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La France peut-elle toujours donner des leçons en matière de lutte antidopage ?

A entendre certaines auditions de la commission sénatoriale, le pays garderait sa longueur d'avance dans le domaine. Dans les faits, c'est beaucoup moins évident.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Un spectateur brandit un panneau "Pas de dopage", lors de l'étape entre Mâcon (Saône-et-Loire) et Bellegarde-sur-Valserine (Ain), durant le Tour de France 2012, le 11 juillet 2012. (JOEL SAGET / AFP)

Les scientifiques s'interrogent encore sur la pertinence de l'effet papillon, mais dans le sport, il fonctionne. La publication du rapport de la commission antidopage du Sénat, mercredi 24 juillet, a entraîné le limogeage de plusieurs anciens cyclistes reconnus positifs en 1998 : Abraham Olano, 6e cette année-là, a été remercié par le Tour d'Espagne, dont il était le directeur technique. Stuart O'Grady, le sprinteur australien, a été éjecté du comité olympique australien après ses aveux. Enfin, Jeroen Blijlevens, directeur sportif de la surprenante formation Belkin, qui a placé deux coureurs dans le top 15 de la Grande Boucle 2013, a été mis à la porte. Mais ici, quelles conséquences ? La France peut-elle continuer à donner des leçons en la matière ?

La France se rêve toujours à l'avant-garde

"Les Français sont obsédés par le dopage", de l'avis de Rafael Nadal, qui l'avait exprimé lors de la polémique qui l'a opposé aux Guignols de l'info. En France, dès qu'une nation écrase une discipline ou une compétition, les accusations de dopage vont bon train. Pas toujours à raison d'ailleurs. N'empêche : c'est dans l'Hexagone qu'a été promulguée la première loi antidopage, en 1965. Un leadership retrouvé à la fin des années 90. Devant la commission sénatoriale, l'ancien ministre des Sports Jean-François Lamour a ainsi poussé un cocorico  : "La France a toujours été - quels que soient les gouvernements, et quels que soient les ministres - à la pointe en matière de lutte antidopage. Ceci est dû à son histoire, en particulier au drame de Tom Simpson en 1967, au mont Ventoux." Ce cycliste britannique est mort en gravissant les pentes du mont lors du Tour de France 1967, alors qu'il avait pris des amphétamines.

L'impression d'être en pointe sur la question du dopage est perceptible dans plusieurs des auditions menées par la commission d'enquête des sénateurs. Ainsi, celle de Jean-Paul Garcia, directeur national des enquêtes douanières : "Autant nous n'avons pas de difficultés à travailler avec les Anglais sur les stupéfiants ou le tabac - avec toute la diplomatie et la ruse nécessaires -, autant nous avons beaucoup d’aisance à travailler avec la police, la douane et la garde civile espagnoles sur les stupéfiants ou sur le tabac, autant les choses sont fort différentes pour ce qui est des produits dopants."

De l'avis général, pourtant, les propositions des sénateurs ne vont pas assez loin pour mener la vie dure aux tricheurs.

Le modèle français a un tour de retard

Beaucoup de pays ont désormais adopté leur loi antidopage, calquant les consignes de l'Agence mondiale antidopage, comme l'Espagne, ou allant plus loin que la France en prévoyant des peines de prison pour les dopés, comme en Italie. Le Maroc a même édicté une fatwa contre le dopage. "Depuis les années Marie-George Buffet, la France s'est fait une réputation de pays solide sur les questions de dopage, et on vit encore là-dessus. Les ministres qui ont suivi, hormis Jean-François Lamour, qui a aidé à mettre en place l'Agence mondiale antidopage, n'ont pas fait grand-chose", relativise Stéphane Huby, qui gère le site de référence cyclisme-dopage.com. Qu'à cela ne tienne : Valérie Fourneyron, ministre des Sports, promet une grande loi pour 2014.

Le succès éclatant de l'Usada, l'agence antidopage américaine, dans l'affaire Armstrong, montre ce qui sépare la France du top niveau en la matière : des moyens considérables donnés par le gouvernement, des enquêteurs aux méthodes proches des procureurs, et un charismatique président à sa tête, en la personne de Travis Tygart. En France, le président de l'Agence française de lutte contre le dopage, l'AFLD, a peu de moyens, peu de pouvoir, et une fâcheuse tendance à tout balancer une fois son mandat expiré. "Ils ne peuvent pas dire qu'ils sont à la tête d'une entreprise inefficace", explique le médecin spécialiste du dopage Jean-Pierre de Mondenard dans Le Figaro.

De plus, la France se montre beaucoup moins virulente quand il s'agit de champions tricolores. On a entendu bien peu de doutes sur les performances fantastiques de l'équipe cycliste Europcar sur les Tours 2011 et 2012 quand, de l'autre côté des Alpes, on les comparait à des "chaudières". Et personne n'a sérieusement remis en cause le Mondial de foot 1998, remporté par la France, alors que des doutes subsistent.

Pas de second souffle côté européen

Créer une agence européenne ne va pas aller de soi : de nombreux pays sont laxistes dans leur lutte contre le dopage (Russie, Ukraine), quand d'autres sont des plaques tournantes de la fabrication de produits dopants (Autriche, Grèce, Slovaquie), remarque le rapport sénatorial. De plus, l'Union européenne n'a pas la compétence pour, comme le stipule le traité de Lisbonne (article 6ter et 149). Tout juste doit-elle faire "la promotion" du sport, sans toucher aux législations nationales.

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