Cet article date de plus de dix ans.

A moto, voyage au cœur du peloton

Pour la neuvième étape du Tour de France, entre Gérardmer et Mulhouse, Gaétan Scherrer, journaliste à Francetvsport.fr, s’est installé à l’arrière d’une moto de l’organisation. Au plus près de la course.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
 

"Aujourd’hui, il va y avoir du sport !" Bruno Thibout a beau piloter sur les routes du Tour depuis cinq ans, il sait que cette neuvième étape, qui affiche six cols au programme, s’annonce acrobatique. Il connaît bien les difficultés que va endurer le peloton ce dimanche : ancien coureur professionnel, il a participé à trois Grandes Boucles et deux Vuelta avant de mettre un terme à sa carrière en 2004.

"J’ai passé mon permis moto lors de ma dernière année pro, c’était un peu trop dangereux de le faire auparavant", m’explique-t-il en enlevant toutes les couches de vêtements imperméables ("les bâches") qu’il avait préparées en vue de la pluie (sauf que la météo vosgienne est imprévisible, et que s’il pleuvait à l’heure du rendez-vous, il ne pleuvait déjà plus dix minutes plus tard). D’abord chauffeur de voiture, Thibout s’est reconverti pour piloter successivement moto info ("très usant"), moto régulation ("le plus éprouvant, on s’engueule souvent avec les photographes") et moto ASO, l’organisateur de la course ("ça, c’est du tourisme"). Parfait, je vais pouvoir en profiter.

Pilote et conseiller

Le départ fictif est réalisé en amont du peloton, pour éviter l’embouteillage sur la ligne. A 13h19, Radio Tour annonce le départ réel de l’étape : quelques kilomètres plus loin, on laisse passer les 183 coureurs pour les précéder dans la première ascension du jour, le col de la Schlucht, où Marcel Kittel et Arnaud Démare notamment sont lâchés dès les premiers hectomètres. Thibout conseille à Romain Feillu, largué lui aussi, de se placer dans les voitures. Pour eux, la journée va être longue.

L'arrière du peloton

Solidement accroché à l’arrière de la moto (une Kawasaki), je découvre l’organisation du long cortège qui suit le peloton. Il y a les cameramen et les photographes qui jouent aux acrobates, tantôt debout, tantôt penchés vers la route, les distributeurs de bidons, l’ardoisier, et les régulateurs qui gèrent ce trafic, l’idée étant de laisser dépasser les coureurs aux endroits stratégiques et quand la route le permet. Il y aussi les voitures, celles des commissaires, des invités, et surtout celles des directeurs sportifs, obligés de se frayer tant bien que mal un chemin vers la queue du peloton quand la situation de l’un des coureurs l’exige. Un joli bazar organisé. 

"Gentil mais pas trop"

Victime d’un incident mécanique, le vainqueur de la veille, Blel Kadri, essaye de revenir dans la première descente en profitant de l’aspiration de l’escorte. Il n’y parvient pas. "Je ne sais pas ce qu’il a foutu", s’énerve au volant Vincent Lavenu. Bruno Thibout connaît bien les différents directeurs sportifs, qu’il croise tout au long de l’année avec ses collègues devenus compagnons de route. Parmi ses plus beaux souvenirs, il évoque l’Arctic Race, en Norvège, et un Critérium du Dauphiné 2014 "particulièrement réussi".

Il connaît aussi les coureurs, moins ceux de la nouvelle génération, mais ses anciens équipiers : Jens Voigt, qu’il encourage dans une montée, ou Samuel Dumoulin, à qui il fait un signe de la main en le dépassant. Après une longue attente, l’écart entre le groupe échappé et le peloton est enfin suffisant pour s’y intercaler. Dans la côte des Cinq Châteaux, c’est le moment de se glisser dans la meute. Me voilà intrus au cœur du peloton. La sensation est à la fois grisante et très déstabilisante. Pour s’y frayer un passage, il faut "être gentil, mais pas trop". Entre deux "hop, hop hop", trois coups de klaxon et quelques interpellations nominatives, on rejoint le train d’Astana, suivi de près par Alberto Contador et Richie Porte. Ce dernier n’a pas vu la moto : il s’écarte au dernier moment et hoche la tête en souriant. "Les coureurs qui ne savent pas que je suis un ancien pro me reconnaissent, on se voit partout", explique Thibout, qui fonce aussitôt vers les poursuivants.

Après deux allers-retours entre l’arrière du peloton et Tony Martin, seul en tête, on reste calé derrière l’Allemand dans la plus grosse ascension du jour, le Markstein (1re catégorie). On a beau savoir qu’il y aura du monde, on a beau s’y attendre, la manière dont la foule s’ouvre au dernier moment devant le coureur est subjuguante. Dangereuse aussi : mon pilote n’hésite pas à écarter ceux qui dépassent les limites. "En Angleterre, c’était fou. Sur 200 kilomètres il fallait sortir les coudes".

Au sommet, Bruno Thibout me propose de jeter un dernier regard vers le futur vainqueur d’étape : il faut foncer vers Mulhouse. Après la bascule, nous voilà ouvreurs des quarante derniers kilomètres de la course, seuls sur de larges routes longées par plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Conclusion assourdissante d’une journée mémorable.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.