JO de Paris 2024 : avant de plonger dans la Seine, comment les triathlètes s'habituent-ils à nager en eaux troubles ?

Les triathlètes, qui s'apprêtent à plonger dans le fleuve parisien, sont habitués à nager dans des eaux polluées. Malgré les précautions et les contrôles renforcés, les risques de maladie existent.
Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les épreuves de triathlon des JO de Paris ont lieu le 30 juillet 2024 pour les hommes, le 31 juillet 2024 pour les femmes et le 5 août 2024 pour le relais mixte. (PAULINE LE NOURS - HELOISE KROB / FRANCEINFO)

"Quelqu'un d'autre a une question qui ne concerne pas la qualité de l'eau ?" Il y a encore quelques semaines, en pleine préparation pour les Jeux olympiques de Paris 2024, le triathlète tricolore Dorian Coninx ne cachait pas son agacement lorsqu'il était interrogé sur l'état de la Seine. Cette épreuve de natation, disputée dans l'eau du fleuve parisien, a suscité de nombreuses polémiques et interrogations. Est-il assez sain pour s'y baigner ? Officiellement oui, même si les critères de validation de la qualité de l'eau sont largement discutables, selon les experts consultés par franceinfo. Preuve que tout n'est pas encore parfait, et que le niveau de baignabilité de la Seine évolue vite, l'épreuve de triathlon masculine a finalement dû être reportée au dernier moment, mardi 30 juillet, les pluies de vendredi et samedi sur Paris ayant dégradé la qualité de l'eau. 

Etre ou ne pas être propre ? Telle est la question que pourraient se poser les adeptes du triple effort. Mais à les écouter, pas vraiment. Car nager dans des eaux potentiellement usées fait partie de leur routine de compétition, comme ce fut le cas lors du "test event" qui s'est tenu le 17 août 2023 à Paris. "L'inquiétude n'est pas plus présente pour les épreuves de Paris que pour d'autres compétitions, c'est un peu notre lot commun", confirme le Directeur technique national de la Fédération française de triathlon (FFT), Benjamin Maze.

"Les épreuves de triathlon internationales se sont développées ou se tiennent dans des lieux qu'on pourrait décrire comme étonnants", euphémise Claude Marblé, médecin du sport, travaillant au sein de la FFT depuis trente ans et ancien médecin des équipes de France accompagnant les triathlètes élites sur trois olympiades (Pékin, Londres et Rio). Ainsi, le port de Yokohama, au Japon, le port d'Hambourg, troisième port européen en termes de fret maritime, le lac artificiel Serpentine à Londres ou les eaux de la baie de Rio, où se sont tenues les compétitions, sont des "sites plutôt à risques", selon lui.

En homme habitué des eaux troubles, il a été recruté comme médecin manager sport par Paris 2024, pour être responsable de la coordination des soins et des secours sur le pont Alexandre III. "Cette problématique de la qualité de l'eau est caractéristique des zones vraiment très urbaines", confirme le triathlète tricolore Léo Bergère. Pour autant, toutes les compétitions du circuit mondial ne suscitent pas d'inquiétudes et l'entraînement en piscine évite une prise de risques quotidienne. 

"On nage dans la merde"

Malgré la psychose qui l'entourait, le "test event" parisien organisé l'été dernier n'avait engendré aucun désagrément majeur. "On a pu nager sans souci, personne n'a été malade, donc honnêtement, ce n'est pas quelque chose qui m'inquiète", rassure la triathlète française Emma Lombardi. "Pour moi, c'est un non-sujet", évacue même Dorian Coninx. Pourtant, les exemples de courses ayant entraîné des soucis de santé existent. Début juin, une trentaine de personnes ont connu des troubles gastriques et des nausées après avoir disputé le triathlon de Dijon et avoir nagé dans le lac Kir, rapporte France 3 Bourgogne-Franche-Comté.

L'an dernier, quelques jours avant le galop d'essai dans la Seine, près de 60 athlètes avaient souffert de diarrhées et de vomissements après avoir nagé lors de l'étape des Championnats du monde de triathlon à Sunderland (Royaume-Uni). "Je me sens plutôt mal depuis la course, mais j'imagine que c'est ce qui arrive quand on nage dans la merde", avait tonné sur Instagram le triathlète australien Jake Birtwhistle, dans un message accompagnant les analyses de l'eau.

Chez les athlètes, la qualité de l'eau n'a pas toujours été un sujet de préoccupation. "Jusqu'au milieu de ma carrière, je n'avais pas conscience qu'une eau pouvait être aussi dangereuse", déclare Frédéric Belaubre. L'ancien triple champion d'Europe de la discipline, au début des années 2000, se souvient d'une épreuve en France disputée dans une "eau marron", juste après un épisode pluvieux intense.

"Certains participants ont eu de simples gastro-entérites, mais pour un petit nombre, cela a été bien plus grave, à tel point qu'ils n'ont pas pu finir la saison, ni reprendre l'entraînement."

Frédéric Belaubre, triathlète

à franceinfo

Yann Guyot, spécialiste de "half Ironman", une distance de triathlon supérieure au format olympique, raconte avoir déjà "nagé à côté de poissons morts à la surface, ce qui n'est pas forcément un signe de bonne qualité" de l'eau. Malgré des conditions loin d'être optimales, tous les nageurs ne ressortent pas malades de leur baignade. "Cela dépend aussi du système immunitaire de chacun. On n'a pas forcément tous les mêmes, ni les mêmes réactions", avance Emma Lombardi. "Les athlètes de haut niveau ont des défenses immunitaires plutôt faibles, détaille Claude Marblé, le statut immunitaire d'un athlète suit une courbe ascendante, mais à un certain niveau de pratique, environ 20 heures à 25 heures d'entraînement par semaine, il baisse." Et les organismes sont exposés à des maladies face auxquelles il faut forcément se protéger.

Probiotiques, chlore et Smecta

Pour booster leurs défenses immunitaires, les athlètes peuvent prendre des probiotiques, selon le référent médical. Les veilles de course, certains optent pour des antibiotiques, une pratique déconseillée par Claude Marblé. Mais la pratique la plus courante consiste à ingérer, avant de se jeter à l'eau, "une pastille de chlore diluée dans un verre, affirme celui le médecin. Ce n'est pas très bon, mais cela peut aider, car le chlore est un désinfectant de l'eau." En plein effort, le sang part dans les muscles, qui demandent beaucoup d'oxygène, et épargne le cerveau, le foie, les reins, le cœur et le tube digestif.

"Le verre d'eau chlorée va rester un certain temps dans l'estomac. Si l'athlète avale de l'eau durant la course, elle peut être désinfectée dans l'estomac avec le chlore."

Claude Marblé, médecin du sport

à franceinfo

Le triathlète français Pierre Le Corre, lui, ingurgite "parfois du Smecta [un antidiarrhéique] en amont des courses", raconte-t-il au Monde, pour diminuer les risques. La nage du triathlon s'effectuant en départ groupé, en confrontation directe et sans lignes d'eau utilisées en piscine, il "semble un peu inéluctable d'avaler de l'eau", souffle le médecin. Mais malgré ces précautions, qui ne sont que des recommandations et non des obligations, des gastro-entérites peuvent survenir. "Il existe également des risques plus sournois, comme les parasites, présents sur les canards, qui peuvent provoquer des irritations de la peau. Ou liés aux algues rouges et vertes qui peuvent entraîner des risques respiratoires", énumère Claude Marblé. 

Le médecin du sport pointe aussi "un risque plus rare", lié à la présence de rats, qui sont porteurs de la bactérie leptospire. Si celle-ci est présente dans l'eau et qu'un athlète a des lésions cutanées ou avale de l'eau, il peut contracter la leptospirose. Elle peut provoquer un syndrome grippal et une intoxication au niveau du foie, "qui peut prendre une forme grave et même mortelle parfois", observe le médecin. "On sait qu'il y a des rats à Paris, mais on ne sait pas si la chasse a été faite", glisse-t-il. Il précise que le risque de contracter cette maladie, qui touche environ 600 personnes par an en France selon l'Institut Pasteur, "est très, très faible, mais pas nul" et qu'un vaccin existe contre la forme la plus grave.

Une réglementation internationale durcie

Devant l'augmentation des cas de maladie après les épreuves, les instances internationales se sont emparées du problème depuis une dizaine d'années. Cette prise en main a accompagné l'arrivée de normes européennes sur la qualité des eaux de baignade, qui est mesurée selon quatre niveaux. Sont analysés deux germes, E.coli et entérocoque. En fonction de leur niveau de prolifération, l'eau est jugée polluée ou non. "Si les eaux ne sont pas catégorisées comme étant de très bonne qualité, la nage doit être annulée", souligne le règlement de la Fédération internationale de triathlon.

Ces outils de mesure sont les garants de la santé des athlètes. "On sait que certains endroits réunissent des conditions plus délicates, mais les démarches et les protocoles médicaux existent pour réduire les risques", assure le Directeur technique national de la Fédération française de triathlon, Benjamin Maze. Des contrôles et une rigueur bienvenus, car les athlètes ont parfois bien du mal à déceler les risques. "Quand on nage dans des ports, il n'y a pas d'odeur, l'eau est bonne, la couleur aussi, ça donne plutôt envie. Il n'y a aucun indicateur visible qui peut nous laisser penser qu'on ne peut pas nager", glisse Frédéric Belaubre. 

Quoi qu'il en soit, la décision de la tenue de l'épreuve reste entre les mains des organisateurs. Les triathlètes, eux, n'ont pas vraiment leur mot à dire. "Leur job, c'est d'arriver prêts à faire face à n'importe quel obstacle", résume l'ancien champion d'Europe. Pas d'analyser la qualité de l'eau ou de juger celle d'un parcours. Voilà peut-être pourquoi "on ne se pose pas la question du danger, conclut Dorian Coninx. On a plus peur du risque de chute à vélo que des conséquences éventuelles d'une nage dans une eau pas très propre." Victime d'une double fracture au coude et au poignet à vélo lors d'une compétition, il y a un peu plus de deux mois, le champion du monde français en sait quelque chose.

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