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Mondiaux d'athlétisme : "Ce n'est pas un aveu d'abandon, mais à tout moment ça peut s'arrêter", confie Kevin Mayer, incertain pour le décathlon

Blessé au tendon d'Achille, le Français espère aller au bout du concours, qui commence vendredi, mais n'exclut pas d'abandonner pour éviter toute blessure majeure à un an des Jeux olympiques de Paris.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport - Envoyée spéciale à Budapest
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le décathlète Kevin Mayer à l'épreuve du lancer de disque du décathlon des championnats du monde de Eugene (Etats-Unis), le 24 juillet 2022. (HERVIO JEAN-MARIE / KMSP)

L'ambiance n'est pas toute rose au sein de l'équipe de France d'athlétisme, à Budapest. Toujours à la recherche de sa première médaille pour cette édition, la délégation tricolore doit faire face aux doutes de Kevin Mayer, l'une des rares chances de podium en Hongrie. Le décathlonien, double champion du monde, a évoqué, mardi 22 août, en conférence de presse, ses interrogations sur sa forme physique. Il l'a dit avec franchise : "quand les probabilités de terminer le décathlon sont à plus de 50%, je n'en parle pas. Quand elles sont en dessous, je vous en parle."  A ce jour, il estime donc à moins d'une chance sur deux d'aller au bout du décathlon des Mondiaux.

Blessé actuellement au tendon gauche, après avoir déjà souffert du tendon droit l'an passé, il a contracté une blessure à l'ischio "à cause d'une mauvaise réception", après le meeting de Paris, le 9 juin dernier. Se voulant confiant et optimiste, il ne veut toutefois prendre aucun risque de blessure en vue des Jeux olympiques de Paris. Cela pourrait le conduire à abandonner à Budapest, lui qui est tenant du titre.

Dans trois jours, vous devez débuter votre décathlon. Comment allez-vous ? 

Kevin Mayer : Il y a quinze jours, sur ma deuxième séance spécifique de vitesse pour le 400 m, j'ai senti dans le virage mon tendon d'Achille me faire mal. À froid, c'était catastrophique. Depuis, c'est la course à la rééducation. Vous me connaissez, j'ai beaucoup d'outils pour y arriver. Et je donne tout pour y arriver. C'est un énorme challenge et c'est pour ça que je le prends avec le sourire. Mais en même temps, on sait qu'il y a Paris l'année prochaine, et peut-être que je ne pourrai pas aller autant dans le mal que d'habitude.

"J'essaie de ne pas laisser tous ces sentiments m'empêcher d'être dans le moment présent et de tout faire pour être là vendredi. Je prends le problème heure par heure et je fais tout ce qu'il faut pour y arriver."

Kevin Mayer, double champion du monde du décathlon

en conférence de presse

Et dans cet état d'esprit, j'ai l'impression que ça peut le faire. Le plus dur honnêtement, ce sera le 400 mètres et le réveil du samedi matin, parce que clairement dans le virage, c'est mon pied gauche qui est à l'intérieur, et ça met mon pied en flexion et rotation externe. Et cela vient taper là où j'ai vraiment mal.

Quels sont vos outils pour récupérer d'ici vendredi ?

Je n'ai pas fait d'athlé depuis dimanche et ça va déjà beaucoup mieux. Je pourrais vouloir me rassurer, aller faire de l'athlé tous les jours et constater que ça va moins bien. Mais je ne le fais pas et je fais en sorte que chaque heure soit mieux que celle d'avant.

Être aussi honnête sur votre état de santé vous permet-il de faire redescendre l'euphorie autour de vous, autour de la possible seule médaille française ?

C'est un calcul de probabilité. Quand les probabilités de terminer le décathlon sont à plus de 50%, je n'en parle pas. Quand elles sont en dessous, je vous en parle. Au fil des années, je sais que je suis responsable de plus en plus de personnes qui vibrent à travers moi en championnat. Et quand je sais qu'elles vont vibrer positivement, je leur laisse la surprise, mais quand je sais que ça peut être négatif, je les préviens parce que je suis consciencieux vis-à-vis des gens qui me regardent.

Pensez-vous malgré tout pouvoir être performant si les derniers jours, et les soins, vous permettent d'être en meilleure forme physique ?

Je vais peut-être paraître bête si je fais un mauvais temps au 100 mètres, mais je n'ai jamais fait des séances comme ça. Samedi, j'ai fait une séance de sprint pour la perche, je n'ai jamais autant bien réagi au sol et je n'ai jamais sauté comme ça à la perche. Il n'y a que le poids où j'ai des problèmes de réglage en ce moment et ce sera plus dur de sortir une grosse perf de pointe. De toute façon, il y a toujours une épreuve qui est moins bien que les autres.

"Il faut bien comprendre que la douleur, je m'en fous complètement."

Kevin Mayer, double champion du monde de décathlon

en conférence de presse

Le dilemme est de savoir ne pas aller trop loin. Mais ce ne sera pas à moi de m'arrêter. Ce sera à mes coachs, en fonction de ce que je leur dirai sur mes sensations. Je serai honnête avec moi-même. Parce que je sais que je suis capable d'aller jusqu'à la mort, surtout avec la transe que je ressens ici. C'est ce que j'avais fait à Doha, où je m'étais fait une déchirure au tendon d'Achille et je voulais quand même sauter à la perche [il a été contraint d'abandonner]. Je fais ce sport parce que j'aime la douleur, avoir mal au tendon d'Achille et courir avec des douleurs au tendon, je m'en fiche sur le plan de mes émotions. Mais c'est toujours vis-à-vis de la performance et du futur qu'il faut réfléchir. Il faut avoir ce recul. 

Votre ligne de conduite est donc de vous préserver pour les Jeux de Paris, et de ne prendre aucun risque à Budapest ?

J'ai l'expérience d'une grosse blessure en décathlon à Doha, où j'ai trop poussé et où j'ai mis six mois pour recommencer à courir. Je ne veux pas que cela m'arrive avant Paris. Je ne crache pas sur une troisième médaille d'or au championnat du monde, mais je crache encore moins sur Paris. L'état d'esprit est de ne rien faire pour que ça empire, pour que ça soit onéreux vis-à-vis de Paris. Tant que ça ne me coûtera pas pour Paris, je veux me laisser une chance d'y arriver. 

Je sais que je peux durer dans le temps avec cet état d'esprit, et j'ai d'autres chances d'être champion du monde plus tard. Encore une fois, ce n'est pas un aveu d'abandon. Dans ma tête, c'est sûr et certain : je fais tout ce qu'il faut pour arriver au départ du 100 m, mais à tout moment, ça peut s'arrêter. Je suis en accord avec moi-même. C'est plus pour les gens à l'extérieur que c'est difficile à gérer... [il marque une pause, puis il ne peut contenir ses larmes], qui ont des attentes, qui veulent vibrer avec moi. Mais ne vous en faites pas, le jour J, je vais mettre cela de côté, je vais regarder la piste et ça ira mieux.

Si vous n'allez pas au bout de ce décathlon, vous serez obligé d'en refaire un autre pour vous qualifier aux Jeux de Paris. Est-ce que cette donnée joue dans votre réflexion de continuer ou pas l'épreuve à Budapest ?

Non, j'ai tout à perdre à continuer pour tenter de me qualifier. Pour les JO, il faut avoir 8 460 points, ce qui correspond à 85% de chacun de mes records personnels sur les 10 épreuves. Il ne faut pas se poser la question des qualifs. Je suis assez au-dessus de ce niveau pour être confiant [pour décrocher la qualification plus tard]. Aujourd'hui, il faut tout faire pour que je puisse aller aux JO et sans penser à la qualification. 

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