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La peau noire de Cléopâtre dans une série Netflix irrite en Egypte

Alors que l'origine grecque du père de la reine égyptienne est connue, l'historien Charles Vanthournout explique à Franceinfo Culture que les sources antiques restent "silencieuses" sur les origines de la mère.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Affiche de la série documentaire "La Reine Cléopâtre" disponible sur Netflix à partir du 10 mai. (NETFLIX)

La bande-annonce du docu-fiction La Reine Cléopâtre qui sera diffusé en mai sur Netflix a soulevé un tollé en Egypte. La cause : Cléopâtre, incarnée par la comédienne britannique Adele James, est une femme... noire. Un avocat égyptien, Mahmoud al-Semary, a demandé l'interdiction dans son pays de la plateforme qu'il accuse d'être à l'origine d'une distorsion de l'histoire égyptienne, indique The Jerusalem Post. L'égyptologue et ancien ministre égyptien des Antiquités, Zahi Hawass, est aussi monté au créneau sur sa page Facebook, rapporte Al Ahram, pour rappeler que "Cléopâtre n'était pas noire". "En tant que Grecque, elle ressemblait aux reines et princesses de Macédoine", ajoute-t-il. L'actrice israélienne Gal Gadot, pressentie, n'a justement pas pu interpréter le personnage à cause des origines macédoniennes de Cléopâtre. Dans une tribune publiée dans Variety, la réalisatrice de la série documentaire Tina Gharavi s'interroge : "Qu'est-ce qui vous dérange tant chez une Cléopâtre noire ?

Quelle était la carnation de Cléopâtre ? Nous avons posé la question à Charles Vanthournout, professeur d'histoire qui prépare une thèse intitulée "Égyptomanie américaine : caractéristiques et développements d'une fascination pour l'Égypte ancienne de 1788 à nos jours" à l'université de Lorraine. Charles Vanthournout écrit sa thèse sous la direction de l'historien Christian-Georges Schwentzel. Entretien. 

  

Franceinfo Culture : en s'appuyant sur les preuves scientifiques existantes, que sait-on exactement de la couleur de la peau de Cléopâtre ? 
Charles Vanthournout  :
Nous savons que Cléopâtre est issue de la dynastie des Ptolémées, c'est-à-dire d'une dynastie gréco-macédonienne qui descend d'Alexandre le Grand. Elle est donc d'origine grecque, du monde hellénique, par son père Ptolémée XII qui a eu plusieurs concubines. Il se pourrait justement que sa mère soit Egyptienne ou autre. C'est le géographe grec Strabon qui nous dit qu'elle est "bâtarde", c'est-à-dire qu'elle est née d'une concubine de Ptolémée. En outre, son grand-père paternel Ptolémée IX avait également eu des relations extra-conjugales. Ce qui est à tout à fait normal chez les Ptolémées. 

Quelles sont les origines de sa mère ? 

Nous ne savons rien sur sa mère. La seule certitude concerne sa lignée paternelle.

Elle pourrait donc être égyptienne, nubienne, kémite : une personne à la peau noire, etc...

C'est une hypothèse. Il y a un silence des sources antiques.  

"La Reine Cléopâtre" fait partie d'une série documentaire ("African Queens") dont l'Afro-Américaine Jada Pinkett Smith est la productrice et dont l'ambition est de mettre en lumière des reines afro-descendantes. Sur quoi la production s'est-elle basée pour dépeindre la reine égyptienne en femme noire ? 

Cléopâtre est une figure emblématique de l'Antiquité que tout le monde s'approprie. Les Américains se sont souvent appropriés des personnages de l'Antiquité pour défendre des causes. Dans les années 70, les Noirs y recourent pour la défense des droits civiques dans la société américaine. Nous assistons encore aujourd'hui à des tensions sociales entre Noirs et Blancs. Par conséquent, en présentant Cléopâtre sous les traits d'une femme noire, c'est une façon de réaffirmer l'importance de cette culture afro-américaine aux Etats-Unis. Je n'ai pas vu le documentaire [sortie prévue le 10 mai en France] mais la productrice est dans la continuité de la culture afrocentriste qui prévaut depuis le XIXe dans ce pays : les descendants d'esclaves qui ont peuplé l'Amérique veulent affirmer les valeurs africaines en prônant une Egypte noire. Nous sommes, une fois encore, dans cette réappropriation d'une Egypte noire.

L'Egyptomanie américaine, qui remonte aux campagnes napoléoniennes en 1798, a servi à d'autres moments. Napoléon est allé en Egypte avec des savants, à l'origine de publications qui sont arrivées aux Etats-Unis. Des touristes ont été également à l'origine de cette égyptomanie américaine. Et puis les Américains ont essayé de prouver sur fond racial que l'Egypte était peuplée de Blancs. Imaginez-vous dans cette société américaine esclavagiste du XIXe siècle, ce qu'aurait causé une Egypte noire ? Cela pose problème et on essaie de prouver en mesurant des crânes – ce qui paraît surréaliste aujourd'hui – qu'il y a une race supérieure – les Blancs – et une race inférieure – les Noirs – afin de légitimer l'esclavage.  

La polémique actuelle renvoie à un vieux débat scientifique autour du fait que les Egyptiens antiques étaient Nubiens, donc noirs de peau...

C'est un débat sans fin. Les Afrocentristes disent effectivement que les Egyptiens étaient noirs. Il y a eu un rassemblement à l'Unesco en 1974, des tests ADN ont été effectués sur des milliers de momies ainsi que des scanners. Il a été conclu que les Egyptiens anciens constituaient une population hétérogène. Il y avait aussi bien des Blancs, des Noirs, des métis... En d'autres termes, ils avaient une couleur de peau assez semblable à celle des populations du Proche-Orient. Il y a un consensus chez les Egyptologues sur cette question. 

Mais, au final, chacun peut choisir son camp parce qu'il y a un silence des sources antiques. Ce concept de noir/blanc n'est jamais mentionné chez les anciens Egyptiens. On ne mentionne jamais la couleur tout simplement parce qu'on n'y prête pas attention. Les concept noir/blanc, race supérieure versus race inférieure sont issus du colonialisme, du nationalisme et de l'impérialisme du XIXe siècle. C'est pour cela que dans les parois des tombeaux, vous voyez aussi bien des Noirs, des métis, etc. Le concept de racisme n'existe pas. C'est normal aujourd'hui que l'on se réapproprie l'Egypte. Elle fait partie de notre imaginaire mais il faut veiller dans un documentaire à rester neutre et dans la vérité des sources antiques qui sont silencieuses et ne permettent pas d'avoir un avis tranché. 

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