: Reportage Tour de France 2021 : le vélodrome de la Cipale, l'autre arrivée mythique de la Grande Boucle désormais oubliée
De 1968 à 1974, l’arrivée du Tour de France était jugée dans le Bois de Vincennes, sur la piste d’un vélodrome oublié : la Cipale.
A chaque 21e étape du Tour de France, c’est la même rengaine. On raconte à qui veut l’entendre la genèse de l’indéboulonnable arrivée sur les Champs-Elysées, en vigueur depuis 1975. Une idée soufflée à l’oreille de Valéry Giscard D’Estaing par le journaliste Yves Mourousi. Mais on parle beaucoup moins de la grande victime de cette nouvelle arrivée élyséenne : la Cipale.
Situé au sud du bois de Vincennes, ce vélodrome a accueilli l’étape finale de la Grande Boucle de 1968 à 1974 et a été le témoin des cinq sacres en jaune d’Eddy Merckx, vainqueur à quatre reprises sur cette piste. Mais alors que la frénésie des pédaliers va de nouveau retentir sur le pavé des Champs, dimanche 18 juillet, l’ambiance sera bien plus calme dans l’Est de la Capitale. La Cipale se tient désormais bien loin des paillettes d’autrefois.
Le royaume d'Eddy Merckx
"Je ne reviens pas souvent ici, je vous remercie de m’avoir invité. Ca me permet de me remémorer quelques beaux souvenirs, principalement cette victoire d’étape en 1973, mais aussi des tournois de vitesse, des exhibitions entre vainqueurs du Tour…". Costume bicolore sur le dos, sourire aux lèvres, Bernard Thévenet ne cache pas son plaisir de revenir sur un vélodrome qu’il a, comme beaucoup, peu à peu oublié. Le double vainqueur du Tour (1975, 1977) foule la piste de la Cipale, renommé Jacques-Anquetil en 1987. Rénovée entre 2012 et 2015, l’enceinte a gardé son âme du début du XXe siècle avec sa piste de béton de 500m et ses deux tribunes latérales en fer forgé où ne trônent pas des sièges mais des rangées de bancs, à l’ancienne.
Au centre de la piste, la pelouse synthétique du terrain de Rugby du PUC est la seule modernité d’un lieu où le temps, si important pour les cyclistes, semble s’être arrêté. Des plantes osent même s’aventurer sur les dernières rangées des tribunes. On est pourtant dans une place forte de l’histoire du sport français. Mémoire vivante du Tour de France, Jean-Paul Ollivier fait les présentations :"C’est un lieu historique : il y a eu les JO 1900, 1924, les compétitions pendant l’Occupation… À l’origine, c’était déjà un vélodrome d’avant-garde parce que sa piste avait été réalisée en ciment total, sans aucun joint". Surtout : sept arrivées finales du Tour ont été jugées ici entre 1968 et 1974.
Habitué à se conclure sur la piste du Parc des Princes depuis 1905, le Tour quitte l’ouest parisien en 1968 par défaut, plus que par envie : la future enceinte du PSG s’offre alors un lifting qui aura la peau de sa piste. Direction donc l’est de la Capitale et le bois de Vincennes, où la Cipale - terre olympique délaissée - ressuscite. Construit en 1896 avec des tribunes « modèle Eiffel », le vélodrome aujourd’hui classé monument historique fait alors déjà son âge.
"Cela détonnait un peu par rapport au Parc des Princes, même si c’était un beau vélodrome de 500m, il apparaissait un peu désuet."
Jean-Paul Ollivierà franceinfo:sport
Thévenet pour l'Histoire
Un peu à l’étroit mais sans vélodrome fixe, le Tour s’y installe pendant sept ans. "Ce n’est pas très grand. En réalité, c’était un peu spécial d’arriver ici parce qu’il y avait plus de monde avant l’arrivée, dans les rues de Paris, que dans le Vélodrome", sourit Bernard Thévenet, bien plus impressionné par la première arrivée sur les Champs-Elysées en 1975, où il s’était imposé pour son premier sacre sur la Grande Boucle : "La claque ! On arrive, on voit une foule énorme, une ferveur incroyable. Dès ce jour-là, j’ai compris qu’on ne reviendrait jamais sur un Vélodrome". Le Tour venait en effet de trouver une arrivée à sa démesure. Ce qui n’empêche pas Bernard Thévenet de remettre la Cipale au milieu du village, lui qui a gagné ici la dernière étape du Tour 1973, maillot de champion de France sur le dos, avant de terminer deuxième du général derrière Luis Ocana.
"Il n’y a que trois coureurs (4 en vérité, avec Willy Teirlinck, NDLR) qui ont gagné ici, Jan Janssen la première année, puis les années Merckx et moi au milieu quand il n’était pas là. J’ai gagné la bonne année, c’était celle à ne pas louper", se marre Nanard. "La Cipale était un petit vélodrome comparé au Parc des Princes qui était un temple, un forum extraordinaire. Ca faisait parent pauvre. Mais il y a eu de grandes victoires ici", tient à rappeler Jean-Paul Ollivier. La plus marquante restera sans doute la première, celle de 1968, qui a vu le sacre de Jan Janssen, vainqueur du contre-la-montre final et de son seul Tour. "On était content de voir le Néerlandais l’emporter, il était très populaire", se souvient Polo la Science, qui ajoute : "Mais ici, c’est surtout le palais d’Eddy Merckx qui a gagné tous ses Tour ici, il y a eu aussi l’arrivée de Luis Ocana".
En seulement sept ans, la Cipale a donc marqué durablement le Tour de France. Et même son patron, Christian Prudhomme : "Mon premier souvenir du Tour, c’est Janssen en 1968 à la Cipale, sur la TV en noir et blanc des parents, pour moi c’est comme si ça s’était toujours fini là. J’y étais récemment, c’est un lieu tout à fait particulier, un lieu de l’Histoire du Tour qui était synonyme du jour le plus triste de l’année, celui de la fin du Tour et du début d’une attente d’un an". Nostalgique, mais de là à ramener un jour la Grande Boucle à la Cipale ? Impossible, le cyclisme moderne étant devenu ce qu’il est.
"A l’époque, il y avait 120 coureurs contre 180 aujourd’hui, et on voyait déjà des arrivées avec des coureurs mélangés, ce qui était dangereux et incompréhensible. Vous pouviez avoir un coureur échappé en plein milieu de peloton"
Christian Prudhommeà franceinfo:sport
Finalement, seul Paris-Roubaix peut encore se le permettre, notamment grâce à la difficulté des secteurs pavés qui écrèment le peloton et le fait qu’il s’agisse d’une course d’un jour. Seule solution pour revoir le Tour sur un vélodrome, c’est d’y boucler un contre-la-montre, imagine Thierry Gouvenou, directeur technique des épreuves d'ASO (Amaury Sport Organisation) qui avoue avoir tenté le coup lors de la dernière arrivée du Tour à Roubaix en 2018 : "On s’est posé la question, mais c’est impossible pour un Grand Tour d’arriver sur un vélodrome. Et puis comme ça ça reste la signature de Paris-Roubaix". Ironiquement, le dernier vélodrome emprunté par la Grande Boucle n’en avait plus que le nom, puisque c’était en 2017, lors du contre-la-montre à Marseille, bien loin de la Cipale et de ses tribunes désertées.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.