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"The Crown" : les tensions entre Elizabeth II et Thatcher, la relation Charles-Diana... la saison 4 est-elle fidèle à la réalité ?

La saison 4 met en scène les confrontations entre Elizabeth II et Margaret Thatcher ainsi que les difficultés du couple Charles - Diana. Mais les faits sont-ils reproduits avec précision ? Réponse d'un historien spécialiste de la Grande-Bretagne et de la famille royale.

Article rédigé par franceinfo Culture - Gaël Simon
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
La saison 4 met notamment en scène le couple Charles - Diana. (NETFLIX)

Près de deux semaines après sa sortie sur Netflix, la saison 4 de The Crown continue d'être au centre de l'attention et des débats. La série fait partie des dix contenus les plus consommés sur la plateforme de vidéos en ligne. Les dix épisodes de ce quatrième chapitre racontent la période de 1979 à 1990, l'une des plus fascinantes de l'histoire de la couronne britannique. Les oppositions politiques entre la reine Elizabeth II et la Première ministre Margaret Thatcher d'un côté, la déliquescence du couple formé par le prince Charles et Lady Diana de l'autre font le sel d'une saison prenante, portée par des acteurs remarquables.

The Crown et ses 140 millions d'euros de budget se placent à la croisée de la réalité historique et de l'oeuvre de fiction. A tel point qu'à la suite des nombreux commentaires parfois très virulents sur la série, le ministre britannique de la Culture Oliver Dowden a estimé que Netflix devrait clairement avertir, avec une mention au début de chaque épisode, que l’intrigue est romancée. Le créateur de la série, Peter Morgan, est un spécialiste de la famille royale, il a notamment produit le scenario de The Queen en 2006. Et toute une équipe de chercheurs participe à l'élaboration du script. Mais la série comporte une grande part d'invention. Toutes les conversation privées sortent de l'imagination des scénaristes. Dans cette saison 4, les points hebdomadaires entre la reine et Margaret Thatcher sont ainsi fictifs.

Philippe Chassaigne, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bordeaux-Montaigne et auteur de l'Histoire de l'Angleterre regarde l'œuvre depuis la première saison. "Par certains aspects c’est un documentaire historique, mais à la base ça reste une fiction. Il ne faut surtout pas perdre de vue que c’est une fiction, donc il y a des choses qui sont inventées. Mais si elles sont inventées, c’est chose-là sont vraisemblables". Pour démêler le vrai du faux dans The Crown, franceinfo a interviewé Philippe Chassaigne, dont le livre sera réédité en 2021, afin de procéder à une vérification, pour chacun des dix épisodes, de la réalité des faits relatés. 

(Attention, cet article dévoile des informations sur l'intrigue des 10 épisodes de la saison 4.)

Épisode 1 : Lord Mountbatten et Charles étaient-ils aussi proches ?

Dans le premier épisode, le prince Charles perd celui qu’il considère comme son grand-père à titre honorifique, Lord Mountbatten. Celui-ci est en effet tué le 27 août 1979 au cours d’une partie de pêche dans un attentat perpétré par l’IRA. La série présente l’action de l’armée républicaine irlandaise comme une réponse à la mort de l’un de ses membres, Bobby Sands. Une erreur pour Philippe Chassaigne : "Bobby Sands est mort en 1981, soit deux ans plus tard. C’est une petite erreur qui n’aurait rien enlevé à l’intérêt de l’intrigue si elle avait été corrigée".

Néanmoins, la complicité entre Lord Mountbatten et le prince Charles décrite dans The Crown est sensiblement proche de la réalité. "Les relations entre Charles et son père ont toujours été difficiles. Mountbatten a toujours été plus à l’écoute. Il a toujours eu une personnalité plus ouverte, attentive. Et à travers Charles, il a trouvé une manière de se rapprocher de la famille royale, de faire passer un certain nombre de ses conceptions", détaille le spécialiste. À noter toutefois que si dans la série le grand-oncle de Charles lui laisse une lettre l’exhortant à trouver une jeune fille "douce et innocente, sans passé", dans les faits, Lord Mountbatten n’a jamais laissé de message posthume au prince de Galles. "La lettre en elle-même n’a pas existé. Mais son contenu aurait très bien pu être écrit", estime celui qui a également écrit un livre sur la reine Victoria.

Épisode 2 : les premiers rapports étaient-ils houleux entre la reine et Margaret Thatcher ?

Peu de temps après son élection, Margaret Thatcher est invitée à passer un week-end avec la famille royale dans la résidence de Balmoral. Une sorte de test pour les premiers ministres fraîchement désignés, qui ne va pas être concluant pour la Dame de fer. Conviée à une partie de chasse, la chef du gouvernement va se présenter apprêtée, portant talons, bijoux et tailleur, face à une reine en tenue campagnarde et décontractée. "Elles ne sont pas entendues dès le départ, confirme Philippe Chassaigne. Et l’épisode relate des faits réels. La reine trouvait que Margaret Thatcher en faisait trop. C’est assez bien représenté. Lorsqu’elle fait la révérence, elle le fait de façon trop prononcée. La reine y voyait là le signe de l’origine sociale de Margaret Thatcher. Pour Elizabeth II et ses proches, elle est trop formelle".

Et réciproquement. Après le séjour, Margaret Thatcher confie à son mari qu'elle trouve famille royale vulgaire et mal élevée. "Ce qu’elle devait ressentir, c'est qu’elle était une self-made woman alors que la reine et la princesse Margaret étaient des héritières. Elles n’avaient aucun mérite", commente Philippe Chassaigne.  

Épisode 3 : Diana a-t-elle été si maladroite à ses débuts ?

Ironiquement intitulé "Conte de fées", le troisième épisode de la saison se concentre sur les fiançailles de Charles et Diana, et sur les premiers rapports entre la future princesse et la famille royale. Et pour ses débuts, celle qui se nomme encore Spencer se montre maladroite. Lors de sa première invitation au palais, Diana s'avère peu apte à respecter le rigoureux protocole et à maîtriser les règles d’usage.

"Oui, elle a été impressionnée par le faste de Buckingham. C’est une jeune femme insouciante. Diana menait la vie d’une baby-boomer. Elle partageait un appartement dans un quartier plutôt populaire de l’ouest de Londres", détaille Philippe Chassaigne. Une vie simple retranscrite avec justesse. Dans la série comme dans la réalité, la famille royale se montra indulgente face aux premières hésitations de Diana, et confia son éducation à sa grand-mère, la baronne Fermoy. "Elle était dame d’honneur de la reine-mère. La famille de la princesse Diana était une famille qui gravitait dans un cercle proche de la famille royale. Mais elle n’était pas au cœur même. L’histoire veut quand même que la baronne Fermoy et la reine-mère aient arrangé le mariage entre Diana et Charles".

Épisode 4 : Mark Thatcher a-t-il vraiment disparu dans le Sahara ?

Au cours de l’épisode 4, Margaret Thatcher est en proie à des difficultés personnelles. Son fils, Mark, disparaît alors qu’il participe au rallye du Paris-Dakar 1982. Depuis un passage à un point-relais en Algérie, il ne donne plus signe de vie. Egaré dans le Sahara, il est finalement retrouvé six jours après. "C’est un vrai fait, confie Philippe Chassaigne. Dans l’épisode, c’est présenté comme concomitant à une expédition des Malouines. En fait, il y a un décalage chronologique. Ça s’est produit avant. Mais oui ça s’est vraiment produit".

Mark Thatcher racontera lui-même l’épisode au Guardian, quelques mois plus tard : "Je ne m’étais absolument pas préparé. La Peugeot 504 était la pire voiture possible : il fallait un engin à roues basses pour les dunes, nos roues étaient grandes”. Autre fait réel évoqué dans cet épisode, l’affection portée par la Dame de fer à son fils, qu’elle préférait à sa sœur jumelle. "Le préféré de ses enfants, c’était bien son fils", appuie le professeur d’histoire contemporaine.

Épisode 5 : un homme s’est-il vraiment faufilé dans le palais royal ?

C’est peut-être l’intrigue la plus étonnante de cette saison. Et elle est vraie. Ou en partie. Dans l’épisode 5, un citoyen au chômage qui vient d’être quitté par sa femme arrive à pénétrer le palais de Buckingham deux fois. La première, il est repéré avant de s’enfuir. Quelques semaines plus tard, interdit de visite à ses enfants, il retente sa chance et réussit à s'entretenir avec Elizabeth II, lui demandant de renvoyer Margaret Thatcher. "Elle nous a enlevé notre travail, elle vous enlèvera le vôtre", tente de la convaincre le dénommé Michaël Fagan.

Si le vrai Michaël Fagan a réellement réussi à se faufiler au cœur de Buckingham deux fois, son échange avec la reine n'a jamais eu de portée politique. Elizabeth II a simplement cherché à gagner du temps pour que la sécurité arrive. "L’intrusion et l'échange ont eu lieu mais le dialogue est totalement inventée. Fagan a juste fait ça pour réaliser une prouesse, par excitation de s’introduire dans un lieu très protégé. Il n’y avait aucun message politique", affirme Philippe Chassaigne. L’intéressé lui-même avait confirmé en 2012 : "Je ne sais pas ce qui m'a pris, il s'est juste passé un truc dans ma tête. J'y suis retourné parce que je me suis dit : 'C'est osé, c'est osé de pouvoir me balader là-dedans'".   

Épisode 6 : Charles éprouvait-il de la jalousie envers Diana ?

L’épisode 6 est un moment charnière dans la saison de The Crown. En voyage en Australie, la timide Diana va s’affirmer et se révéler particulièrement populaire, au détriment de Charles qui va en éprouver une certaine jalousie. La couple déjà en difficulté, va être d’autant plus fragilisé par cette rancœur du prince. Au cours d’une partie de polo à laquelle il participe, les spectateurs regrettent l’absence de Diana. Et lors d’une soirée, les journalistes présents vont se concentrer sur la princesse de Galles, au détriment de Charles.

"Le voyage en Australie est très bien retranscrit, constate l'auteur de l'Histoire de l'Angleterre avant de poursuivre. Dans les années 70, Charles était quelqu’un de très populaire, Il attirait les foules. Charles est habitué à être le centre de l’attention et Diana avait été choisie pour ses qualités de discrétion et pour être en retrait de son mari. Et d’un coup, c’est elle qui attire les regards. Charles en a eu une réelle amertume".

Épisode 7 : la reine a-t-elle eu deux cousines placées en asile psychiatrique ? 

L’épisode 7 de la saison se concentre sur le destin de la princesse Margaret, sœur d’Elizabeth II. Rétrogradée dans la hiérarchie royale depuis la majorité d’Edward et Andrews et n’arrivant pas à donner de sens à sa vie, celle-ci plonge dans la dépression et se résout à consulter une psychologue. Elle lui raconte alors la destinée de ses deux cousines Nerissa et Katherine Bowes-Lyons, enfermées dans un asile.

"C’est quelque chose qui est en effet connu et avéré", explique Philippe Chassaigne. Dans The Crown, Margaret retrouve ses cousines, alors qu'elles étaient déclarées mortes. La reine elle-même n'était pas au courant qu'elles étaient encore en vie."Elizabeth II était vraiment persuadée que ses cousines étaient mortes. Après, concernant l’interprétation qui en est faite dans la série et qui évoque le fait que c’est une opération de préservation de l’image de la famille royale, je suis plus dubitatif", affirme le spécialiste pour qui il s’agissait plus d’une question de tabou et de pudeur. Les deux femmes décéderont respectivement en 1986 et 2014.  

Épisode 8 : la reine et Margaret Thatcher se sont-elles affrontées au sujet de l'apartheid ?

L’opposition entre Margaret Thatcher et Elizabeth II atteint certainement son paroxysme dans l’épisode 8 de la saison 4 de The Crown. En cause, leurs divergences sur l’utilité du Commonwealth, et les sanctions à prendre à l’encontre de l’Afrique du Sud pour le maintien du régime de l’apartheid. Au cours d’une entrevue, Margaret Thatcher ne prend pas de gants et explique que le Commonwealth est un moyen pour la royauté de se consoler de la perte des colonies et estime que certains pays africains membres de la communauté ne sont pas fréquentables.

Si les oppositions entre la reine et la Dame de fer sont réelles, elles sont à recontextualiser : "Elles avaient des positions très différentes, surtout sur l’attitude à adopter concernant l’apartheid en Afrique du Sud. La reine était plus sensible aux arguments des autres pays membres qui poussaient pour des sanctions économiques envers l’Afrique du Sud tandis que l’argument de Margaret Thatcher était de dire que les sanctions économiques allaient pénaliser d’abord les travailleurs noirs. Qu’elle ait volontairement favorisé le régime des blancs par rapport aux noirs, je ne pense pas que ce soit le cas"

Épisode 9 : la reine a-t-elle cru que le prince Charles était mort dans une avalanche ?

Le 10 mars 1988, le prince Charles est emporté dans une avalanche alors qu’il est en train de skier avec des amis en Suisse. Un corps est retrouvé. La reine apprend la nouvelle et doit faire face au potentiel déclenchement du protocole de funérailles de son fils. Quelques heures plus tard, on découvre que le corps retrouvé n’est pas celui de Charles, mais de son ami le major Hugh Lindsay. Un épisode au ton exagérément dramatique par rapport à la réalité des faits.

"Ça fait partie de la licence poétique de la série et ça fait une bonne trame narrative", commente Philippe Chassaigne. Si The Crown nous présente des fausses archives de journaux titrant que les secours mettent tout en œuvre pour retrouver Charles, dans la réalité, le prince de Galles n’a même pas été blessé et a participé aux recherches pour retrouver le major Lindsay. Mais le protocole de funérailles n’a jamais été déclenché. "Il n’y a pas eu un soupçon de la disparition de Charles à ce point-là", confirme le professeur.  

Épisode 10 : Elizabeth II a-t-elle été choquée par le départ de Margaret Thatcher ?

La saison se termine sur le départ de Margaret Thatcher du 10 Downing Street, désavouée par les conservateurs. Elizabeth II l’invite alors au palais royal pour une entrevue. La reine se montre touchée par la fin de règne de la Dame de fer et la violence avec laquelle elle a été contrainte à partir. Une compassion et une émotion dont doute Philippe Chassaigne du fait de l'expérience d'Elizabeth II qui a connu bien d'autres départs de Premiers ministres.

"Le parti conservateur est connu pour savoir se débarrasser rapidement des Premiers ministres qui n’apparaissent pas susceptibles de remporter les prochaines élections. Il y a une rudesse politique des conservateurs". En 1990, Margaret Thatcher suscite énormément de mécontentement et son camp craint en effet de perdre les élections qui se profilent dans deux ans. Dans la série, Elizabeth II offre l’ordre du mérite à la femme politique. Ici, le fait est avéré. "Peu de temps après son départ, Margaret Thatcher a par ailleurs été anoblie. Autant que je sache, Tony Blair par exemple n’a pas été anobli. Ce n’est quand même pas rien", conclut l’enseignant à l’université Bordeaux-Montaigne.

Et pour les spectateurs de Netflix qui ont encore soif de connaissances sur la famille royale, la plateforme de vidéos en ligne propose trois documentaires consacrés notamment à Lady Di et à la "royal family" : Diana, in her own words, The story of Diana et The Royal House Windsor. De quoi patienter avant l'arrivée des deux prochaines saisons de The Crown déjà annoncées par les producteurs.

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