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Accidents du sport : qu'en est-il des séquelles psychologiques ?

Hormis quelques brûlures superficielles, Romain Grosjean est sorti de son accident sans véritable dégât physiologique. Comme tous les sportifs survivants d'un drame, il pourrait cependant être sujet à des traumatismes psychologiques.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Le pilote français de F1 Romain Grosjean (- / XPBIMAGES.COM)

Ils sont quelques-uns à y avoir laissé leur carrière, voire plus. Certains sportifs ont survécu au pire, parfois miraculeusement indemnes, avant de subir de plein fouet les conséquences psychologiques de leur accident. En ski, Antoine Deneriaz a traîné sur les pistes après un grave accident en 2008, avant de mettre fin à sa carrière quelques mois plus tard en admettant qu'il y avait "encore des résidus" de sa chute. En Formule 1, Niki Lauda s'est tout de suite remis au volant après son accident en 1976 mais a vécu un blocage quelques semaines plus tard alors qu'il était en passe d'être sacré champion du monde.

Pour Romain Grosjean, si nul ne sait encore quelles seront les conséquences psychologiques de son accident survenu dimanche à Bahreïn, deux constats s'imposent déjà. D'abord, le Français aura besoin, ces prochains jours, d’un suivi psychologique particulier afin de repérer tout traumatisme.  Ensuite, comme le suggèrent les professionnels interrogés, il fait partie de la population la moins à risque pour les stress post-traumatiques.

Épisode traumatique

Il serait tentant de s’arrêter aux premiers rapports médicaux relevant les blessures superficielles du Français – quelques brûlures au chevilles et aux mains. Il y a pourtant, malgré son apparent bon état physique, tout un processus de prise en charge mis en place après un tel accident. "Il faut tout de suite prendre l’athlète en charge et s’assurer qu’il est aussi bien physiquement que mentalement", assure Meriem Salmi, psychologue du sport.  Il faut donc absolument laisser sa place au psychologue, d’autant que les blessures de Grosjean ne mettent pas sa vie en danger.

Car, même dans le cas où il aurait bien géré son accident mentalement, cela reste un épisode traumatique. Et "comme dans tous les épisodes traumatiques", la victime a tendance à oublier, reléguer le "moment" du choc aux oubliettes. "Le cerveau se met en situation de résistance pour se protéger de la souffrance, explique Meriem Salmi. C’est un moment de rupture où on a l’impression qu’on a tout oublié. Et le rôle du psychologue est de libérer tout ça". Tout ça, c’est, dans le cas de Romain Grosjean, les images du feu, les premières sensations de brûlure, le choc avec la barrière. "Il a quand même vu la mort de très près, il faut l’aider à gérer ça".

Voir la mort de près entraîne parfois un phénomène psychologique que l’on appelle "syndrome post traumatique", terme d’abord utilisé chez les militaires sujets aux cauchemars et pensées obsédantes au retour des combats. Les sportifs peuvent-ils subir les mêmes dommages après un accident ? Emmanuel Lagarde, directeur de recherche à l’Inserm, a démontré dans une étude publiée en 2014 dans Jama Psychiatry, que cela touchait également les victimes d’accidents de voiture. Il estime que Romain Grosjean "pourrait éventuellement" connaître un tel épisode, mais que cela devrait se voir "dans les prochains jours". Les signes ? Entre autres, le refus de revivre les situations qui rappellent l’accident, "par exemple ne plus retourner sur une piste dans son cas",  les cauchemars qui rejouent la scène, l’intrusion d’images et de flashs de l’accident dans la vie de tous les jours.

Pilotes de F1, skieurs, cyclistes : en valse avec la mort ?

Mais Emmanuel Lagarde estime que Grosjean fait partie d’une population particulière, celle des "métiers à risque" qui ont un effet protecteur contre les traumatismes. "Ce sont des gens qui évoluent dans la conscience du danger qu’ils courent, ce qui fait que le choc psychologique dû à l’accident a tendance à être moins fort". Ainsi, dans son étude, les motards se sont révélés bien moins sujets au syndrome de stress post-traumatique que les conducteurs de voiture. "Les motards n’ont pas l’effet de la violation de l’espace intime que peuvent avoir les conducteurs de voiture lorsqu’on leur rentre dedans, explique-t-il, en précisant qu'il s'agit seulement "d'hypothèses". Ensuite, on suppose que les motards sont en permanence dans l’idée qu’il peut leur arriver quelque chose, du fait de leur exposition. Ce qui n’est pas le cas de conducteurs de voiture".

Romain Grosjean, comme tous ses collègues de sports "à risque", aurait donc cette protection mentale préalable : la conscience du danger permanent, et de la proximité éventuelle de la mort. Meriem Salmi, psychologue du sport, confirme : "ce sont des gens qui ont l’habitude de gérer le danger, ils ont développé des compétences pour y faire face. Le danger ne leur est pas étranger. Les sportifs de haut niveau ont indéniablement une capacité de tolérance à la souffrance physique et psychologique hors normes".

Les exemples sont en effet nombreux, de sportifs s’étant non seulement relevés d’accidents majeurs, mais ayant repris le chemin du terrain ou de la piste, et, dans certains cas, de la victoire. Alex Zanardi a perdu ses deux jambes sur une course d’Indycar en 2001 ; ce qui n’a l’a pas empêché de reprendre le volant et de finir champion paralympique. Yann Eliès frôle la mort sur le Vendée Globe 2008 après 96 heures de dérive au milieu de l'océan. Il retourne sur son monocoque l'année suivante et remporte la première étape de la Solitaire du Figaro. Le skieur Hermann Maier perd le contrôle dans une descente lors des Jeux de 1998 et s'écrase contre les barrières cent mètres plus bas. Quelques jours plus tard, il remporte deux médailles d'or.

Ces histoires à succès ne garantissent évidemment pas que ces sportifs n'ont pas connu de traumatisme après leur accident. "Ils sont peut-être mieux préparés, mais ils restent humains et il ne faudrait pas leur enlever le droit de souffrir comme tout le monde", rappelle Meriem Salmi. Mais ils soulignent définitivement une capacité de résilience hors normes.  

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