour - et le PSV Eindhoven.
"Une heure, une minute suffit pour que le destin agisse et change les défaites en victoires." Émile Zola a raison. Véritables bâtisseurs du football français, les Verts resteront, à jamais, dans la légende. Ils ont tout gagné ce soir-là, ou presque...
Une préparation pas très optimale
Les hommes de Robert Herbin, l'illustre entraîneur décédé le 27 avril dernier, s’apprêtent à faire face au grand Bayern de Munich. Le double tenant du titre aligne une équipe impressionnante, dont certains ont été champions du monde en 1974 : Gerd Müller, Sepp Maier, Uli Hoeness, Hans-Georg Schwarzenbeck et bien sûr Franz Beckenbauer. Le club bavarois peut également compter sur la nouvelle pépite du football allemand, Karl-Heinz Rummenigge.
"On avait une envie de revanche. L'équipe allemande nous avait éliminés en demi-finale l'année d'avant", se souvient le défenseur central des Verts, Christian Lopez. Mais la préparation pour cette finale est loin d'être idéale.
Trois joueurs stéphanois vont manquer à l'appel de la finale. Une semaine avant la rencontre, la Fédération française programme un match en retard contre Nîmes, une équipe réputée pour son jeu très physique. Christian Synaeghel et Gérard Farison se font "découper", et seront forfaits pour la finale. Quant au joyau, Dominique Rocheteau, c'est sur le banc qu'il débutera la rencontre en raison d'une douleur à la cuisse survenue en demi-finale contre le PSV Eindhoven.
L'Europe était verte
"Un pour tous, tous pour un !" Cette devise s'applique à l'effectif de l'ASSE, celle d'une équipe bâtie sur le collectif et l'esprit de camaraderie. Pierre Repellini (arrière gauche), Jacques Santini (milieu de terrain) et Christian Sarramagna (ailier gauche) se retrouvent donc titulaires au coup d'envoi de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, qui restera dans la légende.
Qui n'était pas vert lors de cette finale ? Surtout pas les travées d'Hampden Park. Face aux 8 000 spectateurs allemands, ce sont 25 000 Français, venus de tout l'Hexagone qui ont fait le déplacement. En réalité, ils étaient bien plus. Le drapeau de l'Écosse a changé de couleur, c'est toute l'Europe qui était verte. "C'était fantastique de voir le stade en vert. L'enceinte accueillait également les matchs du Celtic (une équipe qui évoluait avec des maillots verts et blancs, ndlr). Les Écossais ne voulaient pas que les Allemands remportent le titre", avoue le compère d'Osvaldo Piazza en charnière centrale.
Le Bayern Munich a mal voyagé dans cette campagne européenne avec seulement une victoire loin de ses bases face au modeste club luxembourgeois l'AS La Jeunesse d'Esch en seizièmes de finale et Saint-Étienne le sait. "On pensait qu'on était capable de les battre", assure le héros du quart de finale contre le Dynamo Kiev. Cependant, les poteaux étaient carrés à Glasgow.
Le mythe des poteaux carrés
Les coéquipiers du capitaine Jean-Michel Larqué réalisent un début de rencontre prometteur. Entre harmonie et justesse technique, Sainté donne une véritable leçon de football aux hommes de Dettmar Cramer. Dans une de ses montées caractéristiques, la sentinelle Dominique Bathenay évite le tacle de Rummenigge, crochète Beckenbauer et envoie un missile de son pied gauche magistral de 25 mètres qui heurtera la barre transversale d'un Maier battu. Nous jouons alors la 34e minute et ce n'est que partie remise avec les montants.
Christian Sarramagna a lui aussi besoin de dégriser son pied gauche. Dans cette finale, il retrouve le Danois Johnny Hansen, un adversaire mis dans la poche deux ans plus tôt lors d'un match international au Parc des Princes. Doté d'un pied gauche chirurgical, le Français va faire vivre un véritable calvaire au latéral. Si ces centres ne trouvent pas preneur en début de match, ils vont révéler leur secret de fabrication par la suite : le centre brossé sans déborder son adversaire. Seulement 5 minutes après l'occasion de Bathenay, l'ailier gauche adresse un centre millimétré pour Jacques Santini. Ce-dernier coupe la trajectoire au premier poteau et frappe le ballon de la tête, qui viendra mourir à nouveau sur la barre d'un Maier spectateur.
Ces faits de jeux vont alimenter la légende autour de cette rencontre. Les poteaux avaient la particularité d'être carrés. Tous les stades n'avaient pas encore adopté des poteaux ronds. Si pour certains Stéphanois, cette spécificité change tout, l'ancien sélectionneur des Bleus innocente les montants. "L’anecdote, c’est que la veille, on fait un entraînement et Christian refait le même centre et je réalise une tête similaire. Les poteaux étaient ronds et le ballon ressort de la même manière", a avoué Santini dans le documentaire Saint-Étienne L'Épopée 76. "Nous avons juste manqué de réalisme tout simplement. Il ne faut pas chercher d'excuses", ajoute Christian Lopez. "Nous avons fait un bon match dans l'ensemble mais pas un super match."
"Saint-Étienne était la capitale de la France"
Après avoir laissé passer trop d'occasions, l'AS Saint-Étienne se fait piéger à l'heure de jeu sur un coup franc rapidement joué par le capitaine "Kaiser" Beckenbauer. Le libéro décale Franz Roth, qui décoche une frappe sèche à l'entrée de la surface de réparation. Ivan Curkovic ne peut que l'effleurer et les Allemands marqueront l'unique but de la rencontre. "Osvaldo ne fait pas faute sur l'action", peste encore le libéro. "Gerd Müller reçoit le ballon, l'Argentin est au marquage. Le ballon d'or 1970, c'était un malin. Il a provoqué un contact, se laisse tomber et l'arbitre plonge."
La rentrée de l'"Ange Vert" en fin de rencontre ne changera rien, le Bayern Munich est sacré pour la troisième fois de suite en C1. "C'est une grosse déception au coup de sifflet final. Nous ne méritons pas de perdre cette finale", juge l'ancien international français. La performance du club tricolore est saluée par toute la presse européenne. Pour qualifier la victoire du club bavarois, la presse écossaise titrera "Un Larcin". Le quotidien espagnol Marca écrit, quant à lui, "Ce n'est pas le meilleur qui a gagné". Et pour The Sun, il est catégorique : "Le Bayern vole la Coupe aux Français".
Honorer les défaits, c'est aussi un sport très français. Malgré la désillusion, l'ensemble de l'équipe est accueilli en héros à Paris. Un défilé, réunissant cent mille supporters, aura lieu dès le lendemain sur les Champs-Élysées. Les vaincus seront reçus par le chef de l'État Valéry Giscard d'Estaing. "Messieurs, la France, c'est vous !", a déclaré le Président de la République. "Nous nous demandions ce qu'il nous arrivait. C'était incroyable, un moment extraordinaire", s'interroge toujours l'ancien capitaine des Bleus. "À l'époque, Saint-Étienne était la capitale de la France. Tout le monde se déplaçait à Geoffroy-Guichard pour nous voir jouer". Alors, qui c'est les plus forts ? Évidemment, c'est les Verts !
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