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Tour de France 2018 : Primoz Roglic, le vélo comme tremplin

Après avoir remporté sa première victoire sur le Tour de France dès sa première participation l'an passé, Primoz Roglic est de retour pour jouer des mauvais tours. Le Slovène avait déjà expliqué s'être mis au vélo "pour gagner sur le Tour", mais cette fois il aura peut-être l'occasion de jouer le classement général. Pour mieux comprendre l'ascension du phénomène slovène et sa reconversion du saut à ski au cyclisme, nous avons interrogé Jérôme Laheurte, entraîneur des équipes de France de saut et de combiné nordique.
Article rédigé par franceinfo
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Prologue du Giro 2016, Tom Dumoulin écrase tout et relègue ses principaux rivaux à plus de 5 secondes. Tous, sauf un certain Slovène qui fait alors sa première apparition sur un grand Tour. Primoz Roglic termine deuxième, à seulement 22 millièmes du spécialiste de l'épreuve.

Inconnu du grand public, le coureur vient d'entamer sa première saison avec une équipe World Tour, en l'occurrence le team LottoNL-Jumbo. La performance est d'autant plus surprenante qu'elle est l'oeuvre d'un athlète qui n'a commencé le cyclisme qu'à 22 ans en 2012. Pourquoi ? Eh bien, le premier amour de Primoz Roglic c'était le saut à ski. 

"J'ai acheté un vélo et j'ai découvert que je me débrouillais plutôt bien"

Un sport dans lequel il a plongé dès l'âge de 8 ans. Il faut dire qu'en Slovénie, briller sur les tremplins permet une meilleure exposition médiatique. Adolescent, il s'inflige quotidiennement trois heures de saut et trois heures d’exercices en salle pour travailler l’explosivité et la souplesse. Le jeune Roglic a déjà la gagne et veut devenir un champion, ce qui aboutit à deux médailles d’argent et d’or en championnats du monde junior par équipes (2006 et 2007), sommet de sa carrière de sauteur à ski.

“À partir de 20 ans, je me suis rendu compte que j’étais bon mais que je n’arriverai jamais au niveau des tout meilleurs. Je n’ai pas trouvé le moyen de devenir un grand champion”, a-t-il expliqué dans les colonnes du Monde. Loin d’être abattu, il s’engage dans une reconversion. “J’ai acheté un vélo de course et j’ai découvert que je me débrouillais plutôt assez bien avec”, voilà comment l’intéressé résume sa phase de transition.

Le grand saut à 22 ans

En 2013, il rejoint l’équipe continentale slovène Adria Mobil avec laquelle il remporte notamment le Tour d’Azerbaïdjan (2014) puis le Tour de Slovénie (2015), chez lui. Ses performances lui ouvrent les portes d’une formation World Tour. Il signe avec LottoNL-Jumbo en 2016 et depuis son arrivée, il ne cesse de progresser. La première année, il y a donc ce fameux prologue du Giro mais aussi une 10e place sur le contre-la-montre olympique. L’année dernière, il s’impose notamment sur la 17e étape du Tour de France à Serre-Chevalier, en se débarrassant d’un certain Alberto Contador. En 2018, il rafle trois tours d’une semaine, celui du Pays-Basque, celui de Romandie et celui de Slovénie.

“C’est dingue la carrière qu’il fait à vélo”

Pour mieux comprendre comment, d’un point de vue physique, Primoz Roglic a réussi sa reconversion, nous avons échangé avec Jérôme Laheurte, entraîneur des équipes de France de saut à ski et de combiné nordique. Il a d’ailleurs pu l’observer quand il sautait en catégorie junior. Aujourd’hui encore, il lui arrive de suivre avec une attention particulière le sportif de 28 ans parce qu’ils ont des amis en commun dans l’équipe de combiné nordique slovène.

Une histoire de fibres musculaires

"C'est assez dingue la carrière qu'il fait aujourd'hui à vélo, sachant qu'il est passé à deux doigts de faire une très grande carrière en saut à ski", tranche-t-il. Mais il y a autre chose d’encore plus impressionnant. Les efforts produits par un cycliste et ceux produits par un voltigeur sont diamétralement opposés. "Les fibres musculaires qui entrent en jeu dans le saut à ski sont totalement opposées aux fibres musculaires du vélo. A la base, sur le plan physiologique, il a beaucoup travaillé l'explosivité et donc les fibres rapides. Aujourd'hui, il fait totalement l'inverse en sollicitant les fibres lentes, qui sont beaucoup oxygénées pour des efforts longs, des efforts aérobies”, explique Jérôme Laheurte.

C’est pour cette raison que les athlètes qu’il entraîne ne sont pas encouragés à faire du vélo, même s’il n’est pas proscrit. "Les sauteurs n'en font jamais. Mais si un athlète du saut décide d’en faire une ou deux fois dans la semaine, par petites séances d'une heure, cela reste plutôt bénéfique et n’aura pas d’influence sur sa performance en saut. Mais si on lui dit d'aller faire 2h de vélo par jour avec des cols à franchir, il va systématiquement perdre en performance sur le tremplin.”

Grâce au saut, Roglic n'est pas parti de zéro

Si s'adapter aux exigences du cyclisme a poussé Roglic à faire des sacrifices, Jérôme Laheurte note que certains acquis du saut à ski lui ont donné des clés physiques et mentales. “Obligatoirement, cela lui a apporté dans le contrôle de son poids.” Laheurte met en avant des similitudes de gabarit entre les cadors du peloton et ceux du saut. “Quand on voit des Froome, des Quintana, en gros tous les bons grimpeurs. Ce sont des crevettes ! Si on le met torse nu, Romain Bardet on pourrait se dire qu'il est fait pour le saut à ski." Si Roglic a fait du saut avant, c’est qu’il avait un profil assez longiligne, avec un haut du corps peu développé, une certaine maigreur mais des cuisses proéminentes. 

Jérôme Laheurte explique cependant que si le Slovène avait décidé de passer du vélo au saut à ski, cela aurait été impossible. "Il l'a fait dans le bon ordre". La conversion des fibres musculaires de rapides à lentes est tout à fait possible. "L'explosivité n'empêche pas de travailler après l'aérobie. L'inverse aurait été impossible. S'il avait commencé par le cyclisme, musculairement il n'aurait jamais réussi à retrouver suffisamment de capacités explosives pour faire du saut."

"Personne au monde ne l'a fait avant moi."

Selon toute vraisemblance, Primoz Roglic avait des prédispositions physiques pour une telle réussite sur son vélo. "Il avait un bon moteur sans le savoir puisqu'il ne la développait pas", selon le professionnel du saut à ski. Une VO2 max qu'il estime "autour de 80 ml/min/kg". Cette même VO2 max est l'indice permettant d'évaluer l'endurance d'un sportif. Elle correspond la consommation maximale en oxygène utilisée par les muscles d’un athlète en une minute pour produire de l’énergie. Si tel était le cas, cela expliquerait en partie les très bonnes performances de Roglic en contre-la-montre ainsi que ses capacités de rouleur.

Un profil de rouleur qui n'est pas forcément donné quand on est issu du saut à ski et qu'on travaille l'explosivité. Mais Rogla ne veut pas décidément pas faire comme tout le monde. "Personne au monde ne l'a fait avant moi", constatait non sans fierté le coureur dans une interview accordé à Cyclingpub dans laquelle il revenait sur sa reconversion.

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