: Reportage JO de Paris 2024 : à Tahiti, ces enfants défient la vague olympique de Teahupo’o
Tauirai Henriou Oopa, Kiara Goold, Liam Sham Koua… Ils sont hauts comme trois pommes, âgés entre 11 et 13 ans, et se lancent déjà à l'assaut de Teahupo'o. Cette vague, située en face du village éponyme sur la presqu'île tahitienne, est aussi belle que dangereuse. Sa lèvre épaisse, d'un bleu polaire, vous happe en une fraction de seconde pour vous projeter contre un récif affleurant, aussi tranchant que du verre. On y entendrait presque chanter les sirènes. C'est sur cette déferlante que se dérouleront les épreuves de surf des JO 2024, du 27 au 30 juillet.
Elle vous fera vivre votre plus beau rêve, ou vous plongera dans votre pire cauchemar. "Avant, je n'aimais pas trop cette vague, avoue Tauirai, 11 ans. Elle me faisait peur." Tout un imaginaire s'est construit autour de cet endroit. Même son nom, Teahupo'o, traduisez "le mur de crânes", fait froid dans le dos. Il viendrait d'une grande bataille entre deux clans, à la suite de laquelle une séparation du territoire aurait été bâtie avec les os et les crânes des vaincus. Au-delà de l'histoire de l'île et des légendes qui l'habitent, les Polynésiens vouent un respect immense à la nature. Les éléments qui la composent, des montagnes aux rivières, en passant par les arbres, sont considérés comme des êtres vivants. Tous vous parleront du mana, une force sacrée, une puissance surnaturelle qui guide les habitants.
"Avant de me lancer, j'ai beaucoup d'adrénaline"
Pourtant, ces jeunes surfeurs ont fini par se lancer à l'assaut de ce spot. "En début d'année, il y a eu une grosse houle, se souvient Tauirai Henriou Oopa. J'étais venu pour regarder les surfeurs et tonton Raimana [Raimana Van Bastolaer, une figure de Teahupo'o] m'a demandé 'Tu veux y aller ?'. Au début, je n'avais pas vraiment envie mais je me suis dit que c'était une occasion unique. Il y a énormément d'énergie dans cette vague. Après l'avoir surfée, j'ai été malade pendant une semaine."
Un jour que le jeune Tauirai n'est pas prêt d'oublier, et sa mère non plus. "J'étais allongée à la maison quand son papa m'a envoyé la vidéo. J'ai approché l'écran et j'ai vu qu'il n'avait pas de casque, j'étais folle, repense Vaianu. Je crois que si j'avais été là, je ne l'aurais pas laissé surfer", dit-elle avec une pointe d'humour. Mais le père du garçon tempère : "On le fait de manière progressive, quand la houle n'est pas trop grosse. Il faut se faire confiance et faire confiance à l'océan."
Dire qu'ils n'ont pas peur serait mentir. Enfants comme parents. "Ça peut paraître inconscient mais on ne fait pas les choses n'importe comment, souligne Raitahi, le père de Liam. On veut qu'ils apprennent à gérer cette énergie. Vous savez, il faut s'habituer à ce visuel", celui d'une montagne d'eau qui se dresse devant vous. Car le principal danger pour toute personne qui défie Teahupo'o est de se laisser envahir par la panique. "Avant de me lancer, j'ai beaucoup d'adrénaline. Je fais le vide, je n'entends plus rien", visualise Tauirai. Une fois dans le tube, "la sensation est incroyable. Tu prends de la vitesse, tu sens le vent et tu as une vue magnifique sur les montagnes", poursuit Kiara.
"Quand tu bouffes [tu chutes violemment], tu essaies de rester calme et de remonter, philosophe Liam. La bouffe, ça fait partie de l'apprentissage." Mais dans ce cas-là, mieux vaut être équipé : "Un jour, j'ai pris une très grosse vague là-bas et ma planche a piqué. J'ai été plaquée contre le récif, heureusement, j'avais un casque", raconte Kiara. Ils sont d'ailleurs plusieurs surfeurs professionnels à prôner son utilisation. C'est le cas du Tahitien Kauli Vaast, sélectionné pour les Jeux olympiques, qui apparaît souvent avec un casque de couleur vive. Si son utilité n'est plus à prouver dans des pratiques comme le vélo ou le ski, le port de ce matériel en surf n'est pas popularisé. "Le casque, ce n'est pas du luxe ! Je lui mets quand on va au récif ou quand il y a peu de fond", assure le père de Liam.
À Tahiti, la (très) jeune génération de surfeurs ne manque pas de talent. À croire qu'ils ont appris à ramer avant de savoir marcher. Kiara avait 1 an la première fois qu'elle est montée sur une planche de surf. Contrairement à ce que pourrait laisser penser son palmarès fleurissant, elle n'a pas tout de suite accroché à la glisse. "J'avais un peu peur de la force des vagues, ce n'est qu'à mes 10 ans que j'ai commencé à vraiment aimer le surf." Originaire de Bora-Bora, l'une des îles de l'archipel de la Société, la jeune fille habite aujourd'hui à Teahupo'o. Les deux garçons, d'aussi loin qu'ils s'en souviennent, ont toujours été des poissons dans l'eau. "Le lien avec l'océan est très puissant", conviennent-ils.
Tahiti, vivier du surf français
Après avoir vu passer une génération de champions venus de La Réunion, à l'image de Jérémy Florès et de Johanne Defay, surfeuse tricolore qualifiée pour les Jeux olympiques, ce sont aujourd'hui les Tahitiens qui sont sur le devant de la scène. Pourtant, la filière sportive du Fenua (Polynésie française) est encore fragile et les compétitions sont rares sur l'île. "Les gamins sont très doués, mais il y a un manque d'encadrement et de matériel", déplore Max Wasna, président de la Fédération tahitienne de surf.
Ce dernier souligne qu'un projet de pôle haut niveau à Tahiti est en discussion avec la Fédération française pour effectuer des échanges avec la métropole et offrir davantage d'opportunités aux surfeurs. Une commission sociale a également été mise en place pour favoriser l'égalité des chances. "Cela coûte très cher d'envoyer les petits faire des compétitions à l'extérieur." Raitahi évalue leur récent déplacement en Australie, à l'occasion de l'Occy's Grom Comp, à près d'un million de francs pacifique, soit plus de 8 000 euros. "C'est sûr qu'on ne serait pas contre une aide financière." Pour participer aux frais qu'impliquent les voyages, "et prendre conscience de la valeur de l'argent", Tauirai fait des ventes de cookies avec sa mère. "Bien sûr, ça ne rembourse pas le billet d'avion, mais ça permet de payer le fret de ses 'boardbags' par exemple."
Si pour le moment les Polynésiens n'ont pas d'infrastructure à la hauteur de leurs ambitions, ils peuvent toutefois compter sur le soutien des parents, faisant office de coach, et les conseils des anciens, comme Raimana Van Bastolaer, le "tonton", avec qui bon nombre de groms [jeune surfeur] ont pris leur première vague à Teahupo'o. "Ils nous aident beaucoup", reconnaît Liam. Les trois comparses profitent d'une dernière session en bord de plage avant que le site ne ferme. D'ici à quelques jours, ce sera au tour de leurs aînés, Vahiné Fierro et Kauli Vaast, de se jeter à l'eau. Voir deux enfants du pays représenter le Fenua lors d'un événement planétaire comme celui-là est un exemple pour la jeune génération, qui aspire, elle aussi, à côtoyer l'élite mondiale.
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