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En National 2, les temps sont durs pour les "smicards du ballon rond"

Alors que la Ligue 1, la Ligue 2 et le National se poursuivent à huis clos, la Fédération Française de Football a décidé, le 29 octobre dernier, d’interrompre les championnats de National 2 et National 3. En quatrième division, où plusieurs centaines de joueurs sont sous contrat fédéral, les footballeurs sont parfois au chômage partiel et ne touchent plus de primes de match ou d’indemnités, entraînant pour certains des pertes financières importantes.
Article rédigé par Hortense Leblanc
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
  (HELGE PRANG / GES-SPORTFOTO)

Des joueurs qui vivent du football grâce à des salaires variant du SMIC à 8000€ par mois, et d’autres qui exercent une profession en dehors du ballon rond. Voilà la réalité du National 2, rendue possible par les contrats fédéraux, permettant la rémunération des footballeurs, sans leur donner le statut de professionnel.

"Le N2, c'est une division amateur avec beaucoup de disparités entre les différents clubs […] Je ne trouve pas ça forcément normal que certains clubs aient autant de joueurs salariés pour jouer à ce niveau". Dans un entretien au Parisien le 30 octobre dernier, Noël Le Graet, le président de la FFF, s’interrogeait sur les différences de moyens des clubs de quatrième division. Parmi les soixante-quatre équipes évoluant dans ce championnat, 12 sont des réserves des clubs de Ligue 1 et Ligue 2, et les 52 autres sont des clubs amateurs. Pour ceux-ci, le site footamateur.fr avance une moyenne de 8,2 joueurs sous contrat fédéral par club, avec de grosses disparités entre le CS Sedan-Ardennes, qui en compte 23, et le Stade Montois ou Moulins Yzeure Foot… qui n’en ont aucun.

Ce sont ces joueurs que Jean-Pascal Gayant, économiste et professeur à l’université du Mans, appelle "les smicards du ballon rond". Il estime que les footballeurs sous contrat fédéral "gagnent en moyenne 1500€ brut par mois, voire moins". Ces revenus, bien éloignés de la moyenne de 94 000€ par mois en Ligue 1, font du National 2 un championnat à la croisée des chemins entre le professionnalisme et l’amateurisme, permettant à certains joueurs de vivre du football, tandis que d’autres sont embauchés par leur club pour d’autres tâches, et que certains exercent un tout autre métier, ne touchant que des primes de match ou des indemnités.

Dans certains clubs, des joueurs "professionnels sans en avoir le statut"

Au Gazelec Ajaccio, relégué en N2 après l’interruption du National en raison du premier confinement, le président Mathieu Messina-Arrighi et les autres actionnaires, soutenus par leurs partenaires et les institutions locales, ont bâti un budget conséquent de 2,3 millions d’euros pour remonter en troisième division: "On fait partie des plus gros budget de N2, avec des joueurs qui ne se consacrent qu’au football et un salaire moyen de 1900€ brut par mois", dit-il. Pour autant, avec une perte de 20 000€ à cause d’une campagne d’abonnements chaotique, et sans visibilité sur le reste de la saison, le Gazelec a divisé les primes de match de moitié. Une situation bien acceptée par les joueurs, selon leur président: "Je suis content de nos gars, ils supportent le club à 100% et voient bien qu’on fait le maximum". Avec ce deuxième confinement, ils sont maintenant au chômage partiel. "Il va leur manquer un petit reliquat de salaire, qu’on va essayer de compenser", affirme Mathieu Messina-Arrighi.

Chez un autre relégué, au Puy Foot 43, les joueurs sous contrat avec le club sont eux aussi au chômage partiel. Ils touchent donc 84% de leur salaire net, et le président Christophe Gauthier doit prochainement statuer sur une possible compensation des 16% restants.  "Ici, on a des salaires plutôt bons, qui nous permettent de ne faire que du foot. En fait, on est pro, mais sans en avoir le statut", explique Alexy Bosetti, l’ancien Niçois et vedette du club. Mais même en étant l’un des joueurs les mieux payés de N2, avec un salaire "autour de 8000€ nets par mois", il est conscient des difficultés rencontrées par certains de ses adversaires: "Il y a des joueurs précaires dans ce championnat, qui touchent très peu."

"On va se serrer la ceinture"

En Alsace, Lilian North prépare les concours d’entrée d’une école de kinésithérapie. Trois à quatre fois par semaine, le soir, il retrouve ses coéquipiers du FR Haguenau, un club aux moyens bien éloignés de ceux du Gazelec Ajaccio ou du Puy Foot 43: "On joue au même niveau, mais en terme de budget, ce n’est pas comparable. On sent que c’est un autre monde". Le club alsacien compte seulement trois joueurs sous contrat fédéral, et le premier confinement avait déjà tapé sur les finances du club. Selon Quentin Bur, attaquant et étudiant, qui est embauché par le club en alternance en tant que chargé de relations avec les partenaires, le FRH a demandé un effort financier aux joueurs: "Les primes de match ont diminué de 50€, deux ou trois contrats fédéraux ont été supprimés, et les indemnités de déplacement ont aussi été abaissées".

En attendant la reprise du championnat, le footballeur est au chômage partiel, et comme ses coéquipiers, il ne touche plus de primes ni d’indemnités de déplacement: "C’est un revenu divisé par deux environ pour moi. On va se serrer la ceinture en espérant que ça ne va pas durer trop longtemps". Son coéquipier Erwan Madihi estime que les pertes financières pour les joueurs de Haguenau s’échelonnent entre 100 et 500€ par mois, selon les indemnités et les contrats négociés avec le club :  "Les primes mettent du beurre dans les épinards, et ceux qui ont des petits contrats comptent parfois dessus pour payer leurs factures". Même situation au Paris 13 Atletico, où l’attaquant Cheick Touré ne sait pas encore s’il va toucher l’intégralité de sa rémunération fixe de 1000€ par mois: "Ça m’inquiète un peu, j’envisage fortement de reprendre un petit boulot à côté du foot". Dans ces circonstances, "c’est une chance d’avoir un travail en dehors du foot, où l’on peut compter sur un salaire" soutient Quentin Bur, qui espère que le championnat pourra reprendre et que les matchs seront reportés avec les primes qui les accompagnent.

Moins de contrats fédéraux à l’avenir ?

Le premier confinement et ses conséquences économiques n’ont, semble-t-il, pas eu d’influence sur le nombre de contrats fédéraux en N2. Le championnat en comptait 437 la saison dernière, contre 436 à l’heure actuelle. Pour autant, la crise se poursuivant, les clubs vont devoir continuer à puiser dans leurs économies: "Pour l’instant, les clubs qui le peuvent ont tendance à compenser la perte économique pour leurs joueurs en leur versant un complément au chômage partiel. Leurs revenus variables sont déjà touchés puisqu’ils ne touchent plus de prime de match, donc à Saint-Malo, on a décidé de les accompagner en payant la totalité de leur revenu fixe" , explique Fabrice Rolland, directeur général de l’US Saint-Malo, et membre d’un collectif informel rassemblant les dirigeants de N2. Pour autant, cette compensation financière ne pourra pas s’éterniser. "Si la situation sanitaire venait à durer, ça deviendrait problématique", s’inquiète-t-il.

Ses confrères et lui ont du mal à évaluer l’impact économique de la crise: "On ne sait pas quand on va pouvoir reprendre, et dans quel contexte. Il y a aussi des interrogations sur la poursuite de la Coupe de France, qui peut générer beaucoup de recettes". Christophe Gauthier, son homologue du Puy-en-Velay, n’est pas très optimiste: "Les partenaires vont s’interroger sur le bien-fondé de financer le football. Pour moi c’est une évidence : les clubs jusqu’au plus haut niveau auront moins de moyens pour payer les salaires". Le nombre de joueurs fédéraux diminuera-t-il pour les prochaines saisons ? C’est une possibilité que Fabrice Rolland n’écarte pas: "La masse salariale représente environ 50% du budget des clubs, certains s’interrogeront peut-être sur le fait de continuer à contractualiser des joueurs". En attendant la fin du confinement, et le retour à la normale, les équipes de N2 continuent à s’entraîner, mais encore une fois, avec de grandes disparités. Celles qui sont constituées majoritairement de joueurs sous contrat fédéral peuvent se réunir, avec tout leur effectif. Pour les autres, seuls les footballeurs fédéraux sont autorisés à fouler les rectangles verts.

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