Enquête sur l'attribution des JO de Tokyo : Fin de confinement pour la justice japonaise
Moins d’une semaine après l’annonce officielle du report des Jeux de Tokyo et au lendemain de celle de la date officielle (23 juillet au 8 Août 2021), voici qu’on remet sur le tapis l’enquête liée à la campagne de candidature. Des correspondants de Reuters à Tokyo et Paris obtiennent d’abord un document transmis par la justice japonaise à son homologue française et qu’elle attend depuis des lustres. Des copies de mouvements bancaires du comité de candidature, incluant également ceux de prestataires, dont Dentsu, géant japonais de la communication, une des plus importantes agences mondiales.
M. Takahashi se met presque à table
En même temps, un des anciens cadres de Dentsu, Haruyuki Takahashi, accepte de parler aux journalistes (pas à un journal local mais à une agence de presse américaine, pour être sûr que tout le monde sera au courant). Monsieur Takahashi, comme on dit au pays des cerisiers en fleurs, a reçu 8,2 millions de dollars pour pratiquer du lobbying, un art martial occidental dans lequel les Japonais ont visiblement passé plusieurs grades au début des années 2010. Le lobbying, une vaste confrérie opérant dans de nombreux secteurs, des armes à la protection de l’environnement, dotée de son code éthique, mais que le monde olympique ne connaît pas encore par coeur. Le lobbying olympique est un métier à la définition assez large et floue, sauf de temps en temps, quand la justice y projette ses poursuites (jeu de mots !).
En somme, il s’agit de convaincre des membres du CIO de voter pour votre candidature, mais aussi de les convaincre de convaincre d’autres membres de voter dans le même sens. Pour résumer, il s’agit de se montrer convaincant. Dans leurs différentes enquêtes financièro-sportives, les juges français eux, tentent d’établir une relation entre le verbe convaincre et des masses d’argent, comme les 8,2 millions $ octroyés à Monsieur Takahashi. Les juges français, au fil de leur investigations - JO de RIO par exemple - prouvent parfois qu’il faut remplacer le verbe « convaincre » par « payer ». Ce que réfute M. Takahashi.
Il reconnaît bien volontiers qu’il a offert « des montres Seiko et des caméras digitales » mais rien de plus. Des spécialités japonaises bien connues, comme chez nous on offre un flacon de bon Bordeaux et un camembert AOC. À qui ? À Lamine Diack, encore lui, l’ancien président de l’IAAF (la fédération internationale d’athlétisme, aujourd’hui World Athlétics). Le même Lamine Diack poursuivi par la justice française pour d’importants détournements de fonds de l’IAAF, actuellement assigné - et confiné - à résidence en France en attendant son procès. C’est par cette affaire athlétique, que les juges français ont atterri dans le monde sombre du « lobbying sportif », vers Rio, puis l’attribution de la coupe de monde de foot au Qatar, des championnats du monde d’athlétisme à Eugene (USA) et enfin aux Jeux de Tokyo. Vaste chantier. Ce sont ici des dizaines de millions de dollars qui ont et auraient circulé des candidatures aux comptes de certains votants, via des intermédiaires.
Mais pas Monsieur Takahashi, il l’assure. Des cadeaux, pour Lamine Diack, caméras, montres, oui il le reconnait bien volontiers, de quelques centaines ou milliers d’euros, qui peuvent passer pour un pêché véniel au regard des millions reprochés au patriarche sénégalais dans le dossier IAAF. Cependant, comme un amuse-gueule, Monsieur Takahashi, lâche cette concession, d’une tractation avec un éminent personnage du sport mondial, par ailleurs pris dans un tentaculaire dossier pénal. Ce lobbying a-t-il été plus sonnant, plus trébuchant ? Non, affirme-t-il.
Vous n’arrivez pas les mains vides
Dans les règles du CIO, qui permettent à ses membres de recevoir des cadeaux, sans en préciser la valeur maximales acceptable, Monsieur Takahashi, parle plutôt de savoir-vivre. Quand on va voir quelqu’un d’éminent comme Lamine Diack « vous n’arrivez pas les mains vides », lâche-t-il plein de candeur. En tout, Reuters révèle qu’il a acheté pour 46500 $ de montres Seiko et pas que pour Lamine Diack. On est effectivement loin de montants susceptibles de faire basculer une candidature olympique.
On en est sans doute plus proche, quand les documents bancaires montrent un transfert de 2,3 millions $ du comité de candidature de Tokyo 2020 vers le compte d’un consultant de Singapour. Est-ce le même Singapourien avec lequel travaillait le fils Diack, qui possédait lui aussi un compte à Singapour ? Quel suspens ! Et Monsieur Takahashi, lui, qu’a-t-il fait des 8,2 millions $ qu’on lui a confiés ? Ils n’ont pas été dépensés qu’en montres et en caméras. En fait là aussi, ce sont des « consultants spécialisés en lobbying olympique » qui en ont bénéficié. Des spécialistes recrutés sur tous les continents mais principalement aux États-Unis et en Europe, jusqu’en France, sélectionnés en fonction de leur carnet d’adresse et de la « qualité » des relations qu’ils entretiennent avec le gibier. Le langage du lobbying olympique, tient plus de celui du chasseur que du cueilleur. Il est régi par une maxime délivrée par un ancien consultant qui a depuis, raccroché son fusil : « chasing, hunting, catching, controling, farming ». Chasser, traquer, attraper, contrôler, mettre en élevage. Toute la poésie du marketing anglo-saxon !
En haut de la chaîne de commandement, Monsieur Takahashi n’arrivait qu’à l’étape du contrôle, avec ses modestes présents, de la verroterie. Si mallettes il y a eu, ce n’est certainement pas lui qui les a portées. Comme dans l’affaire IAAF, les juges français cherchent parmi ces consultants, ceux qui auraient pu « traquer et attraper ». Et dont beaucoup sont Américains. Le pays qui en 48H a fait basculer le CIO et Tokyo vers l’annulation des Jeux de 2020 et le report en 2021. Est-ce en cette direction qu’il faut voir l’avertissement lancé par une importante personnalité du pays, Monsieur Takahashi, dont on n'imagine pas qu’il s’exprime, maintenant, de son propre chef.
D’ailleurs sur l’utilisation réelle des 8,2 millions $ qui lui ont été alloués, Monsieur Takahashi est très clair, il n’a « aucune obligation de donner le détail de ce qu’il a fait de cet argent ». Mais, lui qui semblait, jusque là, confiné au secret, laisse l’espoir qu’un jour prochain, le masque de protection d’intérêts supérieurs qu’il porte sur la bouche, tombera. « Un jour avant de mourir, je vous le dirai ». De quoi faire frémir la confrérie des lobbyistes aux anneaux. Actuellement, cerisiers et pommiers sont en fleurs à Tokyo, mais en avril, un coup de gel est vite arrivé. En avril, mais de quelle année ?
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