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J-100: Le Brésil encore loin des Jeux Olympiques de Rio

En pleine tempête politique autour de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, en pleine crise économique, et alors que les travaux battent leur plein dans la ville de Rio, la population brésilienne semble loin des Jeux Olympiques. "C’est simple, on ne sent rien", signale Fanny Lothaire, correspondante de France Télévisions à Rio de Janeiro. "Je suis sûr que pour la ville de Rio, l'héritage sera assez important", assure Rai, l'ancienne star de l'équipe de foot brésilienne.
Article rédigé par Thierry Tazé-Bernard
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
"Je veux retrouver mon pays", clame ce manifestant contre Dilma. Dans tout le pays, les opposants et les soutiens de la présidente Dilma Rousseff sont dans les rues (DARIO OLIVEIRA / ANADOLU AGENCY)

En 2014, avant la Coupe du monde, des millions de personnes à travers tout le pays réclamait plus d'éducation et plus de santé au lieu de dépenser des millions dans des stades pour la Coupe du monde de football. En 2016, avant les Jeux Olympiques, des millions de personnes sont descendues dans les rues du pays pour réclamer le départ de Dilma Rousseff, la présidente du Brésil. C'est dans ce contexte que les Jeux Olympiques se préparent.

Le CIO en toute confiance

Autant le dire tout de suite, les risques de les voir impactés par ces problèmes sont minimes. "Le CIO est une organisation apolitique, et nous avons avancé dans le travail malgré le contexte politique et économique compliqué. Cela n'a pas eu d'impact, nous sommes dans les temps. Le CIO travaille très dur pour que les délais soient respectés, et sur ce plan, nous sommes en avance dans beaucoup d'opérations". Nawal El Moutawakel, présidente de la Commission de coordination des JO a été très claire, la semaine passée, lors de son passage à Rio. "La dernière ligne droite est toujours la plus dure, mais nous sommes sûrs que les Jeux Olympiques vont rendre la nation brésilienne très fière. Nous le croyons car 98% des sites ont été achevés".

Au CIO, on affiche donc un énorme optimisme, la Marocaine annonçant même de "Jeux Olympiques uniques et fantastiques", alors que Serguei Bubka, membre du CIO, rappelle que "les Jeux transcendent tout ce qui peut se passer en politique. Il s'agit de l'image du pays." Même à Lausanne, chacun sait que la procédure d'"impeachment" votée par les Députés le 17 avril, en attendant le passage au Sénat, pourrait valoir à la présidente du Brésil, Dilma Roussef, une mise à l'écart du pouvoir pendant 180 jours, voire une destitution définitive. En plein pendant les Jeux Olympiques, cela peut créer des secousses. Les accusations de maquillage des comptes publics à l'encontre de Dilma, avec en plus les révélations de corruption dans le scandale Petrobras, éclaboussent toute la classe politique, et les entreprises de BTP qui ont aussi travaillé sur les chantiers des JO. Mais Ricardo Leyser, nouveau ministre des Sports nommé voici moins d'un mois, relativise tout cela: "Les Jeux ont leur valeur en soi, mais ils ont aussi une importance pour l'économie, pour le rôle que le pays veut occuper dans le monde. Nous croyons en l'union du pays, nous ne croyons pas que nous puissions - à cause d'une crise politique - diviser le pays, arriver à un tel degré d'irrationnalité que les gens soient contre un projet bénéfique pour le pays."

"Aux prochaines élections, le début d'un nouveau pays"

L'ancien joueur brésilien du PSG, Rai, ne voit pas les nuages s'amonceler au-dessus des Jeux: "On aurait pu profiter beaucoup plus des événements que sont la Coupe du monde en 2014 et les JO en 2016", admet-il. "Il aurait fallu mieux planifier, mieux structurer. Mais par rapport aux Jeux, je suis sûr que pour la ville de Rio, l’héritage sera assez important. Toute la ville est en travaux, avec un une réurbanisation de la cité. Beaucoup de choses auront un impact positif très important pour la ville. Pas forcément pour le Brésil dans son ensemble, mais pour la ville oui."

L'aspect politique intéresse bien évidemment le frère du regretté Socrates, l'un des symboles de la "démocratie corinthiane", qui s'était battu avec ses coéquipiers, en pleine dictature militaire, pour créer une autogestion du club des Corinthians au début des années 80. La démocratie était leur credo, et ils avaient même déployé une banderole, en finale de la Coupe du Brésil en 1983, où le public avait pu lire: "Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie". Capitaine de la Seleçao en 1982, Socrates avait milité dans le mouvement Diretas Ja, réclamant des élections présidentielles directes, où se trouvait également un certain Lula, devenu président du Brésil de 2003 à 2011, aujourd'hui au coeur des scandales politiques dans le pays.

Socrates, en 1982, avec cet appel à voter au dos de son maillot des Corinthians, était un artiste sur le terrain, et un homme engagé

Pour Rai, tout ce qui arrive sera bénéfique: "Aujourd’hui, il y a une participation beaucoup plus importante de la population. Socrates a été un exemple pour les nouvelles générations. Aujourd’hui, même si on n’est pas connu, même si on n’est pas une personnalité, toute la population participe beaucoup plus, est plus intéressée par la politique. Si Socrates était là, il serait un leader du mouvement pour la participation du peuple. Tout ce qui se passe autour de la corruption en ce moment, ce sont des choses qu’on savait, mais on n’avait jamais de preuves. Il n’y avait pas de justice, pas de condamnations. Là ça change. Depuis moins d’un ans, il est interdit pour des sociétés privées de financer les campagnes politiques. C’est la base de toutes les corruptions dans la politique, dans le scandale Petrobras… Cela va avoir des conséquences positives très rapides, lors des prochaines élections. Plein d’hommes d’affaires, corrupteurs ou complices de corruption, sont en prison. C’est quelque chose qu’on n’imaginait pas il y a 5-6 ans. Ils sont presque une centaine derrière les barreaux, surtout dans les métiers du BTP, mais aussi des politiques de très haut niveau. Les institutions fonctionnent, la justice marche. Pour les prochaines élections, on aura un début d’un nouveau pays au Brésil. Il y a plein de bonnes choses, plein de potentiels, tout ce qu’il faut pour avancer. Cela peut permettre au Brésil d’aller plus loin, de devenir un grand pays avec un développement pour tous avec une base plus solide."

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La crainte des éléphants blancs

Dans l'esprit des Brésiliens, les Jeux ne sont pas encore une priorité. Deux mois après le Carnaval de Rio, la "Cidade maravilhosa" joue les endormies, au milieu du bruit des travaux et des nombreux chantiers. "On a l’impression que la population brésilienne ne s’est pas encore réveillée pour les Jeux", regrettait le ministre des Sports lors de son intronisation. "C’est simple, on ne sent rien", confirme Fanny Lothaire, correspondante de France Télévisions à Rio. "Mais c’était pareil avant le Mondial. Les gens craignent encore des ‘éléphants blancs’ à l’image de ces stades construits pour le Mondial 2014 qui ne servent à rien", explique-t-elle. "A Barra, un autre village olympique avait été construit pour les Jeux Panaméricains et aujourd’hui personne ne veut y habiter. Il a été aménagé sur une zone marécageuse, c’est un nid à Zika. C’est un des symboles de l’échec de la politique d’urbanisation."

Rai, l'ancienne star de la Seleçao et du PSG, comprend la relative torpeur de la population, mais voit des différences par rapport au Mondial-2014: "L’approche des Jeux Olympiques est bien meilleure que celle de la Coupe du monde. En plus des dépenses dont on n’avait pas besoin, le Mondial a pâti d’une Fifa plus arrogante dans sa façon de gérer, que ne l’est le Comité international olympique (CIO). L’image du CIO est bien meilleure, et du coup les Brésiliens sont plus tolérants avec les Jeux. Et puis on voit ce qui se passe pour les transports publics dans la ville, la réurbanisation de certains secteurs. Des héritages concrets sont en train d’apparaître, dont la population pourra profiter, alors que la Coupe du monde a laissé des stades vides, non-utilisés. Pour les JO, un plan plus intelligent a été réalisé pour qu’on puisse ensuite utiliser les enceintes, et tout ce qui a été construit." Avant même le début des épreuves, les Cariocas ont pu bénéficier du site de canoë-kayak en eau vive, pour se baigner en février dernier. Un exemple parmi d'autres.

Rai assure que ces "Jeux Olympiques seront une réussite". Fanny Lothaire promet que le Brésilien est un "bon petit soldat: il sera là le jour J".

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