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Criminalité, antisémitisme, sort des femmes... Ce que révèle la série "Paris Police 1900" sur la société de l’époque

Avec ssĂ©rie-polar noire et historique "Paris Police 1900", Canal+ nous plonge dans les pans les plus sombres de l’annĂ©e 1899. Franceinfo dĂ©crypte cette fiction avec des experts de l'Ă©poque.

Article rédigé par franceinfo Culture - Faustine Mazereeuw
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
"Paris Police 1900", la nouvelle série noire de Canal+ (Paris Police 1900, Canal +)

La Belle Époque, une époque qui n’avait de beau que le nom ? C’est en tout cas ce que voudrait nous faire croire la série Canal+ Paris Police 1900. En pleine affaire Dreyfus et sur fond d'explosion de l'antisémitisme, ce polar ultra-sombre où l’on ne voit que très peu la lumière du jour nous embarque dans la résolution du mystère d'un cadavre découpé en morceaux retrouvé dans une malle flottant sur la Seine.  

Dans cette fiction scénarisée par Fabien Nury (La Mort de Staline ; Charlotte impératrice), la violence est partout : chez les criminels provenant aussi bien des classes populaires que bourgeoises, chez les antidreyfusards regroupés au sein de la Ligue antisémitique de France, mais aussi chez la police aux pratiques peu orthodoxes. Rues pavées, calèches, demeures bourgeoises ou appartements insalubres, montres, pipes, appareils photos et premiers téléphones, un bel effort de reconstitution historique a été fait, résultat de plusieurs mois de documentation.

On y croise des personnages du passé comme Alphonse Bertillon, père de la police scientifique, l’emblématique préfet de Paris Louis Lépine - l'homme resté le plus longtemps en poste - ou le polémiste antisémite Édouard Drumont. La série met également l’emphase sur le sort réservé aux femmes à l’époque, victimes de la domination des hommes sous diverses formes : féminicides, interdiction d'exercer les mêmes professions. Que nous dit la Paris Police 1900 sur la police et la société de l’époque ? Franceinfo a décrypté l’œuvre avec une historienne et un spécialiste de la police de l’époque. 

Qu'est-ce que le "bertillonnage", technique révolutionnaire de la police en 1900 ? 

Paris Police 1900, c’est avant tout une plongée dans la préfecture de police de Paris de l’époque avec un mot qui revient souvent : le bertillonnage, du nom du directeur du service de police d'identité judiciaire Alphonse Bertillon. Mais c’est quoi, au juste ? Selon Pierre Piazza, maître de conférences en sciences politiques et auteur de l'ouvrage La Science à la poursuite du crime aux éditions La Martinière, “il s'agit d'une technique d'anthropométrie judiciaire pour identifier les personnes grâce aux mensurations des corps”. On le voit dans la série, les personnages passent sous d'étranges appareils qui mesurent tour à tour la largeur de leur crâne ou la longueur de leur nez.

Scène de "bertillonnage". (Collection particulière de Pierre Piazza)

Les criminels pouvaient ainsi être enregistrés au sein de gigantesques fichiers. C’est grâce à cette invention, entre autres, qu’on peut considérer Alphonse Bertillon comme le fondateur de la police technique et scientifique. Mais pas que.

Photographie, graphologie... Quelles innovations de la police la série met-elle en scène ?

D'autres innovations de Bertillon pour l’identification des criminels et les expertises sur les scènes de crimes sont présentes. Parmi elles, Pierre Piazza cite la photo judiciaire de face et de profil, l’utilisation des traces digitales, la graphologie - c’est-à-dire l’étude de l’écriture - et les photos métriques de scènes de crimes, dont le but était de figer le méfait tel qu’il avait eu lieu. La reconstitution de la police de l’époque est excellente selon Pierre Piazza, d’autant plus que “de nombreux objets – appareils de mesure, appareils photos - sont des vrais, provenant du service parisien de l’identité judiciaire ou du musée de la préfecture de police”. 

Ce que nous devons Ă  Bertillon
Ce que nous devons Ă  Bertillon Ce que nous devons Ă  Bertillon

Par ailleurs, la série incarne à merveille "l’introduction d’outils modernes au sein de la police impulsée par le préfet Lépine, selon la spécialiste de l’histoire parisienne Isabelle Backouche. C’est lui qui a impulsé la généralisation du téléphone dans les commissariats, par exemple”, explique la chercheuse. En 1900, il crée également la brigade police à vélo, dont les membres sont surnommés “les hirondelles”, pour assurer une plus grande proximité avec la population. 

La police était-elle aussi violente et corrompue ? 

Scène d’aveux forcés particulièrement glaçante au cours de laquelle l’inspecteur Fiersi torture un suspect puis le jette sur un cadavre découpé en morceaux ; recours à des mouchardes malmenées physiquement et verbalement... La série dresse le portrait d’une police aux pratiques très violentes et peu morales. Mais était-ce vraiment le cas ? Selon Pierre Piazza, oui. “Les violences policières étaient très répandues, pointe le politologue. D'ailleurs, le préfet de police Lépine lui-même dès sa prise de fonction en 1893 annonce qu'il entend mettre fin au "passage à tabac", pratique courante dans la police.... mais qui va perdurer longtemps”, poursuit-il. Toujours selon Pierre Piazza, le recours aux “mouches” et aux “indicateurs”, notamment chez les prostituées, est une “pratique très courante pour assurer une surveillance de la population”. 

Le sort des femmes était-il aussi peu enviable ? 

Femmes découpées en morceaux, reléguées dans des rôles d’épouses esseulées et droguées ou des métiers peu vertueux ou de seconde zone... Dans Paris Police 1900, les femmes écopent d’un sort peu enviable. “La série dépeint un univers patriarcal très brutal réellement en vigueur à l’époque, souligne Pierre Piazza. Beaucoup sont maltraitées, y compris sexuellement”, poursuit le professeur. Un avis partagé par Isabelle Backouche. “À cette époque bien sûr, elles n’avaient pas le droit de vote, elles n’avaient pas le droit d’exercer certaines professions”, déclare-t-elle. Ainsi, le personnage de Marguerite Steinheil, épouse d’un peintre sans le sou et maîtresse du président Félix Faure, a réellement existé. De même que Jeanne Chauvin, apprentie avocate n'ayant pas le droit d’exercer la profession. Elle est la première femme à soutenir un doctorat en droit en 1892, et sera la première également à prêter serment comme avocate au barreau de Paris en 1900 à la suite d’un changement de loi.  

Autre réalité exposée dans la série : les "constats d’adultères" menés par la police, les femmes coupables risquant alors d’être enfermées à la prison Saint-Lazare. 

Les différentes franges politiques de l'époque sont-elles bien représentées ?

L'ampleur de l’antisémitisme en France, avec ses ligues et ses personnages emblématiques, est au cœur de l’univers de Paris Police 1900. L'intrigue se déroule en plein procès de Rennes lors duquel Dreyfus est rejugé en 1899. La Ligue antisémitique de France, créée par le député Drumont, et le journal l’Antijuif, présidé par Jules Guérin, divisent la population. “L’apogée des ligues et la crainte d’un coup d’État ainsi que le “Fort Chabrol”, pendant lequel Jules Guérin s’enferme chez lui pendant plus de 30 jours pour échapper à un mandat lancé contre lui, sont des événements réels qui ont marqué les esprits”, explique Isabelle Backouche.  

Autre groupe politique bien dépeint par la série : les bouchers de la Villette. Selon l’historienne, “c’était vraiment une corporation à part”. Tenus à l'écart et associés au sang par la population, une partie d’entre eux se sont ralliés aux ligues qui les ont considérés et brossé dans le sens du poil. Une véritable stratégie de leur part, comme l’explique Isabelle Backouche : “Les gens d’extrême droite voyaient les bouchers de la Villette comme des gros costauds, et donc comme un soutien utile pour organiser des émeutes”. 

Le Paris de 1899 Ă©tait-il aussi sombre ?

Malgré une reconstitution historique et une esthétique qui forcent le respect, "la série Paris Police 1900 souffre d’un “parti pris” qui l’éloigne un peu de la réalité historique", selon Isabelle Backouche. Même si les faits divers étaient nombreux et parfois très sanglants – Bertillon se déplaçait souvent sur des scènes de crimes atroces -, l’image qui est donnée de l’époque est "trop sombre, trop glauque avec une vision trop misérabiliste des gens pauvres", pour l’historienne. “Alors évidemment il y avait des prostituées, les conditions de logement à Paris étaient souvent catastrophiques, mais dans ces catégories populaires il y avait aussi des gens qui arrivaient à s’en sortir, il y avait une sociabilité, une entraide qui n’est jamais montrée”, poursuit la spécialiste de la ville de Paris. Autre bémol selon la chercheuse : un côté très manichéen qui pourrait donner l’impression aux novices en histoire qu’il n’y avait que des antidreyfusards et des antisémites en France. "Le pays était divisé en deux, ce qui implique qu’il y avait aussi des dreyfusards, pourtant jamais représentés", souligne-t-elle. 

La série comporte-t-elle des inexactitudes historiques ? 

Quelques inexactitudes historiques sont également à déplorer. Premièrement, l’ampleur de l’enquête autour de la femme découpée en morceaux est peu crédible pour Isabelle Backouche. "Comme cela est dit au sein de la préfecture au début de la série, il y avait des centaines de disparitions de femmes à Paris chaque année. Alors autant de remue-ménage pour un cadavre, surtout qu’il s’agit d’une prostituée... ça me semble un peu tiré par les cheveux", analyse l’historienne. Pour Isabelle Backouche et Pierre Piazza, l’alliance du préfet Lépine avec les anarchistes pour faire face aux ligues ne s’appuie sur aucune réalité historique. Un accord d’autant plus improbable que la préfecture de police de Paris menait une politique répressive à l'encontre des mouvements anarchistes. Enfin, une allusion est faite sur la Villette, décrit comme un quartier juif. “C’est faux”, selon Isabelle Backouche. 

La saison 2 n’a pas encore été annoncée par Canal+, mais ses producteurs ont pensé Paris Police 1900 comme une série faite pour durer et une suite pourrait bien voir le jour. Affaire à suivre, donc.

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