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Haruki Murakami, l'écrivain qui fait swinguer les mots

Amoureux du jazz, Haruki Murakami a développé un style d'écriture inédit, ébouriffant la littérature japonaise et ses lecteurs au-delà de l'archipel.
Article rédigé par Julien Lamotte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
  (MAXPPP)

Biberonné au jazz, Haruki Murakami a dépoussiéré la littérature japonaise en plaçant la culture américaine au centre d'une oeuvre foisonnante. Traduit en 50 langues, régulièrement pressenti pour le Prix Nobel, il est le romancier nippon le plus lu dans le monde. Romantique, onirique, érotique, fantastique, mélancolique : le style de Murakami c'est tout ça à la fois. Et c'est ce qui le rend unique. 

Tempo calme. Brusque accélération. Digression. Improvisation. La musicalité des phrases de Murakami ressemble à du jazz. Plutôt free que classique. Cette rythmique si particulière s'explique : gérant d'un club qui passe du John Coltrane ou du Thelonious Monk tous les soirs à Tokyo, le jeune Murakami va rapidement découvrir dans cette musique une liberté qui n'existe plus dans son monde.

Mais pour bien comprendre l'homme et l'écrivain, il faut remonter encore plus loin, au 12 janvier 1949. Haruki Murakami est né en plein Japon d'après-guerre. À cette époque, le pays est traumatisé par la défaite de 1945 et se réfugie dans ses traditions ancestrales pour oublier. La jeunesse, pourtant, commence peu à peu à s'ouvrir à l'Occident et à céder aux chants des sirènes américaines. Le téméraire Haruki est le premier à revendiquer fièrement cette influence. Au pays du saké, il était dit que les héros de Murakami boiraient du whisky en écoutant Duke Ellington.

En mouvement perpétuel

Cette passion ne le quittera plus. Chevillé au corps, le jazz l'emmène même sur l'autre rive du Pacifique où Murakami peut assouvir sa soif de littérature américaine (il traduit du japonais vers l'anglais des auteurs comme Fitzgerald, Irving ou Salinger). Plus tard il enseigne aussi son art dans les prestigieuses universités de Princeton et Harvard mais revient au pays natal après le tremblement de terre de Kobe en 1995. Finalement Murakami c'est ça, un aller-retour permanent entre les continents, entre la tradition et le modernisme, entre la réalité et le rêve.

Adulé par le public, snobé par le Nobel

Au début, le jeune auteur de Écoute le chant du vent, son premier roman publié en 1979, se heurte à un mur d'incompréhension. Son écriture ne correspond pas du tout aux critères de la littérature japonaise, d'un classicisme absolu. Mais, à force de courage, de talent surtout, Murakami va finir par imposer son style. Un style inimitable, façonné par le temps, évolutif. Et qui a su trouver son public puisqu'en France comme dans le monde, ses romans s'écoulent à chaque fois à plusieurs millions d'exemplaires et ce, sans jamais se renier.

Le succès phénoménal aurait pu lui monter à la tête mais on peut être une star planétaire de la littérature et rester un homme simple. "Il est tout à fait charmant et discret", résume Corinne Atlan, sa fidèle traductrice en France. "Il écrit le matin, va courir l'après midi (la course à pied est l'une de ses autres grandes passions) et le soir il va boire une bière avec ses amis". De même, le fait de ne jamais avoir obtenu le Prix Nobel de littérature (alors qu'il a été 11 fois parmi les finalistes !) ne semble pas l'émouvoir. Au contraire même, l'écrivain de 71 ans préfère s'en amuser : "Si je recevais le Prix Nobel ça voudrait dire que je suis vieux", ironise-t-il.

De multiples expressions ont été inventées pour définir la patte Murakami. On parle ainsi de "réalisme magique" ou de "romantique surréaliste". Autant de termes pompeux pour finalement décrire une écriture limpide, mêlant poésie, humour et nostalgie. Quant aux thèmes abordés par le natif de Kyoto, ils sont souvent les mêmes et tournent autour de la solitude et de l'incommunicabilité entre les êtres.

Comme dans un rêve éveillé

La sexualité est également omniprésente dans son oeuvre, au point que certains de ses livres sont régulièrement visés par la prude censure japonaise. Pourtant, Murakami se défend de verser dans le graveleux. "Je traite le sexe d’une manière très pragmatique. C’est-à-dire sans doute avec un étrange réalisme, mais sans jamais donner dans la pornographie". S'il est indéniable qu'il va loin dans la crudité et abreuve le lecteur de détails anatomiques, l'auteur conserve une distance onirique avec le sujet. "Le sexe est la voie royale qui mène de l’autre côté. Il y a quelque chose de spirituel dans le rapport sexuel. Il ouvre une porte symbolique".

"Autre côté", "spirituel", "porte symbolique" : en quelques mots, le génie nous donne les clés pour pénétrer son univers parfois mystique. Lire Murakami c'est comme rêver éveillé. Pas étonnant qu'il se revendique de Kafka. Mais là où l'auteur de La Métamorphose crée un monde anxiogène, celui de IQ84 nous entraîne dans un univers vaporeux où les sentiments sont dépeints avec une justesse et une humanité bouleversantes. Murakami ne tambourine pas lourdement sur ses personnages, il les effleure délicatement. Comme des pinceaux sur une batterie de jazz.

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