Reportage Sportifs sous haute sécurité, gestes antisémites en tribune... Comment la guerre entre Israël et le Hamas s'est invitée aux JO de Paris 2024

Depuis le début des épreuves, les athlètes israéliens doivent notamment affronter l'hostilité d'une partie du public. Les sportifs palestiniens, eux, profitent d'un accueil plus favorable, à l'image des applaudissements lors de la cérémonie d'ouverture.
Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La judokate israélienne Gill Sharir retrouve ses proches, après son élimination du tournoi olympique, le 30 juillet 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Pas une fois leurs regards ne se sont croisés. Le Palestinien Fares Badawi et l'Israélienne Gill Sharir ont cohabité quelques instants, mardi 30 juillet, dans la zone mixte du Grand Palais éphémère. Mais rien. Pas le moindre coup d'œil, pas le moindre geste. La judokate israélienne racontait à une grappe de journalistes espagnols sa tristesse d'avoir perdu contre Clarisse Agbégnénou sur une action décisive peu évidente, dans la catégorie des moins de 63 kg.

A une vingtaine de mètres, juste derrière, Fares Badawi semblait avoir déjà digéré son élimination du tournoi olympique contre le Tadjik Somon Makhmadbekov, en moins de 81 kg. "Etre ici, à Paris, pour les JO, est un honneur, souffle-t-il à franceinfo. C'est une manière de rendre ma famille heureuse. Je vis en Allemagne, mais mon oncle et mes cousins sont à Gaza. Ils méritent qu'on pense à eux, car ils ne méritent pas ce qui leur arrive, cette guerre. J'ai combattu en pensant à mes proches restés à Gaza."

Interrogé par un confrère de l'agence Reuters, Fares Badawi, 28 ans, va plus loin : est-ce qu'il accepterait d'affronter un judoka israélien ? "Bien sûr que non. (...) Je ne peux pas serrer la main de quelqu'un qui tue mon peuple. C'est difficile pour moi."

Le judoka palestinien Fares Badawi, le 30 juillet 2024, après son élimination du tournoi olympique, à Paris. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

C'était la hantise du CIO. Et voilà qu'à 3 200 km de la bande de Gaza, la guerre que mène l'armée israélienne "entre" aux Jeux olympiques. Déjà, lors de la cérémonie d'ouverture, des huées et des sifflets ont enveloppé une partie des quais de Seine au moment du passage du bateau de la délégation israélienne. Au niveau du pont des Arts, où se trouvait un journaliste de franceinfo, des spectateurs ont crié "Shame ! Shame !" A l'inverse, des applaudissements nourris ont ensuite accompagné le bateau sur lequel se trouvait la petite délégation palestinienne.

Des gestes antisémites vus en tribune

Samedi soir, le match de football Israël-Paraguay a lui aussi été marqué par des incidents. Une partie du public du Parc des Princes a sifflé l'hymne de l'Etat hébreu, quand d'autres ont brandi des drapeaux mentionnant "Israël assassin". Le parquet de Paris a même fini par ouvrir une enquête pour "provocation à la haine raciale aggravée" après qu'une dizaine de personnes "vêtues de noir, masquées et porteuses de drapeaux palestiniens" ont déployé "une banderole portant la mention 'Genocide Olympics'". Toujours selon le ministère public, l'un de ces individus aurait mimé des "gestes à caractère antisémite". Les organisateurs ont "fermement" condamné "ces agissements".

C'est déjà au Parc des Princes, mercredi soir, qu'un supporter brésilien a fini par scander "Free Palestine" après avoir été interrompu à plusieurs reprises par un fan israélien alors qu'il discutait des performances des équipes de football lors d'une interview à la télévision.

De son côté, la Fédération internationale de judo promet, elle aussi, de mener une "enquête approfondie" après la disqualification de l'Algérien Messaoud Redouane Dris, officiellement pour avoir dépassé le poids requis. Il devait normalement affronter lundi l'Israélien Tohar Butbul.

Des sportifs israéliens sous haute sécurité

Depuis le début des Jeux, tout est fait pour que les 88 athlètes israéliens et les 8 sportifs palestiniens ne se croisent pas en dehors du hasard des compétitions. A commencer par le village olympique, où les deux délégations ont été installées à deux endroits différents. La Palestine a pour voisins l'Equateur, la Corée du Nord, le Sénégal et la Libye, a appris franceinfo.

Chaque sportif israélien est, lui, géolocalisé en temps réel. "Un brief est organisé tous les jours avec les équipes de protection des Israéliens et on se coordonne selon les épreuves, les déplacements, les impératifs, le calendrier", explique à franceinfo une source sécuritaire française. Les forces de l'ordre dorment dans le même bâtiment que la délégation, afin de pouvoir assurer sa protection 24h/24. Du côté du GIGN, ce sont les hommes de la Force sécurité protection qui seront à la manœuvre, a appris franceinfo de même source. Formés notamment à la protection des ambassadeurs dans les pays en crise, ils ont déjà sécurisé des équipes sportives, lors de l'Euro 2016 et la Coupe du monde de rugby 2023.

Un dispositif de sécurité impressionnant, qui n'est pas près d'être allégé. Vendredi, jour de la cérémonie d'ouverture, des données personnelles des athlètes israéliennes ont été illégalement divulguées sur des réseaux sociaux. Une enquête pour "atteintes à un système automatisé de données" a aussitôt été ouverte et confiée à l'Office anticybercriminalité (Ofac). Mardi, le parquet de Paris a annoncé que ces informations sensibles ont été "en principe" retirées d'internet.

La judokate israélienne Gill Sharir retrouve ses proches, après son élimination du tournoi olympique, le 30 juillet 2024. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Lors d'une conférence de presse à Tel Aviv le mois dernier, le ministre israélien de la Culture et des Sports a demandé aux athlètes israéliens d'éviter à tout prix de discuter de la guerre en cours. "La meilleure façon de gérer de telles choses est de gagner, de réussir", a exhorté Miki Zohar, appelant aussi ses collègues ministres à garder le silence sur ces questions.

"Il ne faut pas mélanger la politique et le sport."

Miki Zohar, ministre des Sports israélien

lors d'une conférence de presse

Les supporters israéliens présents dans la capitale ont, eux aussi, opté pour la précaution maximale. Croisé sur les épreuves de skateboard à la Concorde, Azriel raconte avoir refusé d'acheter un drapeau israélien à sa fille Avital, âgée de 9 ans. "Je préfère qu'on soit discret. Je range mon drapeau israélien en sortant des épreuves", regrette le père de famille, qui a prévu de rester à Paris jusqu'à dimanche. D'ailleurs, il ne dit à personne où il loge. 

Une heure après son combat perdu contre Clarisse Agbégnénou, nous recroisons la judokate israélienne Gill Sharir, changée cette fois. Entourée d'amis d'enfance, elle décompresse en appelant en visio sa famille restée à Tel Aviv. Avant de passer la grille de sortie de l'Arena Champ-de-Mars, la petite bande vérifiera deux fois que tous leurs drapeaux israéliens sont bien rangés à l'intérieur des sacs. "Ça ne sert à rien de prendre des risques. C'est dommage, mais c'est comme ça."

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