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Jeux paralympiques - Une vie d'athlète en manga : Hakim Arezki, d'une manifestation sanglante en Algérie aux terrains de cécifoot

Article rédigé par franceinfo: sport, Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Illustration d'Hakim Arezki, joueur de cécifoot ou football à cinq, qui participera à ses deuxièmes Jeux paralympiques à Tokyo. (Eternal-S)

Avant les Jeux paralympiques, franceinfo: sport dresse le portrait de six athlètes français prêts à briller à Tokyo. Gravement blessé lors d'une manifestation en Algérie, le joueur du FC Précy sur Oise veut ramener à la France sa première médaile d'or en cécifoot.

Son histoire est digne d'un roman. Né en 1983 dans la campagne de Kabylie en Algérie, Hakim Arezki a vu sa vie basculer du jour au lendemain, en avril 2001. A l'époque, il est un jeune lycéen de 18 ans. Avec des amis, il descend dans la rue pour célébrer l'anniversaire du premier soulèvement d'étudiants en Kabylie, du 20 avril 1980. Comme il y a vingt ans, les manifestants protestent contre l'injustice sociale et la répression instaurées par le gouvernement en place, et revendiquent l'identité et la culture du peuple kabyle.

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Une manifestation qui tourne au "massacre"

Bien que le rassemblement soit pacifique, la manifestation est réprimée par les autorités qui ont reçu l'ordre de tirer sur les étudiants à balles réelles. "C'était un massacre. Il y a eu plus de 127 morts et des milliers de blessés", raconte Hakim Arezki, aujourd'hui âgé de 38 ans.

Hakim Arezki a été gravement blessé dans une manifestation en Algérie en avri 2001. S'il a réussi à s'en sortir, il a revanche perdu la vue.  (Eternal-S)

Un de ses amis d'enfance est tué. Hakim Arezki, lui, est blessé. Gravement. Il reçoit une balle dans la cheville droite et une dans la tête. "Cette dernière a sanctionné les deux nerfs optiques. Si la balle dans la cheville est ressortie directement, la seconde, qui était une balle explosive, est restée cinq jours dans ma tête", témoigne le miraculé. Après avoir été mis à l'abri, il est transporté dans trois hôpitaux différents, avant de rester cinq jours sans les soins nécessaires. 

"On a appris plus tard que les médecins avaient reçu l'ordre de ne pas soigner les manifestants."

Hakim Arezki, joueur de cécifoot

à franceinfo: sport

Sa survie, il la doit à son père. Prévenu des événements, il prend le premier avion depuis Paris pour rejoindre son fils. "Quand il a vu que je n'avais pas été soigné, il a tout fait pour me faire évacuer", ajoute Hakim Arezki. Commence alors un parcours du combattant, entre démarches administratives, demande de visa et rapatriement. "Ce Alger-Paris a été le pire vol de ma vie. J'ai voyagé assis, avec cette balle toujours logée dans ma tête. J'ai perdu connaissance plusieurs fois, mais je me rappelle de la douleur, se souvient-il, avant d'ajouter : Mon père m'a ramené à la vie."

"J'ai pensé que j'étais mort"

Une fois en France, Hakim Arezki est pris en charge. Les médecins parviennent à sauver sa jambe, mais pas sa vue, définitivement perdue. "Pendant deux ou trois mois, j'ai pensé que j'étais mort et que c'était pour cette raison que je ne voyais pas, que je ne connaissais personne, que je ne comprenais pas quand on me parlait. Ce n'est que plus tard que j'ai réalisé", relate le Francilien. 

Hakim Arezki a été rapatrié et soigné en France. Pour lui, la France l'a sauvé et lui a offert une renaissance. (Eternal-S)

Une fois soigné, Hakim Arezki fait un passage de six mois dans un Centre de rééducation pour aveugles et malvoyants à Marly-le-Roi (Yvelines). En juin 2003, il intègre ensuite l'Institut national des jeunes aveugles à Paris pour continuer sa rééducation, et réapprendre à marcher, à manger et à être autonome. Il y apprend aussi le braille et le français.

"Je suis reparti de zéro, c'est pour ça que je parle de renaissance", estime Hakim, qui rentre régulièrement en Algérie, retrouver ses proches. "J'ai besoin d'y retourner, de revoir ma famille. Et je pense aussi que la manière dont j'ai été arraché de mon pays n'a jamais vraiment cicatrisé. Une partie de ma vie a pris fin en Algérie et une nouvelle vie a commencé en France, mon deuxième pays", confie Hakim Arezki, aujourd'hui installé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).

La musique et le sport pour ne pas sombrer

Pour occuper les longues journées de convalescence de son fils, le père d'Hakim Arezki lui fait cadeau d'une guitare. "Ça a été ma première béquille pour ne pas sombrer. Mon père m'a montré quelques notes, puis je me suis débrouillé. Je passais mes journées, la guitare à la main", raconte-t-il. D'abord en autodidacte, il prend ensuite dès 2003 des cours de guitare, de piano et de solfège à l'Institut national des jeunes aveugles. La musique devient une passion et il compose deux albums, en 2010 et 2014. On retrouve un thème commun dans ses textes, les événements de 2001. "Je veux laisser une trace de ce qu'il s'est passé", explique l'artiste, qui travaille sur un troisième album.

Son autre béquille a été le sport. C'est d'ailleurs aussi à l'Institut national des jeunes aveugles qu'il découvre le cécifoot, en 2004, une pratique du football pour les athlètes déficients visuels. "Comme je faisais du foot avant les événements de 2001, je me suis dit que cela allait être facile. Mais pas du tout, c'était très dur. Au début, j'étais frustré, car je voulais reproduire tout ce que je savais faire, mais cela ne marchait pas. J'ai même failli arrêter, assure Hakim Arezki. Ce ne sont pas les mêmes repères, que ce soit le contact avec le ballon, les déplacements ou encore se repérer dans l'espace. La prise et l'analyse d'informations sont les qualités principales d'un joueur de cécifoot."

Après la médaille d'argent à Londres en 2012, Hakim Arezki veut ramener l'or en France.  (Eternal-S)

L'écoute est en effet fondamentale dans cette discipline intégrée au programme paralympique depuis les Jeux d'Athènes en 2004. Puisque les sources sonores sont nombreuses - ballon sonore, coéquipiers et adversaires, coachs qui donnent des instructions - les joueurs doivent isoler les sons dont ils ont besoin pour ensuite se focaliser sur leurs coéquipiers. "Le cécifoot m'a aidé à être autonome car sur le terrain, on est seul. Ce que j'ai appris dans le sport, je l'ai transposé dans ma vie quotidienne", explique le joueur du FC cécifoot Précy sur Oise et salarié du même club en tant que chargé de développement et de communication.

Au fil du temps, le cécifoot a pris de plus en plus de place dans sa vie jusqu'au jour où il est sélectionné en équipe de France, en 2009. "Ça a pris une autre dimension. On est devenu vice-champions paralympiques à Londres en 2012 et champions d'Europe en 2019", relate-t-il. "À chaque fois que je porte le maillot bleu, je suis fier et reconnaissant. Représenter la France lors des grands événements sportifs comme les Jeux est la meilleure manière que j'ai de rendre un peu de ce qu'elle m'a donné, de la remercier pour m'avoir sauvé la vie. Quand je chante La Marseillaise, à chaque fois je pense à tout ça", confie Hakim Arezki, qui participera à ses deuxièmes Jeux paralympiques à Tokyo.

Hakim Arezki, athlète paralympique, dans "Incassable".  (SYLVAIN SERRANO)

"Quand je repense à 2001, au fait que j'étais mourant dans un lit d'hôpital... Je n'aurais jamais pu imaginer que je vivrais de telles choses", estime-t-il. Un parcours inimaginable qu'il espère couronner de la meilleure des manières. Car après avoir ramené l'argent de Londres, Hakim Arezki veut sa revanche et monter cette fois sur la plus haute marche du podium. "En 2012, on a touché l'or des doigts, cette fois on veut l'attraper pour de bon" 

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