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Criminalité, antisémitisme, sort des femmes... Ce que révèle la série "Paris Police 1900" sur la société de l’époque

Avec ssĂ©rie-polar noire et historique "Paris Police 1900", Canal+ nous plonge dans les pans les plus sombres de l’annĂ©e 1899. Franceinfo dĂ©crypte cette fiction avec des experts de l'Ă©poque.

Article rédigé par
Faustine Mazereeuw - franceinfo Culture
France Télévisions Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min.
"Paris Police 1900", la nouvelle série noire de Canal+ (Paris Police 1900, Canal +)

La Belle Époque, une Ă©poque qui n’avait de beau que le nom ? C’est en tout cas ce que voudrait nous faire croire la sĂ©rie Canal+ Paris Police 1900. En pleine affaire Dreyfus et sur fond d'explosion de l'antisĂ©mitisme, ce polar ultra-sombre oĂą l’on ne voit que très peu la lumière du jour nous embarque dans la rĂ©solution du mystère d'un cadavre dĂ©coupĂ© en morceaux retrouvĂ© dans une malle flottant sur la Seine.  

Dans cette fiction scĂ©narisĂ©e par Fabien Nury (La Mort de Staline ; Charlotte impĂ©ratrice), la violence est partout : chez les criminels provenant aussi bien des classes populaires que bourgeoises, chez les antidreyfusards regroupĂ©s au sein de la Ligue antisĂ©mitique de France, mais aussi chez la police aux pratiques peu orthodoxes. Rues pavĂ©es, calèches, demeures bourgeoises ou appartements insalubres, montres, pipes, appareils photos et premiers tĂ©lĂ©phones, un bel effort de reconstitution historique a Ă©tĂ© fait, rĂ©sultat de plusieurs mois de documentation.

On y croise des personnages du passĂ© comme Alphonse Bertillon, père de la police scientifique, l’emblĂ©matique prĂ©fet de Paris Louis LĂ©pine - l'homme restĂ© le plus longtemps en poste - ou le polĂ©miste antisĂ©mite Édouard Drumont. La sĂ©rie met Ă©galement l’emphase sur le sort rĂ©servĂ© aux femmes Ă  l’époque, victimes de la domination des hommes sous diverses formes : fĂ©minicides, interdiction d'exercer les mĂŞmes professions. Que nous dit la Paris Police 1900 sur la police et la sociĂ©tĂ© de l’époque ? Franceinfo a dĂ©cryptĂ© l’œuvre avec une historienne et un spĂ©cialiste de la police de l’époque. 

Qu'est-ce que le "bertillonnage", technique rĂ©volutionnaire de la police en 1900 ? 

Paris Police 1900, c’est avant tout une plongĂ©e dans la prĂ©fecture de police de Paris de l’époque avec un mot qui revient souvent : le bertillonnage, du nom du directeur du service de police d'identitĂ© judiciaire Alphonse Bertillon. Mais c’est quoi, au juste ? Selon Pierre Piazza, maĂ®tre de confĂ©rences en sciences politiques et auteur de l'ouvrage La Science Ă  la poursuite du crime aux Ă©ditions La Martinière“il s'agit d'une technique d'anthropomĂ©trie judiciaire pour identifier les personnes grâce aux mensurations des corps”. On le voit dans la sĂ©rie, les personnages passent sous d'Ă©tranges appareils qui mesurent tour Ă  tour la largeur de leur crâne ou la longueur de leur nez.

Scène de "bertillonnage". (Collection particulière de Pierre Piazza)

Les criminels pouvaient ainsi ĂŞtre enregistrĂ©s au sein de gigantesques fichiers. C’est grâce Ă  cette invention, entre autres, qu’on peut considĂ©rer Alphonse Bertillon comme le fondateur de la police technique et scientifique. Mais pas que.

Photographie, graphologie... Quelles innovations de la police la série met-elle en scène ?

D'autres innovations de Bertillon pour l’identification des criminels et les expertises sur les scènes de crimes sont prĂ©sentes. Parmi elles, Pierre Piazza cite la photo judiciaire de face et de profil, l’utilisation des traces digitales, la graphologie - c’est-Ă -dire l’étude de l’écriture - et les photos mĂ©triques de scènes de crimes, dont le but Ă©tait de figer le mĂ©fait tel qu’il avait eu lieu. La reconstitution de la police de l’époque est excellente selon Pierre Piazza, d’autant plus que â€śde nombreux objets â€“ appareils de mesure, appareils photos - sont des vrais, provenant du service parisien de l’identitĂ© judiciaire ou du musĂ©e de la prĂ©fecture de police”. 

Ce que nous devons Ă  Bertillon

Par ailleurs, la sĂ©rie incarne Ă  merveille "l’introduction d’outils modernes au sein de la police impulsĂ©e par le prĂ©fet LĂ©pine, selon la spĂ©cialiste de l’histoire parisienne Isabelle Backouche. C’est lui qui a impulsĂ© la gĂ©nĂ©ralisation du tĂ©lĂ©phone dans les commissariats, par exemple”, explique la chercheuse. En 1900, il crĂ©e Ă©galement la brigade police Ă  vĂ©lo, dont les membres sont surnommĂ©s “les hirondelles”, pour assurer une plus grande proximitĂ© avec la population. 

La police Ă©tait-elle aussi violente et corrompue ? 

Scène d’aveux forcĂ©s particulièrement glaçante au cours de laquelle l’inspecteur Fiersi torture un suspect puis le jette sur un cadavre dĂ©coupĂ© en morceaux ; recours Ă  des mouchardes malmenĂ©es physiquement et verbalement... La sĂ©rie dresse le portrait d’une police aux pratiques très violentes et peu morales. Mais Ă©tait-ce vraiment le cas ? Selon Pierre Piazza, oui. â€śLes violences policières Ă©taient très rĂ©pandues, pointe le politologue. D'ailleurs, le prĂ©fet de police LĂ©pine lui-mĂŞme dès sa prise de fonction en 1893 annonce qu'il entend mettre fin au "passage Ă  tabac", pratique courante dans la police.... mais qui va perdurer longtemps”, poursuit-il. Toujours selon Pierre Piazza, le recours aux “mouches” et aux “indicateurs”, notamment chez les prostituĂ©es, est une â€śpratique très courante pour assurer une surveillance de la population”

Le sort des femmes Ă©tait-il aussi peu enviable ? 

Femmes dĂ©coupĂ©es en morceaux, relĂ©guĂ©es dans des rĂ´les d’épouses esseulĂ©es et droguĂ©es ou des mĂ©tiers peu vertueux ou de seconde zone... Dans Paris Police 1900, les femmes Ă©copent d’un sort peu enviable. â€śLa sĂ©rie dĂ©peint un univers patriarcal très brutal rĂ©ellement en vigueur Ă  l’époque, souligne Pierre Piazza. Beaucoup sont maltraitĂ©es, y compris sexuellement”, poursuit le professeur. Un avis partagĂ© par Isabelle Backouche. â€śĂ€ cette Ă©poque bien sĂ»r, elles n’avaient pas le droit de vote, elles n’avaient pas le droit d’exercer certaines professions”, dĂ©clare-t-elle. Ainsi, le personnage de Marguerite Steinheil, Ă©pouse d’un peintre sans le sou et maĂ®tresse du prĂ©sident FĂ©lix Faure, a rĂ©ellement existĂ©. De mĂŞme que Jeanne Chauvin, apprentie avocate n'ayant pas le droit d’exercer la profession. Elle est la première femme Ă  soutenir un doctorat en droit en 1892, et sera la première Ă©galement Ă  prĂŞter serment comme avocate au barreau de Paris en 1900 Ă  la suite d’un changement de loi.  

Autre rĂ©alitĂ© exposĂ©e dans la sĂ©rie : les "constats d’adultères" menĂ©s par la police, les femmes coupables risquant alors d’être enfermĂ©es Ă  la prison Saint-Lazare. 

Les différentes franges politiques de l'époque sont-elles bien représentées ?

L'ampleur de l’antisĂ©mitisme en France, avec ses ligues et ses personnages emblĂ©matiques, est au cĹ“ur de l’univers de Paris Police 1900. L'intrigue se dĂ©roule en plein procès de Rennes lors duquel Dreyfus est rejugĂ© en 1899. La Ligue antisĂ©mitique de France, créée par le dĂ©putĂ© Drumont, et le journal l’Antijuif, prĂ©sidĂ© par Jules GuĂ©rin, divisent la population. â€śL’apogĂ©e des ligues et la crainte d’un coup d’État ainsi que le “Fort Chabrol”, pendant lequel Jules GuĂ©rin s’enferme chez lui pendant plus de 30 jours pour Ă©chapper Ă  un mandat lancĂ© contre lui, sont des Ă©vĂ©nements rĂ©els qui ont marquĂ© les esprits”, explique Isabelle Backouche.  

Autre groupe politique bien dĂ©peint par la sĂ©rie : les bouchers de la Villette. Selon l’historienne, â€śc’était vraiment une corporation Ă  part”. Tenus Ă  l'Ă©cart et associĂ©s au sang par la population, une partie d’entre eux se sont ralliĂ©s aux ligues qui les ont considĂ©rĂ©s et brossĂ© dans le sens du poil. Une vĂ©ritable stratĂ©gie de leur part, comme l’explique Isabelle Backouche : â€śLes gens d’extrĂŞme droite voyaient les bouchers de la Villette comme des gros costauds, et donc comme un soutien utile pour organiser des Ă©meutes”

Le Paris de 1899 était-il aussi sombre ?

MalgrĂ© une reconstitution historique et une esthĂ©tique qui forcent le respect, "la sĂ©rie Paris Police 1900 souffre d’un “parti pris” qui l’éloigne un peu de la rĂ©alitĂ© historique", selon Isabelle Backouche. MĂŞme si les faits divers Ă©taient nombreux et parfois très sanglants – Bertillon se dĂ©plaçait souvent sur des scènes de crimes atroces -, l’image qui est donnĂ©e de l’époque est "trop sombre, trop glauque avec une vision trop misĂ©rabiliste des gens pauvres", pour l’historienne. â€śAlors Ă©videmment il y avait des prostituĂ©es, les conditions de logement Ă  Paris Ă©taient souvent catastrophiques, mais dans ces catĂ©gories populaires il y avait aussi des gens qui arrivaient Ă  s’en sortir, il y avait une sociabilitĂ©, une entraide qui n’est jamais montrĂ©e”, poursuit la spĂ©cialiste de la ville de Paris. Autre bĂ©mol selon la chercheuse : un cĂ´tĂ© très manichĂ©en qui pourrait donner l’impression aux novices en histoire qu’il n’y avait que des antidreyfusards et des antisĂ©mites en France. "Le pays Ă©tait divisĂ© en deux, ce qui implique qu’il y avait aussi des dreyfusards, pourtant jamais reprĂ©sentĂ©s", souligne-t-elle. 

La sĂ©rie comporte-t-elle des inexactitudes historiques ? 

Quelques inexactitudes historiques sont Ă©galement Ă  dĂ©plorer. Premièrement, l’ampleur de l’enquĂŞte autour de la femme dĂ©coupĂ©e en morceaux est peu crĂ©dible pour Isabelle Backouche. "Comme cela est dit au sein de la prĂ©fecture au dĂ©but de la sĂ©rie, il y avait des centaines de disparitions de femmes Ă  Paris chaque annĂ©e. Alors autant de remue-mĂ©nage pour un cadavre, surtout qu’il s’agit d’une prostituĂ©e... ça me semble un peu tirĂ© par les cheveux", analyse l’historienne. Pour Isabelle Backouche et Pierre Piazza, l’alliance du prĂ©fet LĂ©pine avec les anarchistes pour faire face aux ligues ne s’appuie sur aucune rĂ©alitĂ© historique. Un accord d’autant plus improbable que la prĂ©fecture de police de Paris menait une politique rĂ©pressive Ă  l'encontre des mouvements anarchistes. Enfin, une allusion est faite sur la Villette, dĂ©crit comme un quartier juif. â€śC’est faux”, selon Isabelle Backouche. 

La saison 2 n’a pas encore Ă©tĂ© annoncĂ©e par Canal+, mais ses producteurs ont pensĂ© Paris Police 1900 comme une sĂ©rie faite pour durer et une suite pourrait bien voir le jour. Affaire Ă  suivre, donc.

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