Du sport à la politique, il ny a quun pas
Passé la trentaine, un sportif de haut niveau sait quil ne lui reste plus que quelques années à vivre de ses performances et, sil a un peu de bon sens, sest déjà penché sur sa reconversion. Certains préfèrent rester dans le milieu du sport, dautres choisissent de tourner définitivement la page, et de se lancer par exemple dans le domaine artistique avec la chanson pour Yannick Noah, ou le cinéma à linstar dEric Cantona. Dautres encore prennent des chemins radicalement opposés, jusquà se lancer dans le monde a priori si éloigné de leur univers, celui de la politique. Mais entre le sport et la politique, les similitudes sont plus nombreuses que lon pourrait le penser.
Alain Calmat, le précurseur
Cest peut-être à Alain Calmat que lon doit ces vocations dhommes politiques chez les sportifs. Lancien champion du monde de patinage artistique avait été en effet le premier sportif à devenir ministre (délégué) des Sports, en juillet 1984. Sous le gouvernement de Laurent Fabius, le vice-champion olympique 1964 aura assuré cette fonction ministérielle pendant près de deux ans. Il aura depuis enchaîné avec plusieurs mandats de député. Depuis, pas moins de neuf sportifs de haut niveau ont assuré des fonctions au gouvernement, mais leurs missions nont parfois eu aucun rapport avec lunivers sportif. On sait sans doute moins que Christian Estrosi a terminé deuxième du Bol dOr avant dentamer une carrière en politique. Ce nest donc pas sur ses connaissances sur les sports mécaniques quil a été nommé Ministre délégué à lAménagement du Territoire, puis Secrétaire dEtat chargé de lOutre-Mer, et enfin Ministre chargé de lIndustrie. Aujourdhui député des Alpes-Maritimes et maire de Nice, celui que lon a surnommé le "motodidacte" fait partie intégrante du paysage politique de la France.
Des hommes dimage
Avoir été sous le feu des projecteurs pendant de longues années marque une personnalité. Se retrouver sans la moindre sollicitation médiatique du jour au lendemain donne limpression dun vide. Pour le combler, prendre le chemin de la scène politique peut représenter une solution. Et se retrouver en politique revêt un atout majeur. La notoriété que se sont créés les sportifs professionnels à travers leurs performances leur permet douvrir des portes là où dautres débutants en politique buteraient. Et certains dirigeants politiques ont bien compris quil y avait parmi ces sportifs en quête de reconversion, un filon, une manne dor extraordinaire à exploiter. Selon Jean-Marie Brohm, professeur de sociologie à l'Université de Montpellier, tout a débuté en 1936, avec les JO de Berlin. "Avec l'intrusion de la télévision dans la retransmission des compétitions, vous assistez à un tropisme naturel des hommes politiques par rapport aux sportifs. Tout naturellement les hommes politique profitent du charisme des sportifs", explique-t-il.
Plutôt de droite
Cest ainsi par exemple que Georges Frêche (PS) avait convaincu Joël Abati de sinscrire sur sa liste aux régionales et le handballeur a bien été élu au Conseil régional de Languedoc-Roussillon. Même destin de Conseiller régional pour Gwendal Peizerat, qui a été recruté par Jean-Jack Queyranne (PS) dans le département du Rhône. Le champion olympique de patinage artistique (2002) se décrit comme "un pur produit de la société civile mais proche de la gauche depuis toujours". Il semble que les sportifs de haut niveau sont plus orientés à droite qu'à gauche. Selon Pascal Boniface, Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), cette tendance s'explique "d'une part parce que la plupart des champions ont un niveau de vie qui les situe plutôt dans les couches plus aisées et favorisées de la société. On lexplique également par le culte de la performance, qui est plus considéré à tort ou a raison comme une valeur de droite. Peut-être aussi que la droite a mieux créé des réseaux avec les sportifs de haut niveau" (voir l'interview complète).
Si une grande majorité de ministres anciens sportifs est marquée à droite (Guy Drut, Jean-François Lamour, Bernard Laporte, David Douillet) au niveau national, et régional, la logique semble inversée. Et tous les sports sont représentés, que ce soit lathlétisme avec par exemple Stéphane Caristan, maire adjoint (PS) de Créteil, le rugby avec Christian Califano, Conseiller régional (PS) de Midi-Pyrénées, ou encore la boxe avec Myriam Lamare, également Conseillère régionale (PS) en région PACA. Même si ils sen défendent, les dirigeants politiques y trouvent forcément leur compte en affichant sur leur liste le nom dun ancien sportif.
La Marseillaise autrement
Pour l'actuel ministre des Sports David Douillet, cette transition n'était pas une évidence. "Après avoir comblé mes rêves denfant et réalisé mes rêves sportifs, javais besoin de réaliser de nouveaux défis", explique-t-il. "Je me suis alors lancé dans le monde de l'entreprise, jai un temps travaillé dans les médias... On oublie souvent que près de 10 ans ont passé entre la fin de ma carrière sportive et mon entrée en politique. La politique, j'en avais envie, mais cela sest fait progressivement", précise le double champion olympique (voir l'interview complète). Cette reconversion qui se fait rarement par vocation est également un moyen pour lancien sportif de retrouver des symboliques qui lui ont parfois permis de se transcender pendant les compétitions. Quoi de plus émouvant pour un sportif de faire résonner la Marseillaise après avoir remporté un titre ? Un peu comme une médaille d'or aux Jeux Olympiques, quoi de plus glorifiant pour un ancien sportif que de devenir Ministre des Sports, le Graal en quelque sorte. Cela permet de garder à la fois le contact avec sa première passion, profiter de son passé d'ancien sportif pour à la fois obtenir une certains légitimité et mieux appréhender ses dossiers. Passer du sport à la politique permet sans doute aussi de retrouver cet aspect plus noble de la politique, celui de servir son pays. Pour David Douillet, les points communs entre le sport et la politique sont très nombreux. "Lengagement total, limplication au quotidien, le don de soi On retrouve le même engagement en politique: pour faire bouger les choses, pour convaincre les gens, il faut s'y consacrer pleinement. Il faut se battre pour gagner !", estime-t-il.
Pelé, Vatanen et les autres
Partant de ce principe, la reconversion des sportifs de haut niveau en politique se vérifie également à l'étranger, et ce, sur tous les continents. Le plus connu est probablement Pelé. Triple champion du monde de football, le Brésilien a profité de son aura pour se retrouver Ministre des Sports de 1994 à 1998. Dans le même cas de figure, Georges Weah, le premier Africain à obtenir le Ballon d'Or, aurait même pu devenir président du Libéria. S'il n'avait probablement pas l'expérience politique et le crédit suffisants pour battre au deuxième tour léconomiste Ellen Johnson-Sirleaf, l'ancien joueur du PSG avait tout de même recueilli 40 % des voix lors de l'élection présidentielle de 2005. "Le sportif incarne lidentité nationale, qui nest pas toujours incarné par la classe politique en Afrique, explique Pascal Boniface. "Mais vous avez également ce genre de chose aux Etats-Unis, où de très nombreux anciens sportifs professionnels se reconvertissent dans la politique", affirme-t-il. C'est le cas par exemple en Russie, où Marat Safin -retraité des courts de tennis en 2009- a été élu en décembre dernier à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe. "J'ai longtemps réfléchi à me lancer dans la politique (...) C'est une nouvelle vie, une nouvelle façon de penser, d'agir, qui n'a aucun rapport avec le tennis ou le sport en général", avait à l'époque indiqué l'ancien N.1 mondial de tennis. Mais l'exemple le plus parlant est sans doute Ari Vatanen. Champion du monde des rallyes en 1981 et quadruple vainqueur du Dakar (1987, 1989, 1990 et 1991) le Finlandais est devenu député européen en 1999.
La légitimité en question
Le nombre d'anciens sportifs devenus ministre des Sports est bien plus élevé que le nombre d'anciens médecins devenus ministre de la Santé (comme l'a été Philippe Douste-Blazy), d'anciens enseignants devenus ministre de l'Education nationale (Jack Lang) ou d'Ultramarins devenus ministre de l'Outre-Mer (Marie-Luce Penchard). La logique est pourtant la même, mais il semble que le lien soit plus logique aux yeux des décideurs politiques lorsqu'il s'agit de sport. Et paradoxalement, quitter les survêtements pour le costume-cravate n'est pas forcément le plus évident. Le grand public, et peut-être plus encore le monde de la politique lui-même, peuvent avoir quelques réticences à l'égard d'anciens sportifs reconvertis. "Mon élection à lAssemblée Nationale était le gage de ma légitimité", explique David Douillet. "En tant que ministre des Sports, certes je connais le monde sportif pour faire partie de la famille du sport, mais cest un peu réducteur ! Cest pour moi un autre défi à relever, dans la continuité de mon engagement en politique, et dans lequel je minvestis pleinement", indique-t-il.
Il n'est pas nécessaire d'avoir fait l'Ecole nationale d'administration pour se lancer en politique, pas plus qu'il n'existe de contre-indications lorsque vous venez du milieu sportif et vous vous tournez vers une carrière politique. La qualité des hommes ou des femmes et leurs compétences facilitera ou non la réussite de leur nouvelle carrière. "On peut très bien avoir de bons ministres des Sports qui nont pas été eux-mêmes danciens sportifs de haut niveau, et on peut très bien avoir danciens sportifs de haut niveau qui ne soient pas dexcellents ministres des Sports. Il faut vraiment juger les compétences, et les capacités de sadapter au costume de Ministre des Sports, qui nest pas un rôle facile", explique Pascal Boniface. "Il faut après se méfier de savoir si lon fait appel aux sportifs pour leurs compétences réelles, ou uniquement pour être présent sur la photo. Est-ce quils sont cautions, ou réels appoints, qui ont leur propre espace et leur propre autonomie politique ?", s'interroge le Directeur de l'IRIS.
David Douillet: "La politique, j'en avais envie"
Double champion olympique de judo, David Douillet fait aujourd'hui partie de la scène politique française. D'abord député des Yvelines, l'actuel Ministre des Sports avait auparavant officié en tant que Secrétaire d'Etat, Chargé des Français de l'étranger. Dans un entretien exclusif, l'ancien sportif de haut niveau nous explique sa reconversion en politique.
- Lire l'interview de David Douillet
Pascal Boniface: "La politique est un défi" pour certains sportifs
Pascal Boniface est un observateur de la vie politique française, mais aussi du sport. Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), il a notamment présidé la Commission de prospective sur l'avenir du football auprès de la Fédération française de Football et est aujourd'hui Secrétaire général de la Fondation du football. Nous l'avons interrogé sur le phénomène de la reconversion des sportifs de haut niveau en politique.
- Lire l'interview de Pascal Boniface
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.