A l’Opéra-Comique le délicieux "Cabaret horrifique" de Valérie Lesort avec des mains coupées et des musiques qui font peur
Valérie Lesort, qui vient d’obtenir un Molière de la Création visuelle, propose un délicieux "Cabaret horrifique" à l’Opéra-Comique : une guirlande de musiques mises en scène sur le thème des vampires et de l’au-delà…
Ce Cabaret horrifique qui va de Lully à Jacques Higelin bénéficie de l’humour et du sens visuel d’une Valérie Lesort plasticienne autant que dramaturge, marionnettiste autant que metteuse en scène. Elle a obtenu un Molière de la Création visuelle, il y a quelques jours, pour La Mouche qu’elle a montée avec son compère, Christian Hecq.
Des têtes coupées, beaucoup de rires…
Quelques accessoires -têtes coupées ou cercueil-, deux excellents partenaires, le baryton Lionel Peintre (venu du classique) la pyrotechnique soprano Judith Fa. Trois même avec la pianiste Marine Thoreau La Salle qui doit "mourir", piétinée ou égorgée, plusieurs fois par soir mais ressuscite imperturbablement pour retourner à son clavier, des dégoulinures de sang un peu plus nombreuses sur son chemisier blanc. Et Valérie Lesort les accompagne, en retrait, l’air parfaitement ailleurs -et même parfois abruti- mais qui sait hennir comme un parfait canasson, se composer une coiffure avec "La Main" (sortie de La famille Adams), hurler, quand il faut hurler, comme dans les mauvais films de la Hammer ou dans les giallos italiens qui confondent litres de sang et sauce tomate.
Cela suffit à faire de ce Cabaret horrifique une heure et quart délicieuse, avec juste ce qu’il faut de second degré pour qu’on s’amuse beaucoup (mais on entend tout de même, chez certaines spectatrices un ou deux "vrais" cris de terreur) tout en appréciant le talent des artistes…
Nous sommes sur la scène, en disposition Covid 19, et les artistes devant nous, utilisant parfois l’immense vaisseau de l’Opéra-Comique pour de spectaculaires effets de lumière. Car on a dû renoncer pour des raisons de proximité aux fameuses tables rondes des cabarets où trônent le seau à glace et les flûtes sous la petite lampe à abat-jour rose. Cependant, après un parcours à travers les coulisses balisé au sol par des têtes de mort, nous aurons tout de même droit à notre champagne, où un vampire a peut-être laissé des traces de sang -version du fameux Bloody Mary rebaptisé Bloody Rémois.
Des interprètes virtuoses qui jouent le jeu
Et commence donc une joyeuse sarabande qui voit passer Nosferatu (celui de Marie-Paule Belle, "Nosferatu, quand viendras-tu ?") ; le fantôme de l’Opéra (celui d’Andrew Lloyd Webber mais qui se doit de respecter les gestes barrières !) ; les squelettes de la Danse Macabre de Saint-Saëns ou le vampire Robaiyat du merveilleux Jean Cras, amiral de navire ("Dans la nuit du tombeau n’apportez pas les lampes, quoiqu’il n’y ait pas d’aube chez les morts"). En contrepoint de ces airs joyeusement sinistres, des têtes coupées surgissant du piano, des fumées méphitiques, des os qui craquent et qu’on écrase, des cercueils qui grincent, des canines protubérantes, et des visages si blancs qu’on leur proposerait presque notre propre sang pour enrayer l’anémie.
Un formidable Lionel Peintre, échevelé et révulsé comme un vampire qui aurait croisé un néon, une Judith Fa à l’invraisemblable tignasse d’un hirsutisme capillaire tendance toile d’araignée, sont à la manœuvre, chacun jouant la comédie avec un sérieux de pape (damné) ou de nonne (sanglante) devant l’imperturbable pianiste et une Lesort à la tête de morte-vivante béate qui a rencontré sa vocation chez les vampires comme d’autres dans un couvent.
Mais un cabaret ne serait pas de qualité s’il ne collait pas un peu à l’actualité de son temps. Donc nos deux comparses, quand ils veulent mordre une tendre gorge, n’oublient jamais de la nettoyer au gel hydroalcoolique, et quand Judith Fa passe à l’entracte en ouvreuse, c’est pour proposer "bonbons, cacahuètes, fioles de sang, chloroquine, masques homologués, bretzels".
Couteaux, tangos, bobos…
Bien sûr, le meilleur est tout de même dans le choix des œuvres, explorant même les marges de ce monde de fous et de fantômes : l’air chanté par le Feu dans l’ Enfant et les Sortilèges de Ravel (le colorature si maîtrisé de Fa) ; la Mort que Schubert transforme en Roi des Aulnes, et Peintre le chante avec un art rare ; la grinçante Alabama Song (Whisky Bar) du Mahoganny de Kurt Weill et Bertolt Brecht ; ou le Tango des Joyeux bouchers de Boris Vian (et son refrain Faut qu’ça saigne) qui, laissant les vampires de côté, met en scène abattoirs et généraux -avec un délicieux accompagnement sonore de couteaux par Valérie Lesort.
On a gardé pour la fin deux très beaux moments: en introduction, formidable et qui nous donne tout de suite le "la" : une Salsa du démon d’Higelin façon grande mélodie française à la Fauré (c’est-à-dire trois fois plus lente) et ça fonctionne remarquablement bien. Puis la redécouverte (pour nous) de la chanteuse réaliste Marie Dubas -qui était en fait une chanteuse réaliste parodique dont Fa nous distille, la crinière instable, un Tango stupéfiant… stupéfiant, sur cette femme qui, larguée par l’amant ("La rue du désir fut barrée/ Par les gravats de notre amour"), sombre pour l’oublier dans les substances les plus dangereuses ( "Je m’pique à l’eau de Javel").
On ne vous en dira pas plus, et non plus sur une fin qui convoque un des plus célèbres zombies de toute l’histoire sanglante des zombies. Le danger étant qu’à l’issue de ce spectacle si réussi on ne croise un réel vampire ou le vrai fantôme de l’Opéra-Comique (celui qui ne supporte plus qu’on lui demande toujours de faire rire) et qu’on ne lui dise "Sors de ce corps, Lesort" (tiens, ça rime !) en lui tendant une gorge palpitante -ou mangée de barbe pour les messieurs.
Le cabaret horrifique, de Lully à Jacques Higelin, mise en scène de Valérie Lesort, en reprise à l’Opéra-Comique du 1er au 4 juillet à 19 heures 30
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