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JO 2021 : comment gérer la notoriété soudaine chez les sportifs ?

Tumulte médiatique, plénitude personnelle mais aussi pression permanente : comment les sportifs gèrent-ils un pic soudain de notoriété ?

Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Le champion olympique de natation Alain Bernard, lors de son arrivé à la piscine d'Aubagne rebaptisée en son nom en 2008. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Ils sont entrés sans frapper. On les connaissait parfois un peu, rarement beaucoup, mais jamais à la folie. Une médaille d'or olympique, un vent de fraîcheur à Roland-Garros, un maillot jaune ou un chrono retentissant : les sportifs sont parfois propulsés sur le devant de la scène alors qu'ils n'étaient connus que par les fans de leur discipline. Comme le nageur Alain Bernard en 2008 à Pékin, ils seront certainement quelques-uns à prendre soudainement la lumière pendant les Jeux de Tokyo. Une fois entrés dans le tourbillon de la notoriété, ils ne peuvent plus reculer. Comment alors le gérer ?

Ivresse du bonheur et improvisation 

Antoine Dénériaz est un de ceux-là. Connu dans le microcosme du ski alpin, le descendeur s’est fait un nom pour l'éternité le 12 février 2006 à Sestrières, en Italie. En devenant champion olympique de descente, il entre brusquement dans une sphère qu’il avait imaginé intégrer sans vraiment trop y penser. "Ce qui arrive au moment où tu gagnes, les minutes, heures, jours et semaines qui suivent, c’est quelque chose auquel je ne m’attendais pas, en tout cas dans ces proportions là. On sait que c’est forcément énorme, que si on gagne on va avoir des sollicitations, être connu, que ça peut changer beaucoup de choses. Mais on ne peut pas imaginer à quel point", se rappelle-t-il.

Les parents d'Antoine Dénériaz avec le journal L'Equipe le 13 février 2006. (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

Un phénomène qui touche notamment les athlètes olympiques, dont le sport parfois peu médiatisé vient s'exhiber à la face du monde pendant deux semaines. Alain Bernard, champion olympique de la distance reine du 100 mètres nage libre aux JO 2008, a lui aussi été emporté par le tourbillon. "J’ai été surpris. Je ne peux pas dire que j’ai eu peur, mais je me suis dit que c’était un truc de dingue cet engouement, ces demandes d’interviews, sollicitations qui partent dans tous les sens. Un an après en 2009, je suis à deux doigts d’exploser en vol."

Cyclone médiatique en approche

Des milliers d'heures d'entraînement transformées en quelques secondes pour l'éternité. Les athlètes se préparent à tout, sauf à ça. Le sentiment de plénitude sportive est parfois aussi grisant qu'éphémère. Comment alors gérer l’imprévu ? Comment ne pas se faire happer par les tubes cathodiques, les sollicitations de toutes parts ? "Ce qui est impressionnant, c’est l’engouement que ça crée autour de soi dans les heures qui suivent, se souvient Antoine Dénériaz. Tout d’un coup, les gens étaient prêts à se pousser et à se marcher dessus pour avoir une photo de moi. Ça fait hyper bizarre." 

Journaux télévisés, interviews à la radio ou pour la presse écrite : le cyclone médiatique s’empare de l’athlète, qui doit conjuguer les mois suivants ce qu’il a toujours été et ce qu’il est désormais devenu : une personnalité publique que l'on s'arrache. "Il y a beaucoup de tentations : plateaux télé, événements le week-end… explique Alain Bernard. La difficulté, c’est de dire non. Il ne faut pas accepter, rester concentré sur l'entraînement car si on va faire le pitre à gauche ou à droite, on va en pâtir en matière de récupération et ça peut vraiment coûter très cher."

Obsession du résultat et usure mentale

Passée l’euphorie personnelle et la joie contagieuse du public, la compétition et la vie normale reprennent alors leurs droits. Avec elles des attentes forcément beaucoup plus fortes. C’est le cas de Pierre Gasly. Vainqueur du Grand Prix d'Italie en septembre 2020, le Français a mis fin à 24 ans de disette pour les Tricolores en F1, entrant dans la sphère très fermée des vainqueurs en Grand Prix. "J’ai beaucoup plus d'exposition, de fans et de supporters qui envoient des messages. C’est toujours très motivant de voir qu’on inspire les plus jeunes. Mais il y a aussi beaucoup plus d’attentes alors que la voiture n’a pas changé, notre niveau de performance n’a pas changé." 

Pierre Gasly vainqueur du Grand Prix d'Italie, à Monza, le 6 septembre 2020.  (ANTONIN VINCENT / DPPI MEDIA)

L’attente et la pression générées par une immense victoire créent parfois des sentiments paradoxaux difficiles à gérer. L’athlète obtient son but ultime, mais doit ensuite composer avec un nouveau statut, sans plus jamais pouvoir s’en départir : "Je me sentais épié, attendu au moindre petit meeting. Quand tu es champion olympique, tu dois gagner le meeting, championnat de France, d’Europe ou du monde qui suit. Et finalement, ce n’est pas si évident que cela", raconte Alain Bernard. Problème de riche ? Peut-être, mais la charge mentale, souvent mise sous silence, est bien réelle. "Il y avait un telle pression. J’étais lassé, frustré de refuser des sollicitations, de gérer des contrats de partenariat et en même temps j’avais l’impression d’être moins productif à l'entraînement", continue le nageur, également médaillé d’or en relais à Londres en 2012.

>>JO 2021 : "En 2009, j'ai failli exploser en vol", raconte Alain Bernard sur sa notoriété soudaine<<

Psychologue du sport et préparatrice mentale, Sophie Huguet travaille sur la pression mentale qui s'empare de ces athlètes. "C’est un vrai travail d’accepter que ce n’est parce qu’on devient public qu’on attend plus de vous. On essaye d’explorer tout ce qui déstabilise le sportif, pour ensuite accepter qu’il y aura une forme de pression, conjuguée parfois à l’aspect financier. Comment on va s’y adapter ? Quelles sont les peurs ? Mettre à distance permet de mieux gérer ces aspects-là", explique-t-elle. 

Antoine Dénériaz a lui connu une trajectoire encore plus descendante. Parti brutalement à la faute lors de la finale de la Coupe du monde à Are (Suède) un mois après son sacre olympique, le skieur français en est sorti avec un hématome qu’il a dû se faire ponctionner, avant d’attraper un staphylocoque doré. Un nouveau grand écart brutal, cette fois dans l’autre sens. "Ça m'a cassé dans cette euphorie des JO, et j’ai passé le printemps à me soigner, je n’étais pas bien. J’ai connu un différentiel émotionnel : le 12 février, j’étais au septième ciel de ma vie sportive. Trois semaines après, c'était complètement l’inverse. Avec le recul, j’aurais pu y rester. Ça a été psychiquement très dur à encaisser. J’ai eu du mal à m’en remettre. C’est aussi pour ça que j’ai arrêté ma carrière un an et demi après", révèle-t-il.

Angoisse de la gloire

Au-delà de l’aspect purement sportif, la vie quotidienne de ces champions change instantanément. Fini l'anonymat, leur visage fait le tour des télévisions et entre dans les  foyers. Tous ne sont pas égaux face à cette surprenante poussée de notoriété. Au point de vouloir parfois la rejeter. "C’était tout le temps, c’était pesant, et il y a des moments où on veut juste être tranquille. Ce n’est pas méchant, on se rend compte de l'émotion et de la joie qu'on procure chez les gens, mais c’est fatigant. Il y a eu des semaines ou je n’osais plus sortir de chez moi, je voulais juste redevenir quelqu’un de normal", développe Antoine Dénériaz.

Pour faciliter cette transition, Sophie Huguet accompagne les sportifs dans l'acceptation de leur nouveau statut dans l'espace public. "Savoir que tout ce qu’on va faire est regardé et épié, c’est une responsabilité dont il faut prendre conscience et accepter le rôle nouveau qu’on va avoir publiquement. Il y a un travail d’adaptation et d'accompagnement psychologique à ce moment-là : les sollicitations, faire le tri dans ses relations, garder les pieds sur terre.  Il faut arriver à être lucide sur la situation et ne pas se prendre pour quelqu’un d’autre", prévient-elle.

Alain Bernard, lui, était à l'inverse curieux des rencontres permises par sa soudaine notoriété, au point d’être parfois freiné par son entourage. "Rencontrer des gens d’univers complètement différents était très enrichissant. Je demandais beaucoup ça mais j’étais contraint par mes obligations sportives. Mon entraîneur me disait : "Non, tu ne peux pas faire ça et rater l'entraînement". C’était un peu frustrant", se  souvient l'ancien nageur.

Filet de sécurité  financier

Autre bouleversement aussi majeur que fulgurant : le passage dans une autre sphère financière. Les champions olympiques touchent une prime gouvernementale de 40 000 euros pour une médaille d’or, à laquelle viennent s'ajouter les contrats et les primes diverses. "Sur le moment, j’ai vraiment vu une différence. J’ai gagné sur une course deux fois plus que sur une saison habituelle. Entre les primes de mes contrats, mes équipementiers, la station, et la prime gouvernementale, j’ai gagné environ 500 000 euros en cumulé sur l’année 2006", dévoile Antoine Dénériaz, tout en rappelant la réalité de son sport. 

"Les gens imaginent qu'on devient millionnaire d'un seul coup mais je ne roulais pas en Ferrari. Sur la saison olympique, j'avais gagné l'équivalent du footballeur Thierry Henry en 15 jours."

Antoine Dénériaz

à franceinfo: sport

Plus simplement, cela assure généralement un rapide matelas financier au sportif. "Ça m'a apporté une plus grande sérénité sur mon avenir, sur des projets. J’ai pu investir dans ma résidence principale. Je ne stressais plus pour pouvoir payer mon loyer, mes courses, mon matériel", précise Alain Bernard.

Les réseaux sociaux, facteurs de risques

Enfin, si tous deux ont connu en 2006 et 2008 la tornade qui emporte tout, à l'instar de Thomas Voeckler lors de ses dix jours avec le maillot jaune lors du Tour de France 2004, ils l’ont vécue à une ère désormais révolue : celle ou les réseaux sociaux n’existaient pas. "Je n’avais pas de compte Facebook, Twitter et Instagram n’existaient pas. Pour être connu, il fallait gagner une grande course, être en Une de L’Equipe ou passer au journal de 20 heures, constate Antoine Dénériaz. Aujourd’hui, on se rend compte qu'avec les réseaux sociaux, tout peut vite prendre des proportions différentes. Si on s’en sert mal, ça peut vite se retourner contre nous. Avec le recul, c’était peut-être une chance de ne pas faire ma carrière à cette époque-là", assure l'ancien skieur professionnel.

Un levier en moins à gérer par rapport à la génération actuelle, dont certains membres s'adaptent toutefois parfaitement, comme le tennisman Hugo Gaston, sensation de Roland-Garros en 2020. "Ça s'est bien passé psychologiquement. J'ai bien géré l'après. Roland-Garros, c'est un tournoi que j'ai pu disputer car j'étais invité. Mais mon circuit, c'est celui des Challengers", expliquait au micro de RMC Sport en janvier celui qui a éliminé Stan Wawrinka puis a poussé le double finaliste en titre Dominic Thiem au bout de cinq sets homériques.

Le Français Hugo Gaston célèbre sa victoire face&nbsp;au Suisse Stan&nbsp;Wawrinka, à Roland-Garros, à Paris, le 2 octobre 2020. (MARTIN BUREAU / AFP)

Catalyseurs de narcissisme, alpha et oméga de la communication sportive, les réseaux sociaux ont inondé le quotidien des sportifs d’aujourd’hui. Un pic de popularité soudain s’accompagne alors nécessairement d’une jouissance virtuelle aussi puissante positivement que négativement, à l’heure où le contact avec les athlètes n’a jamais été aussi direct. "C’est un peu une bombe qui arrive d’un seul coup. J’ai travaillé avec un sportif qui passait son temps à lire les commentaires à son encontre. Ça a commencé à dévorer sa vie. Il n’arrivait plus du tout à gérer, il était trop dépendant du regard des autres : au moment où c’est devenu un peu négatif car il était moins performant, ça devenait horrible à vivre", analyse la psychologue du sport Sophie Huguet. 

Un passage virtuel désormais obligé

Alain Bernard abonde en ce sens : "C’est un outil dont on ne peut pas se passer aujourd’hui en termes de communication, puisqu’il faut entretenir et agrandir sa communauté. Mais il faut être pertinent dans ce qu’on partage. C’était une bonne chose de ne pas avoir à gérer soi-même les réseaux sociaux, les jeunes aujourd’hui en abusent peut-être un peu trop parfois en phase de compétition",  juge celui  qui est devenu conseiller municipal à Antibes (Alpes-Maritimes).

Équilibre fragile entre puissance grisante, danger de l’emprisonnement médiatique et charge mentale, la notoriété soudaine du sportif reste un épiphénomène dans une carrière. Pourtant, ses répercussions ne se limitent pas aux quelques mois qui suivent mais bien à la suite de la carrière, voir de la vie entière. Si elle est source de tension, elle peut être parfaitement gérée avec la méthode idoine. Interrogé sur la perspective de voir un nouveau héros tricolore porté aux nues aux Jeux olympiques de Tokyo cet été, Antoine Dénériaz conclut : "Il faut avant tout profiter à fond et tout faire pour déjà gagner cette médaille. Le reste, ça se gère. A partir du moment où on a la tête sur les épaules, qu’on est bien entouré, il n’y a pas de raison que ça se passe mal."

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