Criminalité, antisémitisme, sort des femmes... Ce que révèle la série "Paris Police 1900" sur la société de l’époque
Avec sa série-polar noire et historique "Paris Police 1900", Canal+ nous plonge dans les pans les plus sombres de l’année 1899. Franceinfo décrypte cette fiction avec des experts de l'époque.
La Belle Époque, une Ă©poque qui n’avait de beau que le nom ? C’est en tout cas ce que voudrait nous faire croire la sĂ©rie Canal+ Paris Police 1900. En pleine affaire Dreyfus et sur fond d'explosion de l'antisĂ©mitisme, ce polar ultra-sombre oĂą l’on ne voit que très peu la lumière du jour nous embarque dans la rĂ©solution du mystère d'un cadavre dĂ©coupĂ© en morceaux retrouvĂ© dans une malle flottant sur la Seine. Â
Dans cette fiction scénarisée par Fabien Nury (La Mort de Staline ; Charlotte impératrice), la violence est partout : chez les criminels provenant aussi bien des classes populaires que bourgeoises, chez les antidreyfusards regroupés au sein de la Ligue antisémitique de France, mais aussi chez la police aux pratiques peu orthodoxes. Rues pavées, calèches, demeures bourgeoises ou appartements insalubres, montres, pipes, appareils photos et premiers téléphones, un bel effort de reconstitution historique a été fait, résultat de plusieurs mois de documentation.
⬛ Le réalisateur, la costumière et le chef décorateur de Paris Police 1900 décryptent, ensemble, une scène brûlante.
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Merci @juliendespaux, Anaïs Romand et Pierre Quefféléan. pic.twitter.com/DVEHGy5szK
On y croise des personnages du passĂ© comme Alphonse Bertillon, père de la police scientifique, l’emblĂ©matique prĂ©fet de Paris Louis LĂ©pine - l'homme restĂ© le plus longtemps en poste - ou le polĂ©miste antisĂ©mite Édouard Drumont. La sĂ©rie met Ă©galement l’emphase sur le sort rĂ©servĂ© aux femmes Ă l’époque, victimes de la domination des hommes sous diverses formes : fĂ©minicides, interdiction d'exercer les mĂŞmes professions. Que nous dit la Paris Police 1900 sur la police et la sociĂ©tĂ© de l’époque ? Franceinfo a dĂ©cryptĂ© l’œuvre avec une historienne et un spĂ©cialiste de la police de l’époque.Â
Qu'est-ce que le "bertillonnage", technique rĂ©volutionnaire de la police en 1900 ?Â
Paris Police 1900, c’est avant tout une plongée dans la préfecture de police de Paris de l’époque avec un mot qui revient souvent : le bertillonnage, du nom du directeur du service de police d'identité judiciaire Alphonse Bertillon. Mais c’est quoi, au juste ? Selon Pierre Piazza, maître de conférences en sciences politiques et auteur de l'ouvrage La Science à la poursuite du crime aux éditions La Martinière, “il s'agit d'une technique d'anthropométrie judiciaire pour identifier les personnes grâce aux mensurations des corps”. On le voit dans la série, les personnages passent sous d'étranges appareils qui mesurent tour à tour la largeur de leur crâne ou la longueur de leur nez.
Les criminels pouvaient ainsi être enregistrés au sein de gigantesques fichiers. C’est grâce à cette invention, entre autres, qu’on peut considérer Alphonse Bertillon comme le fondateur de la police technique et scientifique. Mais pas que.
Photographie, graphologie... Quelles innovations de la police la série met-elle en scène ?
D'autres innovations de Bertillon pour l’identification des criminels et les expertises sur les scènes de crimes sont prĂ©sentes. Parmi elles, Pierre Piazza cite la photo judiciaire de face et de profil, l’utilisation des traces digitales, la graphologie - c’est-Ă -dire l’étude de l’écriture - et les photos mĂ©triques de scènes de crimes, dont le but Ă©tait de figer le mĂ©fait tel qu’il avait eu lieu. La reconstitution de la police de l’époque est excellente selon Pierre Piazza, d’autant plus que “de nombreux objets – appareils de mesure, appareils photos - sont des vrais, provenant du service parisien de l’identitĂ© judiciaire ou du musĂ©e de la prĂ©fecture de police”.Â
Par ailleurs, la sĂ©rie incarne Ă Â merveille "l’introduction d’outils modernes au sein de la police impulsĂ©e par le prĂ©fet LĂ©pine, selon la spĂ©cialiste de l’histoire parisienne Isabelle Backouche. C’est lui qui a impulsĂ© la gĂ©nĂ©ralisation du tĂ©lĂ©phone dans les commissariats, par exemple”, explique la chercheuse. En 1900, il crĂ©e Ă©galement la brigade police Ă vĂ©lo, dont les membres sont surnommĂ©s “les hirondelles”, pour assurer une plus grande proximitĂ© avec la population.Â
La police Ă©tait-elle aussi violente et corrompue ?Â
Scène d’aveux forcĂ©s particulièrement glaçante au cours de laquelle l’inspecteur Fiersi torture un suspect puis le jette sur un cadavre dĂ©coupĂ© en morceaux ; recours à des mouchardes malmenĂ©es physiquement et verbalement... La sĂ©rie dresse le portrait d’une police aux pratiques très violentes et peu morales. Mais Ă©tait-ce vraiment le cas ? Selon Pierre Piazza, oui. “Les violences policières étaient très rĂ©pandues, pointe le politologue. D'ailleurs, le prĂ©fet de police LĂ©pine lui-mĂŞme dès sa prise de fonction en 1893 annonce qu'il entend mettre fin au "passage Ă tabac", pratique courante dans la police.... mais qui va perdurer longtemps”, poursuit-il. Toujours selon Pierre Piazza, le recours aux “mouches” et aux “indicateurs”, notamment chez les prostituĂ©es, est une “pratique très courante pour assurer une surveillance de la population”.Â
Être moucharde oui, mais dans les règles de l'art.#ParisPolice1900 disponible sur @canalplus (et seulement sur CANAL+) pic.twitter.com/Ct64XXFgyi
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Le sort des femmes Ă©tait-il aussi peu enviable ?Â
Femmes dĂ©coupĂ©es en morceaux, relĂ©guĂ©es dans des rĂ´les d’épouses esseulĂ©es et droguĂ©es ou des mĂ©tiers peu vertueux ou de seconde zone... Dans Paris Police 1900, les femmes Ă©copent d’un sort peu enviable. “La sĂ©rie dĂ©peint un univers patriarcal très brutal rĂ©ellement en vigueur Ă l’époque, souligne Pierre Piazza. Beaucoup sont maltraitĂ©es, y compris sexuellement”, poursuit le professeur. Un avis partagĂ© par Isabelle Backouche. “À cette Ă©poque bien sĂ»r, elles n’avaient pas le droit de vote, elles n’avaient pas le droit d’exercer certaines professions”, dĂ©clare-t-elle. Ainsi, le personnage de Marguerite Steinheil, Ă©pouse d’un peintre sans le sou et maĂ®tresse du prĂ©sident FĂ©lix Faure, a rĂ©ellement existĂ©. De mĂŞme que Jeanne Chauvin, apprentie avocate n'ayant pas le droit d’exercer la profession. Elle est la première femme Ă soutenir un doctorat en droit en 1892, et sera la première également à prĂŞter serment comme avocate au barreau de Paris en 1900 Ă la suite d’un changement de loi. Â
Une femme avocate ? Et puis quoi encore, une épidémie mondiale ?
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Tous les Ă©pisodes de #ParisPolice1900 sont disponibles sur @canalplus. pic.twitter.com/HRuzGt94D3
Autre rĂ©alitĂ©Â exposĂ©e dans la sĂ©rie : les "constats d’adultères" menĂ©s par la police, les femmes coupables risquant alors d’être enfermĂ©es Ă la prison Saint-Lazare.Â
Les différentes franges politiques de l'époque sont-elles bien représentées ?
L'ampleur de l’antisĂ©mitisme en France, avec ses ligues et ses personnages emblĂ©matiques, est au cĹ“ur de l’univers de Paris Police 1900. L'intrigue se dĂ©roule en plein procès de Rennes lors duquel Dreyfus est rejugĂ©Â en 1899. La Ligue antisĂ©mitique de France, crĂ©Ă©e par le dĂ©putĂ© Drumont, et le journal l’Antijuif, prĂ©sidĂ©Â par Jules GuĂ©rin, divisent la population. “L’apogĂ©e des ligues et la crainte d’un coup d’État ainsi que le “Fort Chabrol”, pendant lequel Jules GuĂ©rin s’enferme chez lui pendant plus de 30 jours pour Ă©chapper Ă un mandat lancĂ© contre lui, sont des Ă©vĂ©nements rĂ©els qui ont marquĂ© les esprits”, explique Isabelle Backouche. Â
Que se passera t-il si Dreyfus est acquitté ?
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La réponse dans #parispolice1900, uniquement sur @canalplus. pic.twitter.com/r4KMUZaGy6
Autre groupe politique bien dĂ©peint par la sĂ©rie : les bouchers de la Villette. Selon l’historienne, “c’était vraiment une corporation Ă part”. Tenus Ă l'Ă©cart et associĂ©s au sang par la population, une partie d’entre eux se sont ralliĂ©s aux ligues qui les ont considĂ©rĂ©s et brossĂ© dans le sens du poil. Une vĂ©ritable stratĂ©gie de leur part, comme l’explique Isabelle Backouche : “Les gens d’extrĂŞme droite voyaient les bouchers de la Villette comme des gros costauds, et donc comme un soutien utile pour organiser des Ă©meutes”.Â
Le Paris de 1899 Ă©tait-il aussi sombre ?
MalgrĂ© une reconstitution historique et une esthĂ©tique qui forcent le respect, "la sĂ©rie Paris Police 1900 souffre d’un “parti pris” qui l’éloigne un peu de la rĂ©alitĂ© historique", selon Isabelle Backouche. MĂŞme si les faits divers Ă©taient nombreux et parfois très sanglants – Bertillon se dĂ©plaçait souvent sur des scènes de crimes atroces -, l’image qui est donnĂ©e de l’époque est "trop sombre, trop glauque avec une vision trop misĂ©rabiliste des gens pauvres", pour l’historienne. “Alors Ă©videmment il y avait des prostituĂ©es, les conditions de logement Ă Paris étaient souvent catastrophiques, mais dans ces catĂ©gories populaires il y avait aussi des gens qui arrivaient Ă s’en sortir, il y avait une sociabilitĂ©, une entraide qui n’est jamais montrĂ©e”, poursuit la spĂ©cialiste de la ville de Paris. Autre bĂ©mol selon la chercheuse : un cĂ´tĂ© très manichĂ©en qui pourrait donner l’impression aux novices en histoire qu’il n’y avait que des antidreyfusards et des antisĂ©mites en France. "Le pays Ă©tait divisĂ© en deux, ce qui implique qu’il y avait aussi des dreyfusards, pourtant jamais reprĂ©sentĂ©s", souligne-t-elle.Â
La sĂ©rie comporte-t-elle des inexactitudes historiques ?Â
Quelques inexactitudes historiques sont Ă©galement Ă dĂ©plorer. Premièrement, l’ampleur de l’enquĂŞte autour de la femme dĂ©coupĂ©e en morceaux est peu crĂ©dible pour Isabelle Backouche. "Comme cela est dit au sein de la prĂ©fecture au dĂ©but de la sĂ©rie, il y avait des centaines de disparitions de femmes à Paris chaque annĂ©e. Alors autant de remue-mĂ©nage pour un cadavre, surtout qu’il s’agit d’une prostituĂ©e... ça me semble un peu tirĂ© par les cheveux", analyse l’historienne. Pour Isabelle Backouche et Pierre Piazza, l’alliance du prĂ©fet LĂ©pine avec les anarchistes pour faire face aux ligues ne s’appuie sur aucune rĂ©alitĂ© historique. Un accord d’autant plus improbable que la prĂ©fecture de police de Paris menait une politique rĂ©pressive à l'encontre des mouvements anarchistes. Enfin, une allusion est faite sur la Villette, dĂ©crit comme un quartier juif. “C’est faux”, selon Isabelle Backouche.Â
La saison 2 n’a pas encore été annoncée par Canal+, mais ses producteurs ont pensé Paris Police 1900 comme une série faite pour durer et une suite pourrait bien voir le jour. Affaire à suivre, donc.
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