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JO 2021 : "En 2009, j'ai failli exploser en vol", raconte Alain Bernard sur sa notoriété soudaine

Double médaillé d'or olympique sur le 100 m à Pékin en 2008 puis sur le 4 x 100 m à Londres, en 2012, Alain Bernard a parfois eu du mal à gérer son statut. 

Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Alain Bernard accueilli en 2008 à la piscine d'Aubagne rebaptisée en son nom.  (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Comme beaucoup de champions olympiques, le nageur natif d'Aubagne a dû composer avec une notoriété soudaine. Aujourd'hui conseiller municipal à Antibes (Alpes-Maritimes), il nous raconte cet épisode doré où se mêlent plénitude sportive, tentations médiatiques et usure mentale.

Franceinfo: sport : Entre mars et août 2008, vous battez des records du monde et vous remportez une médaille d’or olympique sur le 100 mètres nage libre, comment avez-vous vécu ce brusque coup de projecteur ?

Alain Bernard : J’ai été surpris. Le plus gros de l’exposition médiatique, c’était après Eindhoven (aux championnats d’Europe, en mars 2008), où j'ai battu trois records du monde en trois jours. Je ne peux pas dire que j’ai eu peur, mais je me suis dit que cet engouement était un truc de dingue, avec ces demandes d’interviews, ces sollicitations qui partaient dans tous les sens. J’appréhendais, est-ce que j'étais capable de gérer cela ? A l’aéroport Charles de Gaulle, il y avait 300 personnes qui m’attendaient, ce qui est assez rare pour un sportif individuel !

>>JO 2021 : comment gérer la notoriété soudaine chez les sportifs ?<<

Y a-t-il une chose à laquelle vous n’étiez pas préparé dans cette période de notoriété soudaine ?

Oui, les accusations de dopage après les championnats d’Europe. Il a fallu faire une conférence de presse pour quelque chose que l'on n'avait pas fait. Quand je touche en demie et en finale avec 1 m- 1,50 m d’avance sur Filippo Magnini, qui lâche ensuite dans le presse que j’ai trouvé "de bonnes vitamines", tous les journalistes s’emballent. Ca part dans le dopage, les compléments alimentaires, alors que je n’ai rien à cacher. J’ai toujours gardé mes fiches si un jour mes échantillons B doivent être analysés. Mais il faut avancer, que l’on soit attaqué ou perturbé.

Combien de temps a duré cette sensation de plénitude avant que cela redescende ?

Ce n’est pas vraiment un long fleuve tranquille car entre les championnats d’Europe en mars et ceux de France en avril (qualificatifs pour les JO), il y a beaucoup de tentations : je suis invité sur des plateaux télé, des événements le week-end. La difficulté, c’est de dire non, il ne faut pas accepter. Il faut rester concentré sur l'entraînement car si on va faire le pitre à gauche ou à droite, on va en pâtir en termes de récupération et ça peut vraiment coûter très cher.

Comment gère-t-on toutes ces sollicitations extérieures à ce moment-là ?

Avec mon entraîneur (Denis Auguin) et mon agent (Robert Leroux, ancien médaillé en escrime aux JO 1996), on met immédiatement en place un processus : mon agent fait un tableau toutes les semaines avec les obligations prioritaires par rapport à mes engagements contractuels avec les partenaires (EDF, Arena), à qui je dois X jours de représentation dans l’année pour faire des shootings. Mais également des choses secondaires, comme des interviews et entretiens où il va prioriser un sujet de fond avec de belles photos, plutôt qu’une interview people où ils veulent avoir du sensationnel. Le but était d’avoir une image qui me ressemblait. A l’époque, Denis mettait d’ailleurs beaucoup de "non" dans le tableau afin que je sois performant à l’entraînement ! (rires)

Alain Bernard lors de sa médaille d'or sur le 100m nage libre aux Jeux olympiques de Pékin en 2008.&nbsp; (TIMOTHY CLARY / AFP)

Était-ce difficile de gérer les tentations médiatiques ? 

Je suis quelqu’un de curieux par nature. Rencontrer des gens d’univers complètement différents - des militaires, chefs d’entreprise, politiques, artistes - était très enrichissant. Je cherchais ces rencontres mais j’étais contraint par les obligations d'entraînement. Mon entraîneur me disait : "Non, tu ne peux pas faire ça et rater tel entraînement". C’était un peu frustrant.

Avec la médaille d’or olympique, vous rentrez dans une autre sphère. Qu’est-ce qui a changé à ce moment-là ?

A peine arrivé en France, j’arrive à l’aéroport et le chauffeur me dit directement : "C’est génial, on remet ça dans quatre ans !" Je lui ai répondu : "Ça fait quinze jours, laissez-moi profiter ! Dans quatre ans, ce sera une autre histoire !" (rires). C'était sans cesse. Les gens me disaient qu’ils s’étaient levés à 5 heures du matin pour regarder ma course.

Avez-vous ressenti un changement de regard de votre entourage ?

Pas dans le sens malveillant. J’ai plus senti de la fierté chez les garçons et les filles avec qui j’ai fait mes premières longueurs dans la piscine d’Aubagne. De mon côté, j’ai pu leur dire que je n’ai pas été présent auprès d’eux car je me suis engagé égoïstement dans cette voie d’athlète de haut niveau. Néanmoins, ces efforts-là m’ont permis de vivre des émotions immenses, et je pense qu’ils l’ont très bien compris. Ceux qui ne l’ont pas compris ne font de toute façon pas partie de mon cercle proche.

Ce nouveau statut était-il lourd à porter à la suite des JO ?

Je me sentais épié, attendu au moindre petit meeting. Quand tu es champion olympique, tu dois gagner le meeting, le championnat de France, d’Europe ou du monde qui suit. Et finalement, ce n’est pas si évident malgré le travail quotidien. J’avais peut-être une longueur d’avance mais elle s’est réduite avec le temps car ma marge de progression s’est estompée. J’ai été champion olympique à 25 ans, c’est relativement tard.

D'un coup, la pression du résultat devient-elle presque une obligation ?

Il y avait un telle pression qu’en 2009, je suis à deux doigts d’exploser en vol. Mon entraîneur me dit : "Accroche-toi jusqu’à la fin de l’année, il y a les championnats du monde, je sais qu’il y a quelque chose à faire. Ensuite tu peux souffler pour revenir avec cette envie au quotidien." J’étais lassé, frustré de refuser des sollicitations, de gérer des contrats de partenariat et en même temps j’avais l’impression d’être moins productif à l'entraînement. Au quotidien, la vie ne change pas radicalement. Ce qui est usant, c’est que ça dure dans le temps : je finis l'entraînement à 11 heures, je saute dans un avion à midi, je vais faire des plateaux télé ou des shootings avec des partenaires, je rentre à 21h et le lendemain je suis dans l’eau. Tous mes copains d'entraînement, ils se sont reposés. C’est le revers de la médaille. C’est tout cela qui est assez délicat à gérer, c’est psychologiquement fatigant.

Avez-vous pensé arrêter à un moment ?

Oui, mais tous les nageurs de haut niveau pensent arrêter à un moment. Il y a des périodes où l’on est tellement à bout, fatigué nerveusement que le soir on ne trouve pas le sommeil. Le lendemain, le réveil sonne très tôt, on sait qu’on va devoir enquiller des longueurs. C’est de la souffrance physique, puis mentale avec le temps : à quoi cela sert de faire tout ça ? En suis-je capable ? Puis on se raisonne et on se dit qu’il y encore des belles choses à faire.

Au niveau financier, qu’est ce que cela a changé pour vous ?

C’est à ce moment-là que j'ai commencé à gagner ma vie de nageur de haut niveau. Jusque là, c’était du bricolage. Ça m'a apporté une plus grande sérénité sur mon avenir, sur des projets. Je ne stressais plus de pouvoir payer mon loyer, mes courses, mon matériel. C’est la triste réalité du quotidien du sportif de haut niveau en France. Il faut le reconnaître, j’ai été chanceux et récompensé de mes efforts. Le monde du sport ne pourrait pas exister sans les partenariats privés. Ce sont eux qui nous permettent de réaliser nos rêves car on n’a pas un modèle économique assez fort et installé pour accompagner les nageurs de haut niveau. C’est une vraie problématique.

Vous devenez une personnalité publique en quelques jours, avec une parole plus contrôlée. Comment l’avez-vous appréhendé ?

Je savais qu’il fallait que je fasse attention. Je me suis rendu compte que la puissance de la presse pouvait être aussi bénéfique que néfaste. J’ai vite tenu ma ligne de conduite quotidienne, en étant prudent dans mes propos sans être langue de bois ou extravagant. C’est aussi comme ça que les gens ont appris à m’apprécier. J’ai toujours été honnête et sincère, j’ai toujours voulu refléter mon vrai moi-même, peut-être parfois malheureusement à mes dépens car tu n’as pas de filtre, de protection. Mais je n’aurais pas pu faire autrement, je n’ai aucun regret là-dessus.

Avec le recul, comment jugez-vous cette gestion de la notoriété ? Changeriez-vous des choses ?

Ce ne sont pas des regrets, mais je changerais sans doute des choses d’un point de vue sportif. J’ai fait des meetings ou je me suis exposé sportivement et médiatiquement, où je n’étais pas du tout en forme. J’aurais peut-être dû me préserver pour perdre moins d’énergie. Aujourd’hui, Florent Manaudou, Mehdy Metella ou d’autres nageurs exposés, lorsqu’ils ne sentent pas le truc, ils ne vont pas se jeter dans la gueule du loup. A mon époque, la moindre petite défaite pouvait instaurer le doute.

Comment évaluez-vous l’omniprésence des réseaux sociaux aujourd'hui lors d’un phénomène de popularité si soudain et important ?

Avec les réseaux sociaux, les athlètes peuvent se construire une image assez vendeuse, partager des moments et se créer une proximité avec leur communauté. Mais si c’est mal utilisé, ça peut être préjudiciable. Il faut être pertinent dans ce qu’on partage. Je pense que j’ai été assez protégé dans cette période-là, nous n’étions pas surexposés à l’approche des grands rendez-vous. Je ne lisais pas du tout la presse sportive, je ne voulais pas savoir ce qui se disait sur moi. Rétrospectivement, ce n’était pas plus mal. C’était une bonne chose de ne pas avoir à gérer les réseaux sociaux, les jeunes aujourd’hui en abusent peut-être un peu trop parfois en phase de compétition.

Alain Bernard signant des autographes en 2008 à la piscine d'Aubagne rebaptisée en son nom.&nbsp; (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Treize ans après ces moments fastes et neuf ans après votre retraite sportive, que reste-t-il de cette période ?

Encore aujourd’hui, les gens m’en parlent. C’est génial d’avoir ces messages de bienveillance, et je crois que je ne m’y habituerai jamais. Je ne sais pas comment rendre la pareille. Ça prouve que dans cette société où on a l’impression que tout va mal, il y a des belles personnes qui sont attachées aux valeurs du sport, et ça me donne de l’énergie pour porter des messages d’espoir. Je suis fier de cette reconnaissance, mais je veux aussi vivre en paix. Je ne suis pas dans les plus hautes sphères des célébrités sportives et cela me convient très bien.

Que conseilleriez-vous à des plus jeunes qui peuvent se retrouver dans votre cas à Tokyo cet été pour gérer ce tourbillon ?

Ça dépend de la personnalité. De ce que j’ai vécu, que Laure et Florent Manaudou ont également vécu, c’est de prendre soin de soi et de ne pas rater le coche en matière de visibilité, tout en restant soi-même. Car c’est ça que les gens apprécient le plus.

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