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Thibaut Pinot revient sur son abandon : "Sur une jambe, j'étais encore là"

Quatre jours après son abandon déchirant sur le Tour de France, Thibaut Pinot est revenu pour l’Equipe sur ce qui restera sans doute comme la plus grosse désillusion de sa carrière. S’il se dit touché et meurtri, le leader de la Groupama-FDJ sait qu’il rebondira, comme il l’a toujours fait.
Article rédigé par Emilien Diaz
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
 

Loin des podiums et des paillettes des Champs-Elysées, loin de son équipe et de ce qui aurait pu être l’un des plus beaux moments de sa carrière de cycliste, Thibaut Pinot est parti se ressourcer, dans le Var, à côté du Lavandou. Pour oublier ? Non, pour ne pas voir, surtout. Oublier comment le pourrait-il ? Le Franc-comtois vient de vivre une véritable tragédie, une injustice terrible en quittant prématurément la route d’un Tour de France qu’il pouvait gagner, sur une blessure « très rare chez les cyclistes », selon les mots du directeur médical de la Groupama-FDJ Jacky Maillot. 

Cette déchirure, Pinot ne sait toujours pas comment il a pu la contracter. Dans un entretien exclusif accordé à l’Equipe ce mardi, le natif de Melisey explique avoir ressenti les premières douleurs au matin de la 18e étape entre Embrun et Valloire, qu’il finira sur une jambe, lessivé : "Dès les premiers coups de pédale, je sens que j’ai un nœud musculaire dans le vaste interne, mais je ne me suis pas inquiété (…) Au ravito en bas du col de Vars, il y a un truc qui s’est cassé et tout de suite dans ma tête, j’ai compris que ça allait être compliqué" explique le vainqueur du Tourmalet.

Compliqué ce le fut, terrible même, pour celui qui occupait encore la quatrième place du classement général avant cette étape. Bousculé dans le Galibier après l’attaque d’Egan Bernal, le Haute-Saônois n’a pas craqué. Blessé, il a tenu au courage, et même répondu à Geraint Thomas qui tentait de revenir en vain sur son coéquipier. "Dans l’Izoard, j’ai déjà très mal, et après, quand je suis dans la roue des Ineos dans le Lautaret, je suis limite à déjà lâcher" explique Thibaut Pinot, "Quand Bernal attaque, je ne cherche même pas à comprendre parce que j’ai la jambe droite, celle qui était bonne, complètement asphyxiée, et la gauche avec beaucoup de douleur au niveau du muscle. Pourtant j’arrive quand même à être presque le meilleur derrière Bernal au sommet. C’est la dernière image que j’ai de ce Tour. Sur une jambe, j’étais encore là" poursuit-il.

"J’ai compris que c’était mort"

Des mots forts, qui témoignent de toute la pugnacité avec laquelle le Français a dû se battre pour finir cette étape avec les favoris. Pourtant, l’illusion n’a pas duré bien longtemps. Arrivé à Valloire, Pinot a rapidement compris que ses chances de bien figurer sur l’étape du lendemain s’amenuisaient. Une fois de plus, son corps venait de le lâcher. "Dès que j’arrive (à Valloire), je vais au contrôle. Je m’assois, ça dure dix minutes et là, on avait un kilomètre et demi à remonter à vélo pour aller à l’hôtel. Je ne pouvais pas me mettre en danseuse ni pédaler. Là, j’ai compris que quoi que je fasse, le lendemain, ce serait mort".

Soutenu par ses proches, son staff et ses équipiers, Thibaut Pinot assure pourtant n’avoir jamais songé à abandonner le soir-même "Tu as toujours ce petit espoir que ça passe" assure-t-il, mais la douleur était trop forte, trop intense. "Le lendemain je fais tout pour être dans les premières positions pour éviter les relances, les à-coups. Et voilà, au bout du premier col, en bas de la descente, je ne peux plus pédaler du tout", explique le coureur de 29 ans, contraint à l’abandon avant-même l’ascension du col de l’Izeran.

Ces images de détresse, Thibaut Pinot va sans doute les ruminer longtemps, comme une grande partie des amateurs du Tour, chauvins ou non, mais qui avaient tous vu chez le Franc-Comtois une âme de futur vainqueur, celle d’un possible successeur à Bernard Hinault. "Tout s’effondre comme un château de cartes, en un kilomètre, tout ce que tu as construit en une saison… Même tout ce que j’avais reconstruit depuis le Giro, tout s’effondre de nouveau" raconte le troisième de la Grande Boucle 2014.

"On ne saura jamais"

"J’ai rêvé de ce que j’aurais pu faire si tout avait continué normalement. Me jauger face à Bernal dans l’Izeran (…) la dernière image que j’ai de moi avec lui, c’est quand je le lâche à Prat d’Albis. C’est ce que je retiens. J’avais quand même la poignée et lui a fini par gagner le Tour. Mais on ne saura jamais rien" regrette amèrement Pinot, qui semblait effectivement être le seul coureur capable de tenir tête au prodige colombien dans les Alpes.

Dans cet entretien accordé à l’Equipe, Thibaut Pinot avoue à plusieurs reprises avoir senti qu’il était dans la forme de sa vie "Je commençais à rêver, c’était peut-être le meilleur niveau que j’ai jamais eu" admet-il, non sans amertume d’avoir dû laisser le maillot jaune à un Bernal qu’il devançait pourtant au général, et ce malgré ses 1’40 perdues lors de la bordure d’Albi. "J’ai envie de dire oui", répond-il quand on lui demande s’il aurait suivi le Colombien dans le Galibier, "Je suis sur une jambe et j’en lâche certains au sommet, donc il y a des chances, oui" enchaîne-il.

S’il revient aussi longuement sur l’épisode de la bordure, le Franc-Comtois admet que cette déconvenue de la première semaine va l’aider dans sa reconstruction "Le destin a bien fait les choses. Quitter le Tour 4e ou le quitter à dix secondes du Maillot jaune, ce n’est pas la même chose" se persuade-il. D’autant qu’il n’est pas reparti bredouille de ce Tour de France. Thibaut Pinot a probablement signé au Tourmalet l’une des plus belles victoires de sa carrière, et ça personne ne pourra lui enlever "Je préfère gagner au Tourmalet et abandonner que de ne rien faire et arriver sur les Champs" poursuit-il, se faisant l’écho d’un Julian Alaphillipe ce dimanche, comme une pique aux Steven Kruijswijk et Emanuel Buchmann, arrivés respectivement 3 et 4e du Tour, sans panache. 

Se reconstruire

Thibaut Pinot pourrait se refaire un million de fois le film de la course dans sa tête, cela ne changera malheureusement pas son destin. Malheureux, malchanceux, presque maudit ? On pourrait le croire tant la vie n’a pas fait de cadeaux à la carrière sportive du champion. "Je n’ai jamais baissé les bras dans ma carrière, j’ai toujours tout surmonté" avoue-t-il, à raison. Mais comme après le Tour 2016, comme après le Giro 2018, comme toujours on aurait envie de dire, Pinot va se reconstruire : "Je ne sais pas le temps que ça prendra. Si ce sera d’ici la fin de saison (…) Il va falloir que je déconnecte de tout ça, on va parler beaucoup moins de vélo. Je vais me retrouver avec mes amis, je vais couper, profiter de la vie comme tout le monde, en vacances et ensuite je me retrouverai avec mon vélo à l’entraînement" assure le protégé de Marc Madiot.

S’il reconnaît, à froid, qu’il gardera  tout de même de bons souvenirs de cette grande Boucle, Thibaut Pinot affirme sans la moindre hésitation que cet abandon est à ce jour la plus grosse claque de sa carrière, "parce que c’est le Tour, et que je touchais quelque chose de grand" regrette-t-il. À 29 ans, le leader de la Groupama-FDJ n’est pas passé loin de l’apothéose, d’un sacre historique qui aurait fait passer sa carrière dans une autre dimension. Mais rien n’est terminé. Pinot reviendra, plus fort que jamais, et il le sait.

"Tous les coureurs ont un destin différent, personne n’a la même histoire, et heureusement (…) Bernal est né avec celui de gagner le Tour à 22 ans. Moi, je dois travailler, galérer pour peut-être arriver un jour à ce qu’il a fait" conclut Pinot. Certes le destin ne lui a pas permis de gagner le Tour cette année, mais le franc-comtois a gagné bien d'autres choses en ce mois de Juillet. Sa simplicité, son humilité, sa tendresse ont ému la France entière. Et ça, tout comme la victoire précoce de Bernal, personne ne l'oubliera. 

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