Drame de Furiani : une loi pour ne pas oublier ?
Le 5 mai 1992, une tribune provisoire du stade Armand-Césari s’effondrait, quelques minutes avant la demi-finale de Coupe de France entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille. Montée à la hâte pour la réception du grand OM de Tapie, l’édifice laisse un bilan terrible : 18 morts, 2 300 blessés. Le plus grand drame de l’Histoire du sport français. Depuis, tous les 5 mai, l’émotion est vive. Cette date, le collectif des victimes de la catastrophe veut la sanctuariser, en interdisant tout match de football professionnel ce jour-là, sachant que depuis 2015, il n'y a pas de match lorsque le 5 mai tombe un samedi. Ce à quoi s’opposent les instances du football. A l’initiative du député de Haute-Corse Michel Castellani, le projet de loi a été adopté en première lecture par l'Assemblée ce jeudi.
Le ballon rond au Palais Bourbon
Né à Bastia et supporter du Sporting, Michel Castellani est à l’initiative ce projet de loi. Il explique pourquoi : "J’étais au stade ce jour-là, deux rangs devant la partie de la tribune qui s’est écroulée. Mon fils était plus haut, je lui ai dit de me rejoindre quand j’ai vu la solidité de la structure. Tous n’ont pas eu cette chance". Témoin du drame, ce docteur en sciences économiques devenu député profite aujourd’hui de son rôle de parlementaire pour en entretenir la mémoire :" J’ai entendu un bruit énorme dans mon dos, comme un train qui passe, et puis il n’y avait plus rien. C’était horrible".
Vingt-sept ans plus tard, il a porté cette proposition de loi devant l’Assemblée nationale, visant à geler les matches de football professionnel (Ligue 1, Ligue 2, National 1) tous les 5 mai. "Nous avons promis au collectif des victimes qu’à la moindre niche, on essaierait d’inscrire cette demande dans la loi", racontait le député avant le vote. Il poursuivait : "A l’Assemblée, chaque groupe parlementaire dispose d’une journée où il peut porter les propositions de lois qu’il souhaite. Ce jeudi, c’est notre tour", indiquait-il. Et voilà comment ce débat footballistique s'est invité au Palais Bourbon.
L'immobilisme des instances de football
Avant le vote , la présidente du collectif de victimes de la catastrophe Josepha Guidicelli attendait le vote avec impatience : "Le gel des matches le 5 mai, c’est une lutte qu’on mène depuis des années contre les instances. Mais c’est quand même regrettable qu’on en arrive à passer par la politique et le Parlement pour régler cette affaire". Pour le député Castellani, si les instances du football n’ont jamais pris cette requête au sérieux, il y a une raison autre que les problèmes de calendrier : "Elles considèrent que c’est un fait divers corso-corse, alors que ce drame dépasse le cadre de la Corse. C’était une demi-finale de Coupe de France, cela concerne tous ceux qui aiment le football et le sport".
Adopté à l’unanimité en commission par tous les groupes parlementaires, le texte a été voté à la quasi unanimité à l’issu du débat : "Il s’agit d’une loi particulière, qui instaure un évènement mémoriel et qui fait appel à la conscience de chacun plutôt qu’à la sensibilité politique. Elle n’est pas clivante", expliquait Michel Castellani. La majorité semble acquise à la cause, et la ministre des Sports Roxana Maracineanu, qui avait déclaré en avril "ne pas avoir forcément d’avis sur la question", devrait prendre la parole lors du débat. "Je ne l’ai pas rencontrée directement, mais j’ai pu échanger avec son staff. Je ne doute pas qu’elle a maintenant un avis sur la question", glissait Michel Castellani.
Méfiance malgré l'unanimité
Pourtant, du côté du collectif, on restait prudent : "Tant que ce n’est pas voté, on ne sait jamais. Je ne doute pas que les instances vont essayer d’entraver cette proposition de loi… ", se méfiait Josepha Guidicelli. Contactée, la Ligue de football professionnel ne cache pas son opposition : "La FFF et la LFP ont formulé une proposition alternative visant à mettre en place une commémoration renforcée sur tous les terrains de France plutôt qu’un gel des matchs, afin de soutenir la démarche de commémoration de cette catastrophe nationale". Autrement dit, la Ligue préfère une commémoration avant chaque match disputé le 5 mai, plutôt qu’un gel des matches.
Qu’en sera-t-il si le texte est adopté, sachant que le Sénat doit encore l'examiner ? Pour Michel Castellani, son application ne ferait aucun doute : "Jusqu’à preuve du contraire, nous sommes dans une démocratie où les lois sont appliquées. Le football n’est pas au dessus d’elles". Du côté du collectif, cette potentielle victoire ne sonnera pas la fin du combat : "Au-delà de cette revendication, on mène un travail de devoir de mémoire de l’incident, et de sensibilisation des plus jeunes autour des dangers du sport", précise Josepha Guidicelli.
Comment commémorer ?
Reste alors la question de la pertinence de cette requête. En Angleterre, des matches sont joués les jours de commémoration de drames tels ceux du Heysel ou d’Hillsborough. Alors, pourquoi ne pas jouer le 5 mai ? "On ne doit pas forcément imiter les autres pays, les Anglais se souviennent comme ils veulent, avance Josepha Guidicelli. Si on ne veut aucun match le 5 mai en mémoire, c’est aussi parce que Furiani, c’est un drame causé par plusieurs responsabilités, du club à l'Etat, en passant par le constructeur. Tout le monde doit s’en souvenir, pas que le monde du foot".
Pour le député Castellani "il n’y a pas une bonne et une mauvaise façon de commémorer. Geler les matches ou faire des minutes de silence : les deux se défendent. Moi je préfère geler les matches". Sur le premier point au moins, l’élu corse est d’accord avec la LFP, qui conclu son communiqué ainsi : "Chacun peut légitimement avoir une conviction sur la juste manière d’honorer la mémoire des victimes d’un tel drame. En tout état de cause, il reviendra à la représentation nationale de trancher". Après l'Assemblée, la balle est maintenant dans le camp du Sénat.
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