Cet article date de plus d'un an.

Miss France : comment les candidates noires, arabes ou asiatiques ont vécu leur sacre

Article rédigé par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min.
La lĂ©gitimitĂ© des candidates au concours Miss France, noires, arabes et asiatiques, est remise en question en raison de leur couleur de peau. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND/FRANCEINFO)

A chaque concours, ces candidates sont la cible de remarques racistes de la part de personnes qui contestent leur lĂ©gitimitĂ© Ă  reprĂ©senter la France ou leur rĂ©gion. Entre mise Ă  distance et abnĂ©gation, plusieurs anciennes Miss racontent l'annĂ©e de leur Ă©lection.

"En devenant la première Miss France d'origine africaine, je suis peut-ĂŞtre devenue un symbole pour pas mal de monde", raconte Sonia Rolland, Miss France 2000, alors que Miss France 2021 sera sacrĂ©e samedi 19 dĂ©cembre au Puy du Fou (VendĂ©e). Elle a seulement 18 ans lorsqu'on lui dĂ©cerne l'Ă©charpe tricolore, Ă  la mairie de Paris. "Mon Ă©charpe a marquĂ© un tournant, on changeait de millĂ©naire. Avec mes origines rwandaises, j'arrivais avec une histoire très forte pour reprĂ©senter la France."

Très vite après son sacre, la Bourguignonne est embarquĂ©e dans un tourbillon d'Ă©vĂ©nements : interviews, sĂ©ances photos, dĂ©dicaces, promotions, voyages... En public, son sourire ne la quitte jamais. En coulisses, elle reçoit des centaines de lettres racistes. "J'ai reçu des menaces, des choses bien dĂ©gradantes. On disait que les armes 'allaient parler' ou que je faisais penser Ă  un singe."

Des insultes – "nĂ©gresse", "rentre chez toi" â€“ sont inscrites sur son cabriolet offert par Miss France. Ses parents aussi reçoivent des dizaines de courriers, une fois avec des excrĂ©ments. "C'Ă©tait très dur pour eux. Ma mère les appelait les 'cerveaux vides'. Moi j'analysais ça comme une maladie mentale. Il fallait quand mĂŞme Ă©crire une lettre, mettre un timbre et la poster", se souvient-elle, consternĂ©e.

"Ils disaient que je ressemblais à un bichon frisé"

Quinze ans plus tĂ´t, lorsque Suzanne Iskandar est Ă©lue Miss France 1985, elle reçoit Ă©galement des attaques racistes d'une rare violence. "On a mis une photo de moi avec une cible dans ma boĂ®te aux lettres, j'avais des coups de fil anonymes, on me disait 'sale Arabe, retourne dans ton pays', 'tu nous bouffes notre pain', 'je vais te violer', 'te tuer'...", raconte celle dont les parents ont fui la guerre du Liban pour l'Alsace. "Un journal a publiĂ© des messages racistes sur moi, en m'expliquant que les gens aimaient lire des choses nĂ©gatives sur d'autres. Heureusement, j'Ă©tais très soutenue par Geneviève de Fontenay", raconte-t-elle.

Flora Coquerel, Miss France 2014, signe des autographes à Morancez (Eure-et-Loir), le 18 décembre 2013. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

A partir des annĂ©es 2010, les attaques racistes restent, mais le support change. Lorsqu'elle est Ă©lue Miss France 2014, Flora Coquerel, dont la mère est bĂ©ninoise, suscite la mĂŞme animositĂ©, cette fois sur les rĂ©seaux sociaux. "Le mĂ©tissage est le cancer de la race blanche", "C'est quoi encore ce laideron soi-disant Français ?"... Un acharnement tel que son père prend la parole dans Le Monde (article rĂ©servĂ© aux abonnĂ©s) pour appeler Ă  ignorer "des actes racistes isolĂ©s". 

"J'ai grandi dans un milieu oĂą on ne voyait pas la couleur de peau. Je me suis retrouvĂ©e Ă  19 ans dans quelque chose que je ne connaissais pas. C'Ă©tait très choquant. On n'est jamais prĂ©parĂ© Ă  la violence qu'on peut recevoir."

Flora Coquerel, Miss France 2014

Ă  franceinfo

Les cheveux et la couleur de peau sont particulièrement commentĂ©s. En dĂ©cembre 2015, lorsqu'elle devient première dauphine de Miss France 2016, Morgane Edvige est assaillie de commentaires sur Twitter. "Ils disaient que j'avais les cheveux comme des Ă©ponges, que je ressemblais Ă  un bichon frisĂ©", s'Ă©meut la Martiniquaise. Au moment oĂą on a besoin d'avoir confiance en soi, les dĂ©tracteurs arrivent Ă  nous faire perdre pied". Un an plus tard, la Guyanaise Alicia Aylies, Ă©lue Miss France 2017, est violemment critiquĂ©e. 

"J'ai reçu pas mal de messages racistes sur les réseaux sociaux, principalement au sujet de mes cheveux, puis de ma couleur de peau. Ce genre de propos blessent car ils sont déplacés, injustifiés et gratuits. Heureusement, il y a énormément d'amour envers nous dans la vraie vie pour vite les oublier."

Alicia Aylies, Miss France 2017

Ă  franceinfo

Les attaques commencent dès les concours rĂ©gionaux. Justine Kamara, Miss Lorraine 2016, se souvient d'en avoir surtout souffert dans sa rĂ©gion. "Des habitants disaient que je ne reprĂ©sentais pas les couleurs de la rĂ©gion, parce que je suis une femme noire, alors que je connais peut-ĂŞtre mieux la rĂ©gion que certains d'entre eux, je suis nĂ©e et j'ai grandi en Lorraine, soupire-t-elle. 

"J'ai réalisé ce qui peut se passer lorsque des femmes noires ou métisses participent à un événement qui les rend visibles."

Justine Kamara, 4e dauphine de Miss France 2017

Ă  franceinfo

Evelyne de Larichaudy, Miss Ile-de-France 2020, est visĂ©e parce qu'elle est asiatique. Toujours "sur le ton de la blague". "C'Ă©tait du genre 'Miss Ile-de-France c'est pas la fille qui travaille au wok de Bondy ?'", cite-t-elle. "Je le prends avec recul car c'est internet, et je savais qu'en participant Ă  ce concours j'allais ĂŞtre critiquĂ©e." 

Evelyne de Larichaudy est élue Miss Hauts-de-Seine, à Montrouge, le 26 mai 2019. (MAXPPP)

Face Ă  ces attaques, le comitĂ© Miss France conseille aux candidates de ne pas lire, ou de dĂ©sactiver, les commentaires. Dans d'autres rĂ©gions, les candidates peuvent ĂŞtre mises en situation lors de leur prĂ©paration. "Le comitĂ© Martinique nous prĂ©parait psychologiquement. Imagine on te dit : 'T'es belle pour une Noire', comment tu rĂ©agis ?", raconte Morgane Edvige, Miss Martinique 2015. "On nous donnait des sortes d'entourloupes pour rĂ©pondre avec des pincettes, avec le sourire."

"J'avais peur d'avoir des réflexions sur ma couleur de peau"

Les commentaires constituent la forme de violence la plus visible, mais ils sont rares en dehors des rĂ©seaux sociaux. La sensation d'altĂ©ritĂ© passe par des gestes, des rĂ©flexions lancĂ©es Ă  la volĂ©e. "Je n'ai jamais ressenti directement de haine, mais plutĂ´t des dĂ©sagrĂ©ments", constate Morgane Edvige. Lors de ses dĂ©placements dans l'Hexagone, elle se sent "un peu comme une bĂŞte de foire". "Tu es la seule Noire et c'est avec toi que les gens veulent prendre des photos. Ça surprend, mĂŞme si je ne leur en veux pas", prĂ©cise-t-elle. 

"Les gens faisaient des commentaires sur ma peau, ils étaient très curieux de toucher mes cheveux. Lors de photos, certains le faisaient sans me le demander. C'était sur le bout de ma langue de leur dire d'arrêter, mais finalement je me retirais avec un petit sourire."

Morgane Edvige, première dauphine de Miss France 2016

Ă  franceinfo

Flora Coquerel se souvient d'un racisme "ordinaire", "innocent". "On me demandait souvent 'Tu viens d'oĂą ?' Je m'amusais parfois Ă  faire tourner les gens autour du pot, Ă  dire que je venais de Normandie, puis de Chartres... Ça me renvoyait qu'Ă  leurs yeux, je ne venais pas de France", exprime-t-elle. MalgrĂ© l'inconfort, elle prend le temps d'Ă©changer. "J'expliquais ce que cela signifiait d'ĂŞtre mĂ©tisse, pourquoi il pouvait y avoir un problème dans les mots qu'ils employaient. C'Ă©tait important pour moi de le faire."

Estelle Diop (2e en partant de la gauche), avec Geneviève de Fontenay (au centre), à Port-sur-Saône (Haute-Saône), le 12 octobre 2009. (MAXPPP)

Souvent, le racisme s'exprime par des remarques prĂ©sentĂ©es comme de "l'humour". Lorsqu'elle est Ă©lue Miss Franche-ComtĂ© 2009, Estelle Diop se souvient d'une FĂŞte du chocolat en Haute-SaĂ´ne, oĂą on lui a lancĂ© : "On ne m'avait pas dit qu'elle Ă©tait blonde aux yeux bleus, on nous a trompĂ©s sur la marchandise !", rapporte-t-elle. "C'Ă©tait insidieux, ça ne me blessait pas particulièrement, mais au final, cela montrait que ma couleur de peau Ă©tait toujours une question", se dĂ©sole-t-elle. Au fil des mois, la Belfortaine ressent une sorte d'insĂ©curitĂ©. Elle se dit que c'est peut-ĂŞtre juste "dans sa tĂŞte" et n'en parle Ă  personne.

"J'appréhendais les manifestations dans les petits patelins parce que j'avais peur d'avoir des réflexions sur ma couleur de peau. En tant que Miss, on sait qu'on est exposée, mais nos origines sont une crainte de plus."

Estelle Diop, Miss Franche-Comté 2009

Ă  franceinfo

Estelle Diop se souvient d'un moment "très choquant" en Martinique, oĂą le public l'a prise pour la Miss Martinique, car elle est mĂ©tisse. "La vraie Miss avait la peau plus noire que moi, alors les gens pensaient que j'Ă©tais la laurĂ©ate. Je les entendais dire qu'elle Ă©tait 'trop foncĂ©e', qu'il y avait 'des femmes plus jolies'. Ils considĂ©raient mon mĂ©tissage comme un critère de beautĂ©", relate-t-elle.

Sonia Rolland, Miss France 2000, à Cluny (Saône-et-Loire), le 18 décembre 1999. (SAMIRA BOUHIN / AFP)

Au dĂ©but des annĂ©es 2000, lors de ses apparitions publiques, Sonia Rolland se retrouve incluse dans des discussions malgrĂ© elle. "J'ai pu me retrouver face Ă  un discours sur l'immigration hyper violent oĂą j'Ă©tais dĂ©signĂ©e comme l'exception, oĂą on me disait que moi ce n'Ă©tait pas pareil", se souvient-elle, encore Ă©cĹ“urĂ©e. "MĂŞme si j'avais de la colère de temps en temps, j'ai pris le temps d'observer, de mieux comprendre la complexitĂ© des mondes que je traversais. Je dis toujours qu'on ne naĂ®t pas raciste mais qu'on le devient." 

"J'apportais toujours mon fond de teint au cas oĂą"

Pendant leur annĂ©e de sacre, les Miss passent de longues heures Ă  ĂŞtre maquillĂ©es, coiffĂ©es. En dehors de la grande soirĂ©e tĂ©lĂ©visĂ©e, oĂą des professionnels sont dĂ©diĂ©s aux candidates noires et mĂ©tisses, "il n'y avait pas toujours des produits adaptĂ©s Ă  mon type de cheveu ou Ă  ma peau. Ça ne m'a pas dĂ©rangĂ©e plus que ça, mais parfois j'aurais aussi aimĂ© ĂŞtre coiffĂ©e par un coiffeur ! C'est une forme de discrimination", regrette Morgane Edvige.

Morgane Edvige, Miss Martinique, le 19 décembre 2015 à Lille (Nord). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

A plusieurs reprises, Flora Coquerel se retrouve avec une teinte trop claire ou trop foncĂ©e sur le visage. "C'est lĂ  qu'on se rend compte qu'il y a un rĂ©el souci. Au fur et Ă  mesure, je me maquillais seule ou je demandais des choses très simples. J'apportais toujours mon fond de teint au cas oĂą", dĂ©crit l'OrlĂ©anaise.

"Je me suis déjà fait griller les cheveux parce que le fer était trop chaud et qu'on ne savait pas comment l'utiliser sur mes cheveux bouclés. Aujourd'hui encore, il m'arrive de venir avec mon propre fer."

Flora Coquerel, Miss France 2014

Ă  franceinfo

Evelyne de Larichaudy s'est sentie parfois "un peu plus fade" que les autres. "J'avais l'impression qu'ils ne savaient pas comment maquiller mes yeux, Ă  cause de mes paupières. Ce n'Ă©tait pas horrible, mais je ne me suis pas sentie mise en valeur au mĂŞme niveau", confie-t-elle. 

Cette situation n'est toutefois pas propre aux concours de beautĂ©. "C'est comme dans le reste de la sociĂ©tĂ©, j'ai des amies qui font des kilomètres pour trouver des produits adaptĂ©s Ă  leur spĂ©cificitĂ©, nuance Sonia Rolland. Mais ça Ă©volue quand mĂŞme et les professionnels sont de plus en plus formĂ©s, les Miss peuvent porter leurs cheveux afro comme elles le souhaitent." "Il y a la volontĂ©, Ă  Miss France, de montrer qu'ĂŞtre candidate ce n'est pas uniquement ĂŞtre blonde ou brune aux yeux clairs", complète Justine Kamara. Lors de sa participation au concours national en 2016, pour la première fois, les cinq finalistes Ă©taient mĂ©tisses ou noires. "Je trouve ça super, ça permet aux jeunes filles de s'identifier davantage", souligne-t-elle.

"Je nageais entre deux eaux"

Les candidates elles-mĂŞmes construisent leur discours sur cette diffĂ©renciation et la valorisation de la diversitĂ©. Sur LCI, Evelyne de Larichaudy explique qu'elle fait de ses "yeux bridĂ©s" son "petit truc en plus". "Il n'y a jamais vraiment eu de Miss asiatique, alors je me suis dit que ça pouvait faire pencher la balance de mon cĂ´tĂ©, explique l'ancienne Miss Ile-de-France. Mais en mĂŞme temps je ne voulais pas qu'on se dise que j'avais moins travaillĂ© que les autres. Certains ont dit que j'Ă©tais lĂ  uniquement grâce Ă  ça", s'attriste-t-elle.

"J'ai grandi dans une culture très française et on me renvoyait à une culture asiatique dans laquelle je ne me reconnaissais pas."

Evelyne de Larichaudy, Miss Ile-de-France 2019

Ă  franceinfo

"Je nageais entre deux eaux, entre ma culture française et rwandaise. Mais on me demandait constamment de choisir entre les deux, c'est ça qui Ă©tait compliquĂ©", ajoute Sonia Rolland.

Après avoir rendu leur couronne, certaines Miss continuent leur carrière. D'autres ressentent le besoin de couper. L'impact des attaques se fait parfois ressentir des annĂ©es après. "J'ai fait une thĂ©rapie six ans plus tard, j'avais ce syndrome de l'imposteur. Je me revoyais Ă  travers les nouvelles Miss qui subissaient les mĂŞmes choses violentes que moi, retrace Sonia Rolland. De son cĂ´tĂ©, Suzanne Iskandar a dĂ©mĂ©nagĂ© en Bretagne, mais n'oublie rien de cette pĂ©riode. "Quand vous avez une blessure, mĂŞme si elle se referme, elle est toujours lĂ ", livre-t-elle.

MalgrĂ© ces atteintes, aucune ne regrette l'expĂ©rience. "Je suis devenue plus forte, plus Ă©panouie, et j'ai pris plus de recul par rapport Ă  ce problème", reprend l'Alsacienne. Toutes disent avoir Ă©tĂ© soutenues par le comitĂ© Miss France et leurs proches, et avoir vĂ©cu l'"aventure" de leur vie. Depuis, Flora Coquerel utilise sa notoriĂ©tĂ© pour dĂ©fendre ses valeurs. "J'ai la chance de pouvoir vĂ©hiculer des messages facilement grâce aux rĂ©seaux sociaux. Si je peux faire quoi que ce soit pour combattre les discriminations et donner une voix aux personnes qui les subissent, je le ferai."

Prolongez votre lecture autour de ce sujet

tout l'univers Miss France 2022

Commentaires

Connectez-vous Ă  votre compte franceinfo pour participer Ă  la conversation.