Paris 2024 : recruter des entraîneurs étrangers, la nouvelle stratégie française pour réussir les Jeux à domicile
À l'image de l'ex-légende italienne Andrea Giani désigné nouvel entraîneur de l'équipe de France de volley, une dizaine de coachs étrangers réputés ont été recrutés en vue des prochains Jeux olympiques de Paris 2024.
Experts, consultants, directeurs des équipes de France. Leurs fonctions sont diverses. Depuis plusieurs mois, la France a lancé une vaste opération de recrutement d'entraîneurs étrangers. Le but ? Aller chercher des compétences ou des visions différentes en dehors de nos frontières pour préparer au mieux les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Le but ultime fixé par les instances du sport français étant d'intégrer le top 5 du tableau des médailles, objectif nécessaire à la réussite complète de JO à domicile.
La crème de la crème mondiale
Pour cela, plusieurs fédérations, en collaboration étroite avec l'Agence nationale du sport (ANS), sont allées chercher les pontes dans leur domaine à l'instar de l'Allemand Jürgen Grobler. L'entraîneur mythique des rameurs britanniques, le plus titré aux Jeux olympiques, tous sports confondus, est en effet sorti de sa retraite pour rejoindre l'équipe de France en septembre 2021, en tant que consultant exécutif de la haute performance. Son palmarès est incroyable : depuis 1976, il a ramené au moins une médaille d’or de chaque édition olympique à laquelle il a participé.
Mais Grobler est loin d'être le seul talent à avoir été recruté par le camp français. Le coach néerlandais Jacco Verhaeren, dix titres olympiques et neuf mondiaux au compteur, loue à présent ses services à la fédération française de natation sous le titre de directeur des équipes de France de natation course et d'eau libre.
L'Ukrainien Vitaly Marinitch est, lui, devenu l'entraîneur principal de l'équipe masculine de gymnastique, le Coréen Oh Seon-Tek a été nommé entraîneur en chef du tir à l'arc, le Cubain Humberto Horta Dominguez est en charge de l'équipe féminine de boxe tandis que l'Espagnol Fernando Rivas a accepté le poste de responsable senior du badminton, secondé par le Lituanien Kestutis Navickas pour le simple et l'Anglais Chris Langridge pour le double. Dernier recrutement en date, l'ex-légende italienne Andrea Giani a été annoncé, mardi 29 mars, comme successeur du Brésilien Bernardo Rezende à la tête de l'équipe de France de volley masculine, championne olympique en titre.
Un projet porté par l'ANS de Claude Onesta
La campagne de recrutement a été impulsée par Claude Onesta, le manager de la haute performance à l'Agence nationale du sport (ANS), dont la mission est d'accompagner les fédérations vers les Jeux de Paris. Le défi est d'autant plus grand que la France n'est plus entrée dans le top 5 des médailles depuis les Jeux de Londres en 1948, où elle avait terminé troisième.
Pour se donner les moyens de ses ambitions, l'Agence dispose d'un budget total de 110 millions d'euros, "pour traiter toutes les problématiques de performances de toutes les fédérations françaises des disciplines olympiques et paralympiques", détaille Claude Onesta. Pour le "plan coachs 2024", l'ANS s'appuie sur un budget de 10 millions d'euros. Tous les présidents de fédérations le reconnaissent : sans cette aide financière supplémentaire de l'ANS, ces recrutements n'auraient pas été possibles. "Mon principe est simple : je veux les meilleurs entraîneurs pour Paris 2024. Mais sans le budget supplémentaire de l'ANS, nous n'aurions pas eu suffisamment de fonds propres pour nous entourer des meilleurs", appuie Bruno Gares, le président de la Fédération française d'escrime.
L'herbe est parfois plus verte ailleurs
Ce choix de recruter là où se trouvent les talents est parfaitement assumé au sein de l'Agence. "Si notre encadrement est de qualité, pour certaines fédérations il y a un manque d'expertise et d'expérience en matière olympique ou mondiale, justifie Claude Onesta. Pour chaque fédération, on a identifié les athlètes à fort potentiel de médailles pour Paris, puis on a regardé quelle était la qualité de l'encadrement autour d'eux, et repéré les points de faiblesse."
"Parfois, aller chercher l'expertise chez les autres quand on ne l'a pas, est une solution."
Claude Onesta, manager de la haute performance à l'Agence nationale du sport (ANS)à franceinfo: sport
Une fois l'analyse des besoins effectuée, les fédérations ont identifié des profils que l'ANS a ensuite validés. Pour pallier une décrue de performance en natation, traduite par une seule médaille aux Jeux olympiques de Tokyo, la FFN n'a pas hésité longtemps sur son choix. "Jacco [Verhaeren] avait une vraie expérience de coach avec un palmarès que peu chez nous ont, voire pas du tout. Il a aussi permis à l'Australie de redevenir une grande puissance de la natation", développe Julien Issoulié, le DTN de la Fédération française de natation.
Pour la Fédération de tir à l'arc, le recrutement du Coréen Oh Seon-Tek permet aussi de préparer l'avenir de l'équipe de France. "On voulait quelqu'un qui puisse encadrer, former et guider une nouvelle génération d'entraîneurs français pour l'après 2024, notamment pour Los Angeles 2028", justifie Jean-Michel Cléroy, le président de la FFTA.
Consolider l'expérience française
Au-delà de donner les meilleures clés possibles aux fédérations pour remporter des médailles à Paris, l'objectif est aussi que ces entraîneurs et experts étrangers transmettent leur savoir-faire pour l'avenir. "L'objectif, et ce sera grâce à l'héritage de Paris, c'est d'avoir une culture de la performance, insufflée à l'ensemble des acteurs. On veut aussi que l'encadrement français monte en compétence", confirme Yohan Penel, président de la Fédération française de badminton.
Pour cela, ces nouveaux techniciens ont signé des contrats jusqu'au 31 août 2024, soit au lendemain des Jeux olympiques. "En deux ans, certaines disciplines auront déjà pris la mesure de cet apport d'expérience. Pour d'autres, il faudra aller au-delà, car le temps de l'acculturation à la performance sera plus long. Il faudra aussi regarder, au cas par cas, si l'expérience s'avère profitable", précise Claude Onesta.
Pour l'heure, les recrutements de coachs étrangers concernent exclusivement les disciplines olympiques. "Il est difficile d'identifier des grands entraîneurs étrangers handisport, car ils sont peu nombreux. Toutefois, nous sommes tout autant engagés sur l'émergence du projet paralympique, tient à préciser Claude Onesta. Tous les moyens que l'on investit visent à professionnaliser, stabiliser ceux en place et leur donner un statut ainsi que les moyens nécessaires pour leur permettre un meilleur fonctionnement."
Une pratique courante pour préparer les Jeux à domicile
Certaines fédérations avaient déjà expérimenté le recrutement de techniciens étrangers, mais pour beaucoup, elles ne leur avaient jamais confié des postes aussi haut placés, comme en natation et tir à l'arc.
Ces recrutements ont, certes, été rendus possibles par l'enveloppe financière supplémentaire accordée par l'ANS, mais aussi par un changement de mentalité poussé par le désir de briller à Paris. "Les Jeux de 2024 sont un tournant. Si le sport est très bien structuré en France, nous n'avions en revanche pas cette culture de recrutement hors de nos frontières", poursuit Jean-Michel Cléroy.
Toutefois, en précurseur, l'aviron avait déjà fait cette expérience dans les années 1990 avec un autre coach allemand, Eberhard Mund, qui avait révolutionné le modèle français. Aux commandes de l'équipe de France pendant une dizaine d'années, il a permis aux pavillons tricolores de renouer avec la victoire sur les scènes internationales, dont olympiques. "Il a créé une dynamique, une ADN, qui est toujours en place aujourd'hui. D'ailleurs, ce que fait Jürgen Grobler repose sur les bases instaurées il y a trente ans par Eberhard Mund", constate Christian Vandenberghe.
La France suit ainsi les pas des précédents pays organisateurs des Jeux. Comme la Russie en 2014 et la Corée du Sud en 2018, la Chine avait elle aussi lancé cette campagne d'embauches dans l'optique des Jeux d'hiver avec notamment le Français Jean-Pierre Amat pour le biathlon ou le Québecois Simon Lemieux, en charge de l'équipe chinoise de ski de bosses.
Un nouveau modèle pour Paris et au-delà
Derrière l'objectif de briller à Paris, le but est aussi de transformer le modèle de la très haute performance française. "L'attribution des Jeux de Paris a été l'élément déclencheur qui a permis la remise en question du système existant et la volonté de le rénover. Le modèle précédent date des années 1960. S'il a été efficace, il s'est essoufflé. En parallèle, le nombre de pays qui investissent aujourd'hui sur la performance sportive est beaucoup plus important qu'il y a trente ans. Sans une réforme, vous finissez par vous faire dépasser", souligne Claude Onesta.
Dans cette lignée, le recrutement à l'international pourrait encore se poursuivre au sein des fédérations françaises. "Tout le monde cherche en permanence. On travaille d'ailleurs sur l'arrivée potentielle d'un entraîneur japonais en judo", glisse Claude Onesta. Toutefois, "il ne faut pas qu'il y ait un effet de mode", prévient-il. Nuance appréciée par Ludovic Royé, président de l'association des DTN : "Si dans certains cas, recruter à l'étranger peut être une bonne idée, il faut faire attention à ne pas tomber dans la croyance qui voudrait que les étrangers sont forcément meilleurs que les Français".
Deux ans seront-ils toutefois suffisants pour atteindre l'objectif tant espéré du top 5 mondial du tableau des médailles ? Rien n'est moins sûr. "Pour atteindre le top 5, il aurait fallu mettre les moyens bien avant, déplore Christian Vandenberghe de la fédération d'aviron, qui salue toutefois l'aide financière indéniable de l'ANS. Quand les Anglais ont tout raflé en 2012, ils avaient préparé leurs Jeux dix ans avant. Nous, on doit faire ça en deux ans."
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