Coronavirus - Bruno Gajer : "Je m'en fous de savoir si un Italien s'entraîne dans son coin !"
Comment avez-vous géré la fin du stage et le retour d’Afrique du Sud ?
Bruno Gajer : "Dès que nous avons entendu le discours du président Macron, j’ai compris que c’était grave. J’ai eu ma fille au téléphone, qui travaille dans un hôpital, et j’ai compris l’ampleur de ce qui nous attendait. J’ai passé une journée à l’aéroport pour tenter d’avancer nos billets, sans succès, car tout était en train de fermer en Afrique du Sud. Puis nous avons avons eu un échange avec la douzaine d’athlètes de mon groupe. Je leur ai annoncé que d’un coup, les objectifs sportifs devenaient secondaires, que le sport de haut niveau n’est pas au-dessus du monde et que nous devions immédiatement nous comporter en citoyens respectueux et solidaires.
Notamment parce que beaucoup d’entre elles et eux sont suivis par de nombreux jeunes sur les réseaux sociaux et qu’ils servent d’exemples et de repères. Pour les athlètes, c’est un choc, le rêve s'effondre. Ils doivent sortir de leur bulle. Ils étaient concentrés sur le 21 juin, la date butoir pour faire les minimas. Mais en arrivant à Roissy quand on voit l’aéroport presque vide, la file devant la douane avec un mètre entre chaque voyageur, l’ambiance morne et puis la traversée de Montpellier vide, avec seulement les SDF dans les rues… Il est là, le vrai choc."
Qu’est-ce qui vous inquiète par rapport à vos athlètes ou aux sportifs en général dans cette période ?
BJ : "Tant que nos grandes instances n’annoncent pas que les JO et les Championnats d’Europe d’athlétisme juste derrière (prévus à Paris du 25 au 30 août 2020 - ndlr) sont décalés ou annulés, les athlètes restent sous pression. Sous la pression de l’entraînement, de la performance, de l’éventuelle reprise des compétitions. On ne doit pas tenter de contourner les règles. Je ne voudrais pas que quelqu’un soit tenté de faire un coup dans son coin, pour s’entraîner et ne pas respecter les consignes de confinement qui s’imposent à tous. Pour moi, nous devons avoir un comportement digne et respectable par rapport au personnel soignant, à tous ceux qui assurent notre confort et qui ne peuvent pas se confiner et bien sûr aux malades qui souffrent et se battent pour sauver leur vie.
Ma génération n’a pas connu la guerre mais mes parents m’en ont parlé, nos jeunes ne sont pas préparés à ces situations, nous devons les aider. Nous, nous sommes des saltimbanques (dans le sens noble du terme). Nous sommes là pour distraire, faire rêver. Notre heure viendra, soyons patients et respectueux. On ne sauve pas des vies, on redonne le sourire."
"Le temps des gladiateurs est terminé"
Et ceux, comme Philippe Lucas, qui parlent de rupture d’équité par rapport à d’autres pays comme l’Italie, où certains athlètes s’entraînent ?
BJ : "Je m’en fous de savoir si un italien s’entraîne dans son coin, ou trois ou quatre dans une piscine. Ça ne me parle pas. En ce moment, je ne suis pas en train de regarder si le voisin s’entraîne ou pas. Quand je pense à l’Italie, je pense à tous ces italiens qui ont tellement de peine et à tous ces morts au quotidien. Les grands championnats doivent être décalés pour que la sérénité revienne dans les esprits. Pour le reste, si jamais on doit concourir, on fera du mieux qu’on peut. On ne peut pas préparer les jeux en se coupant du monde.
Le temps des gladiateurs est terminé. Nous les entraîneurs, je crois que nous devons d’abord être des éducateurs, qui préparent des jeunes femmes et hommes à devenir des citoyens du monde. On ne va pas s’entraîner à 20h. À 20h, on s’arrête et on applaudit à sa fenêtre les personnels soignants. La Fédération Française de Natation a eu un discours très digne en appelant publiquement au report des Jeux. J’attends la position officielle de ma fédération. Et maintenant, je vais préparer des plans d’entretien physique à la maison pour mes athlètes."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.