Billet d'humeur . Roland-Garros, le Millésime 2020, un cru à part par Alexandre Boyon
"Ô toit, ô mon Central,
J’aime tellement quand tu râles.
De coups droits en revers,
Je trinque, quand Benoît perd !"
A l’amicale des poètes du bar Le Passing-shot, les vers défilent. Les habitués aiment y disserter sur la petite balle jaune autour d’un ballon de rouge, on peut avoir plusieurs passions. Ces œnologues de la terre battue se souviennent d’éditions boisées au filet, se remémorent l’année où la lauréate avait une jolie robe et même de ce vainqueur qui avait dû attendre 10 ans pour arriver à maturité.
Les raisins de la colère
Un Roland-Garros en période de vendange, voilà qui devrait les ravir. Pourtant, la nouvelle leur reste en travers du gosier. Certes, à défaut d’être un grand cru, Roland-Garros 2020 restera un millésime unique. Une édition à part sans ses grappes de supporters. Pour la première fois, le Central sera couvert mais avec des tribunes désertes ou en mode dégradé, quel bel adjectif, ça donne envie. D’ordinaire, on va à "Roland" voir Rafa, Serena, Roger et tous les autres… enfin surtout Rafa, Serena et Roger, s’ils viennent.
Les « halés » de Roland-Garros
A l’approche des vacances, certains se déplacent Porte d’Auteuil pour parfaire leur bronzage. Cette année les "halés" de Roland-Garros seront plus blêmes. Pandémie oblige, le Tournoi est décalé dans le temps. Le Monde est plus préoccupé par le COVID-19 que par le Court -18, il existe encore des priorités. S’il a lieu, nous connaîtrons donc un Roland-Garros automnal. Le toit sensé protéger de la pluie pourrait alors préserver les joueurs du froid. Concernant les spectateurs, il est trop tôt pour se prononcer. Les organisateurs espèrent accueillir un minimum de public. Ils iront voir les différents ministères comme on va chez le garagiste "bonjour, c’est pour vérifier ma jauge." Si aucun spectateur n’est admis, les réalisateurs devront eux aussi "se réinventer". Les ramasseurs de balles et juges de lignes auront droit à leur quinzaine de célébrité en lieu et place des people et autres fans rougis par le soleil malgré un chapeau élégamment plié dans le programme du jour.
Logés à la même enseigne
Lors des matchs du début d’après-midi, cela ne changera pas grand-chose. Les loges et tribunes présidentielles sont alors désertées par des happy few digérant leur sabayon de saumon au citron vert. Il est plus facile de respecter la distanciation sociale à l’heure de la sieste. A l’antenne, les moindres faits et gestes des joueurs seront scrutés, disséqués, "ralentifiés". Les arbitres pourront laisser aux vestiaires les "Silence s’il vous plaît", "Veuillez respecter les joueurs", "Regagnez vos places". L’avantage c’est que l’on n’aura pas besoin de tendre l’oreille pour écouter la prose de Benoît Paire, joueur de tennis tout aussi populaire par ses apéros numériques que ses crises d’humeurs sur le court.
Tout cela aurait inspiré l’académicien Jean-Loup Dabadie, grand fan de tennis et de Roland-Garros. Coïncidence, lui qui siégeait sous La Coupole, est parti le jour où le Central devait inaugurer son nouveau toit. En amoureux des mots, il aurait su s’en amuser et nous attendrir parce que comme lui, le Tournoi est immortel.
Au Passing-shot, on ne dit rien d’autre même si "dans une enceinte qui résonne, la victoire n’aura pas le même écho". Les habitués vident leurs verres et apostrophent le serveur "Roger, balles neuves !" La passion des mots et du tennis, ça se déguste.
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