Le 3 avril 1910, Eugène Christophe bravait le blizzard pour remporter Milan-San Remo
Il s'agit d'un temps que les moins de 110 ans ne peuvent pas connaître... La victoire d'Eugène Christophe sur Milan-San Remo 1910 fait partie des légendes du cyclisme français. Le 3 avril de cette année-là, le Français s'impose à San Remo après 12h24 d'effort. Les conditions météorologiques sont telles, que seuls quatre coureurs franchiront la ligne d'arrivée.
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De cette course, ne subsistent que très peu de sources en France. Dans son ouvrage intitulé Eugène Christophe : De la forge de Sainte-Marie-de-Campan au maillot jaune, Jacques Seray s'est amusé à raconter l'histoire du coureur à la première personne, après avoir eu accès à ses cahiers personnels. "Mon seul souvenir tangible de cette première grande victoire de ma carrière resta l'article de Robert Coquelle, dans l'Echo des Sports", écrit Seray dans la bouche de Christophe. Le "Vieux Gaulois" ne reviendra même pas avec un trophée d'Italie.
Mais il en gardera les stigmates à vie. Dans la foulée de sa victoire, Christophe est hospitalisé un mois dans un hospice à San Remo, tant son corps est meurtri, éreinté et creusé par le froid. Dans son livre, Jacques Seray avance que 23 des 71 participants ont décidé d'abandonner avant même le départ, anticipant l'enfer qui les attendait. Le 3 avril 1910, Eugène Christophe a bien cru qu'il laisserait sa vie dans le col de Turchino, culminant à seulement 500 mètres d'altitude mais dont l'ascension comprenait 25 km.
Contrairement à ce qu'il aurait pu penser, l'exercice ne fut pas "qu'un cyclo-cross en altitude". Seul dans l'ascension du Turchino, Christophe finit par courir à côté de son vélo pour ne pas rester collé dans la neige. C'est en apercevant la carcasse sans âme de Luigi Ganna, dont les "mèches s'étaient transformées en taillis de givre", qu'il se donne un coup de fouet pour parvenir, frigorifié, au sommet du col, six minutes après son coéquipier Cyrille Van Hauwaert, qu'il retrouvera fantomatique et pieds nus, peu de temps après.
L'enfer glacé du Turchino
Les deux hommes, rejoints par un troisième coéquipier, doivent leur salut à une petite auberge de montagne, dans laquelle ils ont pu se réchauffer. C'est en apercevant un petit groupe de coureurs à travers la fenêtre qu'Eugène Christophe décide de repartir à la guerre, après avoir troqué ses vêtements pour ceux d'un aubergiste bien plus gaillard que lui. Ce dernier tente même de retenir le Français de force. "Mi, prendre train à Voltri". Christophe s'en sort grâce à ce mensonge.
Affamé dans la descente, il retrouve la voiture de son directeur sportif, qui n'avait pas réussi à franchir le col. Ce dernier était occupé à scruter les agissements de Ganna, aperçu à plusieurs reprises sur le marchepied de la voiture de son équipe Atala. Concentré sur sa course, Eugène Christophe rejoint et laisse les Italiens sur place à 120 km de l'arrivée. Sa seule et unique peur est de perdre son chemin. Il raconte qu'un passant l'a escorté à vélo sur 20 km pour lui montrer la route.
"Trop tard signore"
Christophe arrive enfin à San Remo vers 18h. Il ne se doute alors pas qu'il comptera plus de 40 minutes d'avance sur Luigi Ganna, deuxième de cette édition complètement folle. Et encore moins que seulement quatre coureurs franchiront la ligne d'arrivée. Le plus frustrant pour l'homme, aura été de repartir sans représentation physique de sa victoire. Freiné par les plaintes de ses coéquipiers, pressés de rentrer, Christophe a refusé le banquet tenu en son honneur. Quand il s'est finalement ravisé, réclamant son dû le lendemain, les organisateurs lui répondent : "Trop tard, Signore Christophe".
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