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Coupe du monde 2022 : "Un boycott n'est pas envisageable" selon Carole Gomez, spécialiste en géopolitique du sport

Depuis le début des qualifications à la Coupe du monde 2022, joueurs et entraineurs ont partagé des messages forts en faveur des droits de l'Homme pour soutenir les travailleurs employés à la construction des stades au Qatar. Utilité, conséquences, boycott... Carole Gomez, directrice de recherche à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste en géopolitique du sport a décrypté ce mouvement.
Article rédigé par Alexandra Lopez
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Les joueurs des Pays-Bas entrent sur le terrain avec un t-shirt marqué "Le football soutient le CHANGEMENT", le 27 mars 2021 (MAURICE VAN STEEN / ANP)

Est-ce que ces actions sont utiles ?
Carole Gomez
: "Je considère qu’elles sont relativement efficaces puisque cela permet d’attirer l’attention sur la situation. Il y avait eu des enquêtes publiées il y a quelques années sur la situation des droits humains et notamment des droits des salariés sur les chantiers au Qatar ce qui avait conduit à certaines avancées à cette période, mais c’était quelque chose qui avait eu tendance à passer au second plan au regard des différentes actualités. Là, suite à la publication de l’enquête du Guardian fin février et de ces initiatives, c’est quelque chose qui attire l’attention ce qui permet surtout de mettre une pression directe ou indirecte sur l’état du Qatar et donc d’améliorer la situation de ces employés."

 Quelles peuvent-être les conséquences de ce mouvement sur la FIFA ?
C.G
: "La FIFA a fait plusieurs communiqués en rappelant l’importance du respect des droits humains donc on peut considérer que l'instance va se rapprocher du comité d’organisation pour essayer de faire avancer ce sujet. Ça a d’ailleurs été le cas ces dernières années à la suite de la mobilisation de l’ONG Amnesty Internationale ce qui avait permis d'avoir un certain nombre d’avancées considérables qui on put être faites au sein du droit du travail qatari même si on est encore bien loin du compte.

C’est d’ailleurs pour ça qu’Amnesty International continue de tirer la sonnette d’alarme pour montrer qu’il y a non seulement du chemin à parcourir mais surtout qu’il peut aussi y avoir des risques de retour en arrière. La FIFA essaie aussi de ménager les critiques en s’engageant à ne pas prendre de sanction contre ces deux équipes (Norvège et Allemagne), ce qui rompt un peu avec sa position traditionnelle sur le sujet."

Justement comment expliquez-vous que la Fifa n’a pris aucune sanction alors qu’en règle générale, les messages politiques sont interdits dans le cadre des rencontres ?
C.G
: "C’est un vrai changement de doctrine de la part de la FIFA. Il y avait eu un certain nombre de précédents où elle avait interdit des manifestations aussi consensuelles soient-elles. Je pense par exemple à Didier Drogba qui s’était fait sanctionner pour avoir exprimer son respect envers Nelson Mandela au lendemain de sa mort. Mais entre temps il y a eu le mouvement Black Lives Matter où on a vraiment vu les fédérations sportives internationales se rendre compte que la chape de plomb qui pesait sur les athlètes ne pouvait plus tenir et qu’on ne pouvait plus encadrer ce qui était dit par les sportifs et les sportives"

"les sportifs disposent aujourd’hui d'une caisse de résonance considérable"

"Cela peut aussi s'expliquer par la place de plus en plus importante des sportifs et sportives au sein de la gouvernance du sport. Il y a de plus en plus de mesures, de réflexions, de réformes qui sont en cours et tendent à donner plus de place à ces sportifs, ce qui au final est une juste chose puisque ce sont les principaux acteurs de ces sports. Mais pourtant leur parole n'était pas suffisamment libérée d’une part, et d’autre part pas entendue et quand elle existait, elle pouvait être pénalisée. Un dernier élément est à prendre en compte c’est l’importance considérable qu’ont pu prendre les réseaux sociaux et le fait que les sportifs disposent aujourd’hui d'une caisse de résonance qui est considérable et ce en dehors de leur fédération, de leur club officiel… "

Quelles peuvent-être les conséquences sur le Qatar ?
C.G
: "C’est très compliqué d’arriver à déterminer ce qu’il va en être. Il est sûr que le Qatar savait que le moindre de ses pas de côté ou de ses défauts allaient être épinglés, décortiqués. C'est exactement ce qui est en train de se passer. Il va falloir pour le Qatar être extrêmement vigilant par rapport à ces éléments. Il y aura une pression importante de la part des joueurs ou des fédérations voire même des chefs d’état qui vont pouvoir se déplacer lors de cette édition de la Coupe du monde masculine."

"il ne faudrait pas que tous ces scandales ternissent l’image du Qatar à l’échelle mondiale"

"Mais il ne faut pas oublier que cet événement est encore très loin, dans un an et demi, et de ce fait le Qatar devra mettre en œuvre des avancées significatives afin qu'il puisse vraiment bénéficier des aspects positifs d’une Coupe du monde, qui est au départ la raison pour laquelle il avait candidaté. Le but est d'arriver à être connu sur la scène internationale, donner une image positive et dynamique de ce pays, il ne faudrait pas que tous ces scandales et ces nouvelles assez gênantes ternissent l’image du Qatar à l’échelle mondiale."

Selon vous peut-il y avoir un effet boule de neige suite aux actions déjà entreprises ?
C.G
: "Très clairement et c’est quelque chose d’assez intéressant puisqu’au moment ou la Norvège avait pris position c’était une première étape mais il fallait voir quelles allaient être les suites. Le fait qu’il y ait eu ce suivi là montre que nous ne sommes pas au bout de nos surprises et qu’il peut y avoir d’autres pays. C’est d’ailleurs l’objet du t-shirt que portait la Norvège lors du match ce week-end sur lequel était inscrit "la Norvège ok, l’Allemagne ok, qui seront les prochains ?" Ce sera vraiment une affaire à suivre avec très grande attention dans les prochaines semaines."

Peut-on aller jusqu’à un boycott de la compétition pour certaines nations comme l’avait évoqué la Norvège il y a quelques temps ?
C.G
: "C’est un peu la solution que l’on cite notamment en faisant référence à un certain nombre d’exemples par le passé qui ont existé : boycott de 1980, de 1976, de 1984... Mais la situation n’est plus du tout la même (...) la FIFA est beaucoup plus puissante aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque. Rappelons par exemple en 2018 en Grande-Bretagne, Boris Johnson, ministre des affaires étrangères de l’époque, avait menacé de boycotter la compétition suite à l'affaire Skripal. La FIFA s’était très rapidement tourné vers lui en disant que le pays risquait une exclusion pendant quatre ans de toute compétitions ce qui avait eu tendance à ramener Johnson à une position un peu plus neutre.

"A ce titre je pense que le boycott n’aura pas lieu, ce n'est pas envisageable. Car il faut poser la question de l’efficacité de ce boycott : est-ce que l’idée est d’annuler complètement la Coupe du monde ?  Je pense que ce ne sera pas le cas en revanche ça peut permettre d’attirer l’attention sur la situation ce que font déjà les différentes initiatives des norvégiens des allemands ou des hollandais."

Est-ce que ces actions peuvent forcer les organisateurs (Fifa, JO…) à revoir leurs critères de désignation à l’avenir ?
C.G
: "Complètement ! C'est vraiment quelque chose qui est désormais pris en compte par un certain nombre de comités d’organisation puisqu'au regard des constructions, des sommes dépensées, il y a une vrai nécessité de mieux prendre en compte les enjeux et les objectifs des grands événements sportifs qui vont être organisés. C’est une prise de conscience qui a frappé un peu de plein fouet les organisations sportives internationales. Elles savent très bien que si elles ne se mettent pas au goût du jour, si elles ne font pas ce travail là il n’y aura plus de ville hôte pour accueillir ces compétitions ou alors les villes qui vont se proposer seront en contradiction totale avec les valeurs que l’olympisme, que le sport sont censés véhiculer."

"C’est une vrai prise en compte, assez tardive je vous l’accorde, des fédérations sportives internationales qui savent qu’elles n’ont plus forcément le droit à l’erreur au risque de tuer la poule aux œuf d’or sur laquelle ils veillent précieusement."

 

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