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Laurent Jalabert : "Dimanche, il y avait Alaphilippe et le reste du monde"

La victoire du Français Julian Alaphilippe aux Championnats du monde, dimanche, n'en finit pas d'épater le monde du cyclisme dont l'ex-coureur et sélectionneur tricolore Laurent Jalabert.

Article rédigé par franceinfo: sport - Hugo Lauzy
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le Français Julian Alaphilippe sur la ligne d'arrivée des Championnats du monde à Louvain, dimanche 26 septembre. (DAVID STOCKMAN / BELGA MAG / AFP)

Le deuxième titre de champion du monde conquis par Julian Alaphilippe, dimanche 26 septembre en Belgique, a montré encore une fois que le Français savait résister à la pression des grands rendez-vous. L'occasion d'analyser avec Laurent Jalabert, consultant pour France Télévisions, sa course, sa personnalité et ses futures possibilités de briller sur des courses de plus d'un jour.

A quel niveau situez-vous la performance de Julian Alaphilippe qui a remporté son deuxième titre de champion du monde consécutif hier à Louvain ?

Laurent Jalabert : Elle est exceptionnelle. Elle est encore plus grande que celle qu'il a pu réaliser l'année passée (ndlr : à Imola en septembre 2020). L'année dernière c'était super car cela faisait plus de vingt ans qu'on attendait un successeur à Laurent Brochard (ndlr : 23 ans depuis son titre mondial en 1997). Cette année, non pas qu'on est blasés, mais on est peut-être un peu moins émus. Moi je trouve que l'exploit sportif, il est encore plus fort. 

De mémoire, je n'ai pas en tête le souvenir d'avoir vécu une telle domination d'un coureur sur un Championnat du monde. Quelqu'un qui est capable de se découvrir à 60 kilomètres de l'arrivée comme il l'a fait, je pensais que c'était trop tôt et suicidaire... Finalement il n'est pas parti à ce moment-là, mais il a insisté et insisté pour se retrouver seul dans les vingt derniers kilomètres. Je pense qu'il y avait hier Alaphilippe et le reste du monde. Il était vraiment au-dessus du lot mais très largement, donc pour moi c'est vraiment une perfromance exceptionnelle.

À 29 ans, il vous surprend encore ?

À la fois il me surprend et à la fois je me dis mais non, car ce n'est pas la première fois qu'il fait ça. Il me surprend dans le sens où ces dernières semaines, il n'était pas dominateur comme il a pu le montrer hier. Sur le Tour de Grande-Bretagne il est présent, mais il est dominé par Van Aert et d'autres. On sent qu'il est là, mais qu'il lui manque un petit truc pour faire la différence et en l'espace de dix jours la tendance s'inverse. Et c'est là qu'il m'impressionne en fait.

C'est lorsqu'il arrive aux grands rendez-vous et là où il veut vraiment gagner, il a le petit truc en plus qui fait la grosse différence. On a l'impression qu'il a cette capacité et cette facilité à se connaître, à faire une préparation millimétrée pour que le jour J il se retrouve largement au dessus de ses adversaires. En tout cas, c'est ce qu'il nous a montrés l'an passé et cette année avec une domination dans le final qui était juste époustouflante.

Personne n'a pu lutter, c'est la signature Alaphilippe

Laurent Jalabert

Il m'a impressionné car je ne m'attendais pas à ça honnêtement. Je pensais que sur ce circuit il aurait des difficultés à pouvoir s'exprimer, qu'il y aurait peut-être un sprint à la fin mais que ce serait compliqué qu'il aille faire une différence... Et puis compte tenu de sa notoriété, de son aura, qu'il serait forcément marqué de près et que la tâche lui serait rendu difficile, mais en fait personne n'a pu lutter. En même temps, ce n'est pas la première fois qu'il le fait, donc tu te dis ça c'est Alaphilippe, c'est sa signature quoi.

Comment analysez-vous sa course par rapport à celle des Belges qui couraient à domicile ?

C'est un coureur qui est à l'instinct avec beaucoup d'engagement physique et de volonté dans ces courses quand il a un objectif en tête. Je ne sais pas d'où lui vient cette rage mais il a cette envie d'aller de l'avant. Hier, il a attaqué à trois, quatre reprises d'affilée sur le circuit final. Physiquement être capable de faire ça, c'est vraiment exceptionnel et une fois que tu te retrouves seul il faut encore être capable de maintenir tout ça. Il était vraiment sur une autre sphère. 

L'équipe de France avait parfaitement préparé le terrain dans le final. Mais avec le recul, on se rend compte dans les propos des différents coureurs à l'arrivée que c'était une course extrêmement difficile et éprouvante. Et ça c'est le travail de sape qui a notamment été mis très tôt en place par les Français qui ont attaqué une première fois à plus de 180 km de l'arrivée. Ils ont pris les choses en main et ont dynamité la course pour la rendre difficile.

Les Belges étaient chez eux avec ce besoin de résultats et une énorme pression sur les épaules. Je pense que ça leur a joué des tours. Ils ont oublié peut-être de faire attention à leurs adversaires et se sont focalisé sur leur course sans regarder ce qu'il se passait à côté. Quand Alaphilippe a attaqué, ils ne l'ont pas pris forcément en considération et dans le final on a la sensation qu'ils ne se sont pas concertés. Comme si personne ne savait que Van Aert était moins bien, donc tant mieux pour les Français et Alaphilippe qui a juste couru après son objectif et avec ce punch qui le caractérise.

Faire sa carrière dans une équipe étrangère, comme la formation belge Deceuninck Quick-Step, lui a-t-il apporté cette culture de la gagne ?

Je pense que ça joue. Quand on regarde hier dans le final de la course, il y avait quinze coureurs devant et cinq de la Quick Step. Ils portaient tous des maillots de nation différente, mais quand même. Ils appartiennent à un collectif spécialisé dans ces courses d'un jour le reste de l'année. Je crois qu'ils ont gagné près de 70 courses cette année, c'est juste phénoménal. 

Cela pousse les uns et les autres a peut-être encore plus se sublimer car il y a une rivalité interne. Si tu veux garder une position de leader ou être celui qui va être protégé au début d'une grande course, il faut donner des garanties et gagner des courses. Il est sûr que s'il avait évolué dans une équipe qui gagne très peu, peut-être qu'il cultiverait moins cette envie de gagner. 

Pratiquement tous les jours tu as un Quick Step qui gagne. Quand Alaphilippe va sur une course, il n'y va pas pour faire de la figuration mais pour essayer de la remporter. D'autres peuvent aussi prendre le relais, ce qui lui permet d'évoluer plus sereinement en sachant qu'il n'est pas le seul apte à pouvoir gagner dans sa formation. Je pense qu'il a trouvé un bel équilibre dans cette équipe et c'est pour cela qu'il y a aussi resigné trois ans.

Sa polyvalence lui permet-elle de s'orienter vers des objectifs encore différents comme des courses longues d'une ou trois semaines comme le Tour de France ?

Je sais qu'il a l'envie de gagner encore des classiques donc c'est un peu à contre-courant avec les Grands Tours quand tu veux aller sur ces courses-là. Cela veut dire un gros début de saison, ce qui est contradictoire avec les courses par étapes de trois semaines où il faut beaucoup de fraîcheur. Je ne suis pas certain que dans sa façon de voir le cyclisme, il soit prêt à sacrifier ces courses qui lui tiennent à coeur pour un Grand Tour.

Pour cela,il faudrait que sa formation s'étoffe et décide d'aller briller sur un Grand Tour et de le gagner. Ils ne l'ont jamais fait, donc ça reste une étape à franchir. Maintenant, je pense qu'il est plus que capable de gagner des courses à étapes d'une semaine. Paris-Nice, même un Dauphiné, il peut le faire sans aucun problème car il a toute la panoplie nécessaire pour y arriver. 

Pour ce qui est d'un Grand Tour, je partage l'avis de Bernard Hinault pour qui Alaphilippe ne pourra pas en gagner un. Aujourd'hui, telles que les choses sont organisées autour de lui, il n'est pas armé pour cela et je pense que dans sa tête il n'en a pas forcément l'envie ni la motivation. Pour aller chercher la victoire sur trois semaines, il lui faudrait courir un peu à contre-courant. Au lieu d'attaquer à chaque pont d'autoroute comme il aime le faire dès qu'il y a du relief, il faudrait qu'il se contienne et fasse une course d'attente pour être présent dans les moments clés de la course. [...] Le Tour reste un objectif qu'il n'a pas en tête pour l'instant.

À quel autre grand coureur historique peut-il être comparé aujourd'hui en termes de palmarès et de tempérament ?

Le cyclisme d'aujourd'hui n'a pas grand chose à voir avec celui que j'ai connu ou celui de Thomas (Voeckler). Je pense qu'il est assez unique comme gars. Moi je me reconnais un peu en lui au début de sa carrière parce qu'il allait vite au sprint et puis après il a fait la différence sur des courses où il fallait du punch.

J'étais un petit peu dans le même registre et on avait des points communs à ce niveau-là. Mais après je n'ai jamais été champion du monde en ligne, ce sont des palmarès un peu différents. Et j'ai gagné des courses à étapes, ce qu'il n'a pas encore réussi à faire. Je crois qu'il ne faut pas chercher à le comparer à quelqu'un d'autre et qu'il est assez unique en son genre. C'est du Alaphilippe quoi...

Pour ce qui est de savoir s'il peut maintenant en gagner trois (Championnats du monde), quand t'en as gagné deux il t'en manque plus qu'un. Donc oui, il est bien parti pour...

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