: Enquête franceinfo Malgré leurs soutiens locaux, les dirigeants du Mulhouse Olympic Natation poussés vers la sortie à la suite d'un audit accablant
Empêtré dans les affaires judiciaires, scruté par les audits financiers lancés par les collectivités, le club de natation de Mulhouse, l’un des plus prestigieux en France, est dans la tourmente. Ses dirigeants, la famille Horter, sont aujourd’hui sur la sellette.
Cela ressemble à désaveu. Le début de la fin d’une histoire qui a commencé il y a une vingtaine d’annéeS. Le 20 mai dernier, l’agglomération de Mulhouse (M2A) a annoncé qu’elle allait résilier les conventions qui la lient depuis dix ans au Mulhouse Olympic Natation (MON). Depuis plusieurs mois, les procédures judiciaires et les questions s’accumulent autour de la gestion de ce grand nom de la natation française et de ses dirigeants, la famille Horter. Le MON est l’un des clubs les plus titrés en France. Il a notamment vu passer Amaury Leveaux, Laure Manaudou, Yannick Agnel, Coralie Balmy… Il est aussi le club qui a formé la première championne du monde française, l’actuelle ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu.
La gestion du centre d’entraînement retirée au club
Depuis 2011, le MON profite d’une situation que beaucoup de ses concurrents lui envient. Il bénéficie pour son usage exclusif d’un bassin de 50 mètres extérieur, chauffé été comme hiver, et de ses équipements annexes. Cette piscine, payée sur fonds publics, lui a été confiée par convention pour 16 ans. Un bail exceptionnellement long pour un équipement public. Depuis dix ans, le club y fait nager ses champions, mais aussi les familles aisées de l’agglomération qui, moyennant des abonnements pouvant coûter jusqu’à 600 euros par an, viennent profiter des installations. Au fil des années, le MON est devenu une institution locale incontournable, un club aux relais politiques et médiatiques puissants. Mais au 1er janvier 2022, tout cela sera rayé d’un trait de plume. L’agglomération a décidé de reprendre la gestion de "sa" piscine, conséquence des révélations qui s’enchaînent ces derniers mois et sèment le doute sur la gestion du club.
En octobre 2020, une enquête de la Cellule investigation de Radio France révélait notamment que le club avait été condamné à payer 60 000 euros à son ancien nageur, Yannick Agnel, pour des contrats non honorés. Dans le même temps, le père d’une ancienne nageuse du club, Jean-François Bernard, avait porté plainte à la suite d'une aide financière promise par le MON qu’il n’avait jamais reçue. Le 29 mai, le club a été mis en examen dans cette affaire, pour tentative d’escroquerie, et son ancien président, Laurent Horter, placé sous le statut de témoin assisté. Le juge soupçonne les dirigeants du club d’avoir tenté d’intimider la famille Bernard en lui envoyant une "facture" de plus de 5 000 euros pour des prestations prétendument dues suite au passage de leur fille dans le club.
L'enquête préliminaire se poursuit
Mais cette affaire n’est pas la plus sérieuse qui menace la famille Horter. Depuis janvier 2020, la section financière de la police judiciaire de Mulhouse s’intéresse de près aux comptes du club et à l’environnement financier de la famille Horter, notamment de Franck, actuel président du MON, et de son frère Lionel, l’entraîneur du club. "C’est une enquête économique et financière assez complexe, qui concerne les activités d’un point de vue général du MON", expliquait récemment à l’AFP, la procureure de la République de Mulhouse, Edwige Roux Morizot, qui ajoutait : "On n’est pas du tout à la fin de l’enquête." D’après nos informations, les investigations portent sur de possibles détournements de fonds publics et fraude fiscale, notamment. Contacté, le président du club, Franck Horter n’a pas souhaité répondre à nos questions. Son avocat, Pierre Schultz, explique que le MON "conteste l'existence d'une infraction pénale, et mettra tout en œuvre pour prouver sa bonne foi".
Lorsqu’ils ont appris l’existence de cette enquête, en octobre 2020, les élus de M2A, le principal financeur, ont réitéré leur soutien au club. "On essaie de le soutenir au maximum parce que, sinon, on risque de se retrouver avec une coquille vide à la place de son centre d’entraînement", expliquait dans L’Alsace le vice-président de M2A en charge des sports, Daniel Bux. Les dirigeants de l’agglomération n’ont pas eu non plus à essuyer les attaques d’une opposition quasi-inexistante dans son hémicycle. "Il faut bien comprendre que le MON, ici, c’est un peu comme l’OM à Marseille, une institution, explique un bon connaisseur du dossier. Personne n’ose taper trop fort parce que personne ne veut être le fossoyeur du club."
Un audit accablant pour le club… et la collectivité locale
Malgré tout, suite à ces révélations, l’agglomération a lancé un audit sur les comptes du club. Ce dernier est composé de deux structures : une association pour la partie sportive, et une société commerciale, MON Club, propriété de la famille Horter, pour la partie "loisirs". Confié au cabinet Ernst & Young (EY), cet audit a été remis au président de la M2A, Fabian Jordan, il y a quelques semaines, mais à ce jour, il n’a pas été rendu public. Certains conseillers d’opposition en ont demandé la communication, comme Joseph Simeoni. "Il me paraît normal qu’on puisse l’avoir afin de pouvoir débattre de la gestion du centre d’entraînement qui appartient à la collectivité, explique-t-il quand nous l’avons joint. Mais ils se sont bien gardés de me répondre", déplore le conseiller du groupe de gauche "Mulhouse cause commune". Tout juste a-t-il eu droit, comme les autres élus, à un mail de l’exécutif l’informant que l’audit "pointe un certain nombre de marges d’amélioration".
En fait de "marges d’amélioration" le document, auquel la cellule investigation de Radio France a pu avoir accès, dresse le constat accablant d’un club en situation financière difficile, d’un équipement public sur lequel la collectivité a complètement perdu le contrôle. Il fait état de subventions dont il est impossible de savoir si elles sont utilisées aux fins auxquelles elles étaient destinées et de mouvements d’argent difficilement compréhensibles entre le club et certaines sociétés appartenant aux membres de la famille Horter.
Le cabinet d’expertise prend cependant bien soin de préciser en préambule que ce rapport ne peut en aucun cas être considéré comme un "audit", car les experts comptables n’ont pas pu avoir accès à suffisamment de documents pour qu’il soit considéré comme tel.
Un modèle économique "critiquable"
Premier constat : la situation financière du MON est très dégradée. Fin 2019 (date des derniers comptes auxquels les auditeurs ont pu avoir accès), "les deux structures (l’association et la société commerciale) présentent des fonds propres négatifs et des modèles économiques déséquilibrés", notent les auditeurs. Les comptes du MON sont systématiquement déficitaires depuis des années, au point que cela semble être devenu un mode de gestion. Les experts d’Ernst & Young sont même sévères avec les dirigeants du club : "Ce modèle économique est d’autant plus critiquable que le MON ne supporte pas l’intégralité de charges étant donné que les frais de fluide sont à la charge de M2A", écrivent-ils. L’agglomération paie effectivement les (énormes) frais d’eau et de chauffage notamment, aux alentours de 400 000 euros par an. Le rapport s’étonne du "manque d’alerte" des commissaires aux comptes qui ont pourtant validé les bilans du MON et de MON Club année après année.
Autre point soulevé par les experts : le mélange des genres entre l’association, subventionnée par la collectivité, et la société privée gérant la partie loisirs de la piscine. Il apparaît par exemple que les agents d’accueil étaient exclusivement employés par l’association, donc financés principalement sur fonds publics, alors qu’ils remplissaient également des missions pour la société MON Club, propriété de la famille Horter. Le rapport note que les flux d’argent existant entre les deux structures sont parfois inexplicables, et inexpliqués.
En clair, l’argent public versé à l’association peut atterrir in fine dans les caisses de la société privée sans que l’on comprenne bien pourquoi. Les auditeurs constatent enfin que les dirigeants du club se rémunèrent au travers de contrats d’image ou de conseil passé avec une société appartenant à Franck Horter (alors que celui-ci affirme qu’il est "bénévole"). À leur sens la gestion de l’association est "intéressée", ce qui signifie qu’elle devrait être soumise aux impôts sur les sociétés, alors qu’elle n’en paie pas.
Un manque de transparence sur l’utilisation des fonds publics
Les investigations des auditeurs ont été limitées par l’absence de comptabilité détaillée à leur disposition. Le rapport pointe le fait que l’agglomération de Mulhouse ne reçoit aucun justificatif précis sur l’utilisation que fait le club des près de 500 000 euros de subventions qu’il reçoit tous les ans. La société MON Club ne publie aucun rapport d’activité. Les conventions passées avec la collectivité publique prévoient pourtant que le club doit transmettre à M2A des justificatifs détaillés, mais il semble ne pas l’avoir fait, "malgré les sollicitations de M2A", précisent les experts. Dans un précédent audit du club, d’octobre 2020, commandé la région Grand Est et réalisé par le cabinet Deloitte, les rapporteurs avaient déjà déploré “l'impossibilité de tracer l’utilisation des subventions publiques du fait de l’absence d’une comptabilité analytique ou de documentation interne”.
Sur une trentaine de pages, le rapport Ernst & Young énumère aussi un certain nombre d’irrégularités potentielles ou avérées dans les relations entre le club et son principal financeur. Certaines font peser un risque juridique sur la collectivité. Les auditeurs formulent donc plusieurs préconisations. Ils recommandent de retirer la gestion de l’équipement au club et de renforcer à l’avenir le contrôle de l’utilisation des subventions publiques par le MON. Ils ajoutent : "La réflexion devra intégrer des sujets majeurs identifiés tels que la rémunération des dirigeants des entités et les liens familiaux existants." L’allusion est claire au fait que de nombreux membres de la famille Horter perçoivent, d’une façon ou d’une autre des revenus issus des deux structures ou en tirent des avantages. Outre Franck et Lionel, notre enquête d’octobre dernier avait notamment révélé que Marie-Eugénie Horter, leur mère, était toujours salariée de MON Club, à 75 ans, et que leur père, Laurent, accompagnait les stages du club en Thaïlande pendant trois semaines.
À la lecture de ce rapport, les élus de M2A, malgré leur soutien affiché au MON, ont décidé de remettre de l’ordre dans leur propre maison. Le 20 mai 2021, ils ont donc annoncé qu’ils allaient dénoncer les conventions les liants aux deux structures et qu’ils envisageaient la reprise en régie publique du centre d’entraînement de l’Illberg. Le MON deviendrait alors un utilisateur, parmi d’autres, de ce qui était jusque-là son outil quasi exclusif. Une déchéance pour un club dont le pouvoir était si important il y a une quinzaine d’années qu’il était capable de convaincre les élus mulhousiens, Jean-Marie Bockel en tête, de lui construire un outil ultramoderne et de lui en laisser les clefs, sans autre contrepartie que la promesse de médailles mondiales et de "rayonnement" de l’image de la ville
Un club en perte de vitesse sur le plan sportif
Sauf que, au plan sportif également, le standing du club a chuté vertigineusement. Le MON pointe désormais à la 43e place au classement des clubs français de la fédération. Il n’enverra que huit nageurs aux prochains de championnats de France à Chartres, quand Toulouse aura 47 représentants, ou Marseille 33. Lors des derniers championnats d’Europe, le club alsacien n’avait qu’un seul qualifié en équipe de France, Clément Bidard, repêché in extremis. Pour redorer son blason, les dirigeants ont bien tenté en 2020 de faire revenir leur ancienne star, Amaury Leveaux, avec la promesse d’un improbable come-back pour les JO de Tokyo. Mais l’aventure s’est terminée dans l’aigreur, dans un échange d’amabilités par médias interposés. L’ancien champion olympique reprochait à son entraîneur, Lionel Horter, de ne pas être suffisamment présent, lequel lui répondant qu’il n’a jamais été suffisamment assidu pour retrouver son niveau passé…
Le plus dur reste cependant peut-être à venir pour le club. Du côté de l’agglomération mulhousienne, on explique que "les critères d’attribution des subventions vont être resserrés et que les contrôles sur leur utilisation vont être renforcés". Ce lundi 7 juin, les élus doivent se réunir en bureau afin d’acter officiellement la fin des conventions avec le club et la SARL.
La famille Horter va probablement devoir liquider la société qui gérait la partie loisirs de l’équipement. Mais dans ces conditions, l’association est-elle également menacée, au regard de sa situation financière dégradée et des incertitudes qui planent sur le futur niveau des financements publics dont le club est totalement dépendant ? Le président du MON, Franck Horter, n’a pas souhaité répondre à cette question qui est pourtant aujourd’hui posée. Les experts d’Ernst & Young estiment qu’une baisse importante des subventions est "difficilement envisageable compte tenu de la situation financière dégradée de la structure".
Le président de l’agglo rencontre la ministre mais ne parle pas du MON
Le MON est un monument de la natation française, c’est aussi le club formateur de Roxana Maracineanu qui y est revenue plusieurs fois depuis qu’elle est devenue ministre des Sports. Elle s’était également impliquée dans la campagne électorale de Franck Horter, lorsqu’il figurait en deuxième position de la liste LREM, finalement battue, aux municipales à Mulhouse. Dans l’entourage de la ministre, on ne conteste pas qu’elle garde de forts liens d’amitié avec la famille Horter. La fille de Franck Horter est d’ailleurs actuellement stagiaire ("non rémunérée" nous précise-t-on) au ministère. Le 28 avril dernier, Fabian Jordan, le président de l’agglomération mulhousienne a été reçu officiellement par la ministre pour "échanger sur de nombreux dossiers et projets" mulhousiens, a-t-il publié sur son compte Twitter. Le MON étant le seul "club d’intérêt communautaire" à Mulhouse, on aurait pu croire qu’il aurait été au menu des échanges. Nous leur avons donc demandé s’ils avaient parlé de sa situation. Tous les deux nous ont assuré que non.
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