Equipe de France : après le naufrage à l'Euro 2021, l'heure des grands chantiers
Maintenant que l’échec du championnat d'Europe est acté, les Bleus vont devoir définir un nouveau cap, et vite.
L'ambition gonflée par leur titre de champion du monde et par un sentiment de sécurité, les Bleus visaient les cimes à l'Euro 2021. Mais le navire France a coulé contre la Suisse dès les huitièmes de finale, lundi 28 juin, après avoir été incapable de boucher les trous qui avaient percé sa coque dès son escale à Budapest. Et ses espoirs se sont envolés avec quasiment toutes ses certitudes.
Un vaste chantier se profile, alors que le coup d'envoi du Mondial 2022 au Qatar sera donné dans 17 mois. Humiliée, l'équipe de France n'a pas tout perdu. Sur le papier, elle aura de quoi défendre son titre de championne du monde. Mais sans un plan d'attaque précis et sans anticipation, le risque est de reproduire l'échec de ce mois de juin.
Didier Deschamps doit-il maintenir le cap ou tout rebâtir ?
Réputé pour son conservatisme et même tancé pour sa confiance aveugle en Olivier Giroud, "DD" a complètement changé d'approche pour l'Euro 2021. En prononçant la fin du bagne de Karim Benzema, le sélectionneur a accepté de revoir son animation offensive à moins d'un mois du début du tournoi. Son ouverture au changement s'est aussi matérialisée par le bouleversement tactique imposé contre la Suisse, avec la mise en place d'une défense à trois oubliée depuis septembre 2020.
Mais ces changements ont donné des airs de tâtonnements et n'ont produit qu'un seul effet : entamer les certitudes d'un groupe de moins en moins serein. Et certains signes ne trompent pas, comme en première période contre les Suisses quand Raphaël Varane a rappelé à Benjamin Pavard qu'il devait être au marquage de son adversaire. Ce soir-là, Didier Deschamps a ajouté une montagne de problèmes à une équipe qui cherchait encore à prendre son élan.
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"Aurait-on fait mieux en commençant différemment ? Peut-être, mais on avait fait ce qu'il fallait pour inverser la tendance...", a assumé à moitié le sélectionneur en conférence de presse. Si le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, a déclaré qu'il "avait besoin de bavarder" avec son entraîneur, la place de Deschamps ne paraît pas menacée. Son contrat court jusqu'à la fin du Mondial 2022 et cette proximité impose de ne pas déboulonner le socle d'une équipe menée en finale de l'Euro en 2016 et au sacre mondial en 2018. Si "DD" pourra arguer que c'est en changeant les choses que son équipe a pour la première fois fait un pas en arrière, la situation inédite dans laquelle se trouvent les Bleus impose obligatoirement des nouvelles solutions.
Faut-il poursuivre avec le trio offensif Benzema-Griezmann-Mbappé ?
Aligner ensemble Karim Benzema, Antoine Griezmann et Kylian Mbappé devait permettre à l'équipe de France d'être plus créative et létale contre des équipes regroupées en bloc bas. La combinaison de leurs talents devait terrifier l'Europe entière. Mais les observateurs sont restés sur leur faim. Les trois attaquants ont eu du mal à briller ensemble, contribuant surtout à donner cette image d'équipe à l'harmonie brisée.
L'organisation hybride, parfois sur la largeur, parfois concentrée dans l'axe, a donné l'impression que chacun des protagonistes était entravé dans l'expression de ses qualités. Benzema est resté muet en préparation et lors des deux premiers matchs de l'Euro. Mbappé, lui, n'a pas inscrit le moindre but lors de la compétition. Quant à Griezmann, il est apparu plus à l'aise dans les tâches défensives, au point qu'il a parfois donné l'impression de délaisser son rôle de leader technique.
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Il faut dire que leur association était fraîche. Ils n'avaient passé ensemble que 112 minutes sur le pré avant l'entrée en lice à Munich. Evidemment, les automatismes étaient insuffisants pour créer une entente fiable. Mais à leur décharge, quelques étincelles entrevues contre l'Allemagne, et surtout contre la Suisse, permettent de continuer à croire en l'avenir de ce trio. Alors que les Bleus étaient sur le point d'être mis K.O. par les Helvètes, ils ont été les trois derniers joueurs à toucher le ballon lors des deux buts qui ont fait basculer la France en tête en deux minutes (2-1 à la 59e).
Les clés de l'équipe doivent-elles être confiées à Paul Pogba ?
Quand le trio offensif accaparait l'attention, c'est un autre homme qui a émergé au milieu des difficultés tricolores. Comme en 2018, Paul Pogba a pris le jeu en main. Sans ses passes verticales, on se demande encore comment les Bleus auraient pu être dangereux lors de cet Euro. Le milieu de Manchester United a créé le décalage sur le but contre l'Allemagne, sur les deux buts marqués contre le Portugal et trouvé la faille lui-même d'une frappe magistrale contre la Suisse. C'est aussi le joueur français qui affiche la meilleure moyenne de notre carnet de notes du tournoi (6,1), devant Karim Benzema (5,9).
En plus d'être un leader technique, il est l'un des seuls joueurs appréciés et écoutés de tous. Lors d'un entraînement ouvert à Budapest, on a pu le voir aller chercher Marcus Thuram en marge à l'échauffement. "Il a cette façon de faire qui est assez naturelle, pas de gouverner, mais quand il faut parler ou faire le leader, il le fait naturellement", détaillait Presnel Kimpembe le 12 juin. "C'est un joueur qui pourrait porter le brassard de l'équipe de France, sans problème", surenchérissait Raphaël Varane au lendemain de la victoire liminaire contre l'Allemagne.
Jusqu'à présent, le brassard de capitaine est encore solidement accroché au bras de l'expérimenté Hugo Lloris. Mais si la saison prochaine continue sur la même trajectoire que 2020-21, le gardien de Tottenham pourrait voir le néo-Milanais Mike Maignan le reléguer sur le banc. De là à dire que Didier Deschamps fera du milieu mancunien son chef de meute dans les prochains mois, il n'y a qu'un pas. Mais face à la Suisse, Paul Pogba a souhaité continuer à attaquer à 3-1 quand son entraîneur réclamait d'être "secure". La Suisse est finalement revenue à 3-3 après une perte de balle du joueur, qui a dû s'expliquer devant les caméras avec "DD". Un incident qui pourrait faire date.
Comment ressouder le groupe après les joutes et l'humiliation ?
Outre le désaccord Pogba-Deschamps, la soirée gâchée contre la Suisse a cristallisé les tensions au sein d'un collectif qui avait en partie bâti ses succès sur la cohésion et la bonne ambiance dans le groupe. Pendant toute la compétition, les conférences de presse ont été gérées d'une main de maître. Le robinet d'eau tiède a coulé à flots. Didier Deschamps et ses joueurs n'ont pas fait d'écarts de conduite, ou les ont corrigés comme lors de la "broutille" entre Olivier Giroud et Kylian Mbappé après France-Bulgarie.
Mais la nuit de Bucarest a mis des scissions en pleine lumière. Kingsley Coman a fait savoir son mécontentement lorsqu'il a été remplacé par Marcus Thuram en prolongation. Il estimait, contrairement au staff médical des Bleus, qu'il pouvait continuer à jouer malgré sa blessure. Puis, c'est l'image d'un Kylian Mbappé abandonné par ses coéquipiers après son tir au but manqué, actant l'élimination de l'équipe, qui a marqué les observateurs.
Dans le même temps, les familles des joueurs s'invectivaient dans les tribunes. Plus précisément, Véronique Rabiot, la mère et agent d'Adrien Rabiot, a haussé le ton face aux clans Mbappé et Pogba, comme l'a révélé RMC Sport mardi soir. Le long travail de communication et de lissage de l'équipe de France, entrepris depuis 2012, a été rompu en l'espace d'une soirée. Il ne reste déjà plus que deux mois avant le prochain rassemblement, à l'occasion des éliminatoires pour la Coupe du monde 2022, pour remettre de l'ordre et fixer un cap clair dans la maison bleue.
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