Cet article date de plus d'un an.

"Les poupées persanes" : voyage au bout de la vie et conte moderne entre l’Iran et la France

La pièce de théâtre d’Aïda Asgharzadeh est un voyage incessant entre l’Iran et la France, le rire et les larmes, le cauchemar et la légèreté. "Les poupées persanes", un conte moderne poignant. Coup de cœur.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les comédiens Sylvain Mossot, Juliette Delacroix, Toufan Manoutcheri et Aïda Asgharzadeh  dans "Les poupées persanes". (François Fonty)

Un an, presque jour pour jour, après la mort de Masha Amini, tuée le 16 septembre 2022, après avoir été arrêté par la police des mœurs pour un voile mal porté, le théâtre de La Pépinière accueille la 200e de la pièce au succès non démenti Les poupées persanes. Brillante, pleine d’humanisme et d’humour, l’œuvre d’Aïda Asgharzadeh est une bouffée d’oxygène. Et pour cette reprise, la salle était comble, les strapontins tous occupés. Commençons par le début : il était une fois… En perse, farsi, c’est plus authentique "Yeki bood, Yeki nabood. Gheir az Khodâ, itch kas nabood". Les poupées persanes est un conte moderne, à deux temporalités, qui nous emmène en Iran dans les années 70 et en France fin 1999.

Il était une fois ...

 Il était une fois donc, voire deux, voire plusieurs fois des amis idéalistes qui rêvaient d’un meilleur monde et que la révolution finira par broyer et forcer à l’exil. Cela s’est passé à Téhéran, cela s’est passé ailleurs aussi. L’histoire est universelle. C’est l’histoire de l’humanité, qui ne désespère pas d’espérer. Nous sommes en Iran, dans les années 70. Le shah est complètement déconnecté de son peuple. Il ne tient que grâce à sa police secrète. Quatre amis universitaires rêvaient d’un printemps fleuri, avant d’entre pris dans un cauchemar sans fin, dans un hiver rigoureux. Aïda Asgharzadeh nous laisse entrevoir les petites lâchetés, les petits arrangements mais aussi l’engagement, la résistance. Que faire face à un système répressif ? Les réponses individuelles sont forcément multiples.

Les comédiennes Juliette Delacroix, Toufan Manoutcheri et Aïda Asgharzadeh dans la pièce "Les poupées persanes". (François Fonty)

Que sont nos rêves devenus ? 

 

Ce savoureux dialogue illustre toutes ambiguïtés de l’époque. À Manoucher, un personnage qui souhaite passer à l’action pour démettre le shah, son ami Bijan, musicien, lui répond sceptique : " Et qu’est-ce que tu proposes à la place ? Une république laïque ? Une démocratie religieuse ? Une république islamique ? Comment veux-tu qu’on élise les membres du conseil constitutionnel ? Les ministres ? Quelle parité ? Vous en discutez de ça, avec vos copains de la mosquée ? Bien sûr que non. Vous vous dites bêtement que l’union fait la force et qu’ensemble, vous arrêterez le Shah. Et après ? Qui va manger qui cette fois ?". Réplique de Manoucher : "Tu as raison, reste tranquillement à faire de la musique chez toi. C’est bien connu, le solfège a guidé les plus grandes révolutions... " C’est dans ce contexte que Bijan et Manijeh, prénoms d’un couple mythique, tentent de s’aimer et de se projeter dans l’avenir.

Les comédiennes Aïda Asgharzadeh et Juliette Delacroix dans la pièce "Les poupées persannes" (François Fonty)

Et l’on passe des larmes au rire, puis le chemin inverse. On délaisse Téhéran pour Avoriaz, de la comédie tragique, ou le contraire. De la légèreté et de la profondeur. Le passé refuse de se décomposer, de mourir. Des allers-retours passé-présent, troublants et émouvants. La pièce ne se résume pas, elle aborde de nombreux thèmes. Que dire de Les poupées persanes sans tomber dans l’excès de superlatifs ? Les six acteurs, qui interprètent une trentaine de rôles à eux tous, sont tous inspirés, comme habités par leurs personnages. Ils évoluent avec aisance dans un décor ingénieux. L’occupation de l’espace est tout simplement impressionnante. Les poupées persanes, coup de cœur et coup de poing.

 

Fiche

Titre : Les poupées persanes

Durée : 1h35

Auteure : Aïda Asgharzadeh
Mise en scène : Régis Vallée
Scénographie : Philippe Jasko et Régis Vallée
Création lumière : Aleth Depeyre
Vidéo : Fred Heusse
Musique : Manuel Peskine
Costumes : Marion Rebmann assistée de Marie Dumas de la Roque
Assistante à la mise en scène : Mélissa Meyer
Décoratrice : Alissia Blanchard
Distribution : Aïda Asgharzadeh, Juliette Delacroix, Kamel Isker, Azize Kabouche, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot

Résumé : C’est l’histoire de quatre universitaires dans l’Iran des années 70, de la chute du Shah à l’arrivée au pouvoir du régime islamique. C’est l’histoire, en France, de deux sœurs pas très enthousiastes à l’idée de célébrer le passage à l’an 2000 aux sports d’hiver, en famille. C’est l’histoire d’amour de Bijan et Manijeh, couple mythique des légendes perses. C’est l’histoire d’une jeunesse pleine d’espoir, d’une lutte avortée, d’un peuple sacrifié, de secrets qui s’entortillent, de la transmission dont on ne sait que faire et de l’amour qui ne sait plus où aller. C’est l’histoire à vrai dire, de toutes les révolutions.

Théâtre La pépinière, du mardi au samedi à 21h, matinée samedi à 16 heures

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.