Cyclisme : quelles solutions pour améliorer la sécurité des coureurs et réduire le risque de chutes ?

Face à la multiplication des chutes et de leur gravité, dont celle qui a sévèrement touché Jonas Vingegaard jeudi, un vif débat est né et plusieurs pistes ont été formulées en moins de 24 heures.
Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
Des coureurs tombés sur le Tour de France, lors de la 2e étape de l'édition 2022, au Danemark. (MAXPPP)

Plusieurs coureurs au tapis, certains immobiles dans un fossé bétonné, d'autres comme Jonas Vingegaard en position latérale de sécurité. Les images terribles de la chute multiple dans une descente de la 4e étape du Tour du Pays basque, jeudi 4 avril, resteront longtemps imprimées dans l'esprit des coureurs.

Moins de 24 heures après le choc, les réactions se sont succédées. Le Syndicat français des coureurs a réclamé des "Etats généraux sur la sécurité" . Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, a plaidé pour "un comportement des coureurs plus responsable, des vélos qui vont moins vite et des aménagements routiers". "En aucun cas, la quête de performance ne saurait mettre en danger leur santé ni leur sécurité" , a réagi la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, interpellant les instances du sport. La réponse de l'Union cycliste internationale n'a pas eu à se faire attendre, David Lappartient donnant un entretien à ce sujet à l'AFP. Dans ce flot de réactions, Franceinfo: sport identifie les axes d'améliorations soulevés par les différents acteurs du cyclisme.

Mieux tracer les courses

Chacune des chutes les plus marquantes des dernières saisons a généré la même question : l'organisateur avait-il vraiment mis tout en place pour assurer la sécurité des coureurs ? Après la chute qui a failli coûter la vie à Fabio Jakobsen sur le Tour de Pologne en 2020, le traditionnel sprint en descente à Katowice a fini par disparaître du calendrier. Un an plus tôt, sur la même épreuve, le jeune Bjorg Lambrecht avait perdu la vie après avoir heurté un bloc de béton.

Jeudi, 12 coureurs sont tombés dans le même virage sur le Tour du Pays basque, sans qu'il n'y ait eu de carambolage. Surtout, de grosses pierres et un fossé bétonné, censé servir à l'écoulement des eaux usées, se situaient à proximité immédiate de la route, sans qu'aucune protection ne soit installée. 

"Il y a beaucoup de régulations, comme la règle des 3 km (qui permet à celle ou celui qui est tombé de ne pas accuser de retard), mais tout ce qui est fait intervient après la course, et jamais en amont."

Iris Slappendel, présidente du syndicat féminin The Cyclists Alliance

à Franceinfo: sport

Des 480 virages des Mondiaux de Glasgow à la chicane de Paris-Roubaix, en passant par la menace d'une grève sur le Tour d'Italie à cause d'une étape trop longue, l'année écoulée a connu son lot de polémiques concernant les tracés des courses. Paul Brousse, le sélectionneur de l'équipe de France féminin, souhaite l'arrivée d'un "organisme indépendant capable de labelliser les courses". Ce dernier prend l'exemple des Coupes de France amateurs, validées par la DTN ou par les entraîneurs nationaux.

"On se rend sur place avant la course et on va vérifier le parcours. Il m'est arrivé de ne pas valider le circuit parce qu'un dos d'âne était trop rapproché de l'arrivée, en suggérant un détour pour l'éviter. Parfois, on est face à des organisateurs qui n'ont pas toutes ces notions, qui n'ont pas forcément pédalé ou qui ne se rendent pas compte des mouvements de course. Il faut des gens compétents pour les accompagner et dire : 'là ça passe, là ça ne passe pas'."

Supprimer les oreillettes

C'est un vieux serpent de mer. Introduites en 1990, les oreillettes ne mettent pas tout le monde d'accord. Ces dernières permettent aux coureurs et aux directeurs sportifs de rester en liaison pendant toute la durée de la course. Elles ont contribué à rendre le sport très tactique, mais sont également considérées par certains comme dangereuses. "Cette tension amenée par la communication radio fait perdre de l'attention et met de la pression aux coureurs, auxquels on demande toujours plus", pointe Thomas Voeckler, consultant France Télévisions. Lorsqu'il occupe son poste de sélectionneur de l'équipe de France, aux championnats d'Europe, du monde et aux Jeux olympiques, les oreillettes sont justement proscrites.

Mais rares sont les coureurs ayant pris clairement position contre ce dispositif. Le Français Romain Bardet, qui évolue sous les couleurs de l'équipe DSM-Firmenich, fait presque figure d'exception. "Je crois qu'un monde sans oreillette serait une très bonne chose, assumait-il pour Cyclingnews en 2018. Cela pousserait les coureurs à prendre plus de responsabilités. Cela les rendrait meilleurs tactiquement et plus attentifs. Souvent, l'information que tu reçois c'est 'sois bien positionné au kilomètre 80', comme tous les autres coureurs d'ailleurs. Cela peut augmenter le risque de crashs."

Son homologue Valentin Madouas se veut plus nuancé sur son compte X (ex-Twitter). D'après le coureur de Groupama-FDJ, l'oreillette "permet surtout de connaître les endroits dangereux ce qui permet d’éviter les chutes". "Je ne pense pas que les oreillettes soient responsables [de l'augmentation des chutes et de leur gravité], ajoute Iris Slappendel, présidente du syndicat The Cyclists Alliance, œuvrant dans le peloton féminin. Ce n'est en tout cas pas ce que nous font remonter les coureuses. "

Freiner le peloton

Manager expansif de l'équipe Groupama-FDJ, Marc Madiot a fustigé les conséquences de la perpétuelle quête aux gains marginaux au micro de Radio France. "[Les] cyclistes vont de plus en plus vite sur des routes de plus en plus aménagées pour aller de moins en moins vite, a-t-il exposé, dressant un parallèle avec la Formule 1. Quand ça va trop vite sur un circuit, on fait ce qu'il faut au niveau de l'aérodynamisme pour ralentir les voitures, on diminue la puissance des moteurs, on trouve des solutions pour que la sécurité soit assurée".

"Il y a 30 ans, les coureurs allaient à 50 km/h. Aujourd'hui, c'est 65."

Thomas Voeckler, consultant cyclisme France Télévisions

à Franceinfo: sport

Les montures sont de plus en plus légères et les freins à disque ont remplacé les patins, moins efficaces mais plus flexibles. Les disques permettent aux coureurs de freiner de plus en plus tard. " On a ramené un truc dans le peloton qui est plus dangereux qu'avant. On ne regarde pas trop les plaies que les mecs ont, mais pour beaucoup, c'est à cause des disques", juge Marc Madiot. Pour David Lappartient, le matériel "est un sujet, mais ce n'est pas le seul".

Un autre débat existe et concerne les braquets utilisés par les coureurs. " Je pense qu'on pourrait aussi mettre une limite", s'est livré Adrien Petit dans La Voix du Nord . Dans la voiture de course sur Gand-Wevelgem, Marc Madiot s'est fait la même réflexion : "I l y avait vent portant, on était en permanence à plus de 70 km/h sur des portions plates. Constamment, pas que sur les réaccélérations. Ça ne peut pas tout le temps passer. Tu roules à ces vitesses-là, tu as 56 dents, tu n'as pas de temps de réponse de freinage parce que tu piles sur place et tu es 200 dans le paquet avec 180 qui veulent virer au bout de la route à gauche, eh ben ça finit au tas, ça ne peut pas bien se passer. On ne veut pas l'entendre, on ne veut pas aller aux vrais sujets".

Mieux sanctionner les coureurs fautifs

Après la violente chute impliquant Jonas Vingegaard et les autres têtes d'affiche du Tour du Pays basque, le coureur espagnol Pello Bilbao a pointé du doigt le "manque de lucidité" du peloton dans la descente. "Cette édition du Tour du Pays basque devait être plus simple et moins dangereuse que les années précédentes, parce qu'on courait toujours sur des routes très étroites. Je connais très bien cette route et je pense qu'on est tous entrés trop vite dans ce virage", a-t-il reconnu en zone mixte.

Pour le président de l'UCI, "50% des chutes sont dues à l'attitude des coureurs". Une attitude qui a grandement changé ces dernières années d'après Thomas Voeckler : "Avant, les coureurs ne prenaient pas de risques sur les courses de préparation. Aujourd'hui, toutes les courses sont importantes. Le peloton, historiquement, était un milieu régenté avec une forme de hiérarchie. Il y a moins de respect mutuel entre les coureurs, parce que les enjeux sont trop importants". David Lappartient a révélé vendredi avoir la "volonté de mettre en place dès cette année un principe de cartons jaunes et cartons rouges comme au foot pour que les attitudes dangereuses soient mieux sanctionnées".

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