De l'art d'être lanterne rouge
"Dernier du Tour de France, cest une honte ! Jaime pas les lanternes rouges !" Cette sortie un peu brusque, on la doit à Marc Madiot, manager de la FDJ. Face à lui, lors du briefing, Anthony Roux, 23 ans, ne peut quencaisser en silence. Son statut de lanterne rouge du Tour nest en effet pas simple à gérer. Même sil avoue, les yeux pleins de malice, que ça le fait "un peu rigoler". "Cest mon premier Tour de France, raconte le jeune Lorrain de la FDJ. Cest vraiment dur ! Je ne suis pas arrivé au top de ma forme, donc je galère depuis 15 jours et je nai jamais pris de plaisir". Avant dajouter : "Ce statut de lanterne rouge nest pas une déception car, que je sois 100e ou 180e, pour moi cest pareil". Si cette position nest évidemment pas la plus avantageuse, elle a le mérite de mettre le principal intéressé sous les projecteurs. "Quand tu es dernier, ça te fait beaucoup de publicité, confirme le Belge Wim Vansevenant, triple lanterne rouge sur la Grande Boucle (2006, 2007, 2008). Les gens qui regardent les classements dans les journaux regardent quoi ? Les premiers et le dernier. Du coup, on sen souvient !"
Dans le passé, des duels entre cyclistes qui flirtaient avec les délais d'élimination ont même animé le Tour de France. "Lors du Tour de France 1973, Jacques-André Hochart et Jean-Claude Blocher, tous deux dans léquipe De Kova Lejeune, sétaient disputés la place de lanterne rouge, se remémore Bernard Thévenet, double vainque du Tour (1975 et 1977). Cette place avait un certain prestige car elle symbolisait les malheurs et la souffrance de tous les coureurs". Finir dernier nest en effet pas une partie de plaisir. Contrairement à ce que lon peut penser. "Cest quelquun qui fait bien son boulot et qui na pas dambition personnelle, explique M. Thévenet. Sil ne prétend évidemment pas au classement général, il nen reste pas moins un bon équipier qui se dévoue pour son équipe". Un sentiment partagé par Wim Vansevenant. "Jétais là pour boucher les trous, se souvient-il. Une fois que javais fait ma part du boulot, aidé mes coéquipiers, je relâchais afin de récupérer un peu pour le lendemain".
Etre lanterne rouge est assurément un travail de longue haleine. Cela demande de rester vigilant, notamment en ce qui concerne les délais délimination. "Je sais que je ne vais pas faire dexploit sur ce Tour, confie Anthony Roux, mais je veux vraiment essayer de le terminer et de voir les Champs-Elysées. Chaque jour, jessaye donc de faire ma course en respectant les délais". Pour Bernard Thévenet, si le statut de lanterne rouge nest pas toujours aisé à gérer, les choses se sont nettement améliorées : "Dans les années 70-80, il y a eu quelques Tour où la lanterne rouge était éliminée chaque soir. A lépoque, il fallait donc vraiment saccrocher pour éviter ça. Plus que maintenant !" Nayant reçu ladhésion ni du public, ni des coureurs, ce principe d'élimination quotidienne a été rapidement abandonné. Une manière de laisser sa chance au coureur qui, même sil est dernier, garde toujours lespoir de faire mieux. A limage dAnthony Roux : "Si un jour, par miracle, je retrouve un peu de jambes, jessaierais de faire quelque chose, de prendre une échappée". Cest en tout cas tout le mal quon lui souhaite.
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