La gravure sur métaux, reconnue par l'Unesco mais "peu valorisée" au Maghreb

Quand ce n'est pas la formation qui fait défaut, c'est l'absence d'initiatives publiques qui empêche le développement de la gravure sur cuivre, argent ou or dans le nord du continent africain.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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Un artisan tunisien présente une plaque de cuivre qu'il est en train de graver à une touriste dans sa boutique des souks de la médina de Tunis, le 7 décembre 2023. (FETHI BELAID / AFP)

Le tracé-matis, l'ajourage ou le sertissage : ces techniques ancestrales de gravure sur les métaux, inscrites tout récemment "au patrimoine immatériel" de l'Unesco, sont "peu valorisées" au Maghreb où les artisans peinent à perpétuer leur savoir-faire.

La gravure manuelle  – sur cuivre, argent ou or – de motifs géométriques, végétaux ou encore astrologiques a obtenu le prestigieux label onusien début décembre. La candidature de cet artisanat ornant bijoux, ustensiles de cuisine ou objets décoratifs, était portée par dix pays arabes dont la Tunisie, l'Algérie et ke Maroc. "Cette inscription nous engage à préserver ce savoir-faire exceptionnel", se félicite auprès de l'AFP le Tunisien Imed Soula, l'un des trois experts ayant présenté le dossier.

Un savoir-faire en péril 

Expert en ciselure, Mohamed Amine Htiouich, 37 ans, a appris dès ses 15 ans l'ABC de la gravure sur cuivre avant de passer à l'argent puis l'or, dans l'atelier familial de la médina de Tunis, la capitale tunisienne. Dans tout le Maghreb, la gravure sur métaux se transmet de père en fils, selon les méthodes traditionnelles. Mais pour s'adapter aux nouvelles demandes, l'artisan a appris la gravure par machine. "Je ne veux pas voir cette tradition disparaître. J'ai peur qu'un jour, il n'y ait plus de relève", s'inquiète Amine Htiouich, disposé à former gratuitement des jeunes.

Dans son atelier du "Village de l'artisanat" à Denden, dans l'ouest de Tunis, Chiheb Eddine Ben Jabballah, 68 ans, enseigne, lui, souvent son art à des femmes désireuses de créer des bijoux ou fabriquer des couffins, avec des ornements en cuivre ciselé. Président de la Chambre nationale des artisans, celui qui a formé des centaines de graveurs en 50 ans de carrière trouve que les stages parfois réduits désormais à trois mois sont trop courts. Il "faut au moins deux ans pour s'initier à toutes les techniques de la gravure", dit-il, regrettant que son métier "très riche soit peu valorisé".

"Une bonne publicité" à l'international 

En Tunisie, la gravure sur métaux remonte aux Carthaginois. La diversité des techniques actuelles résulte de croisements entre la civilisation islamique, les traditions méditerranéennes, celles de l'héritage berbère et des influences venues d'Orient. Le pays compte encore 439 artisans spécialisés dans la gravure sur métaux, selon l'Office national de l'artisanat.

Au Maroc, pays très touristique à l'artisanat réputé, la majorité des ciseleurs opèrent désormais dans des ateliers modernes. Abdelilah Mounir, vendeur d'objets en cuivre à Fès, l'antique ville impériale, est convaincu que "la reconnaissance octroyée par l'Unesco va aider sur le plan touristique et commercial. Au niveau international, c'est une bonne publicité".

Selon Mohamed Moumni, bijoutier installé à Salé, près de Rabat, "il y a une forte demande (pour l'artisanat du cuivre) mais le problème c'est la rareté des personnes qui savent travailler. On ne trouve plus d'artisans". Les jeunes peuvent pourtant apprendre les techniques dans des centres de formation auprès d'anciens professionnels.

En Algérie, malgré une absence d'initiatives publiques, les objets en métal gravé restent très demandés. Les bijoux en or ou argent ciselé entrent systématiquement dans le trousseau des jeunes mariées et chaque région a sa spécialité : Tlemcen les parures en or, la Kabylie et les Aurès les bagues, colliers et bracelets d'argent parfois rehaussés de corail.

Davantage de reconnaissance locale

Après avoir eu un coup de cœur pour la gravure dans une minuscule bijouterie, Walid Sellami, créateur de bijoux modernes de 37 ans, n'a pas trouvé de formation et a appris "tout seul pendant deux ans sur internet". "C'est un métier magnifique. On n'a pas besoin de parler aux gens pour vendre. Ils peuvent voir par eux-mêmes le bijou", dit le jeune Algérien. Ce dernier estime que dans son quotidien le label Unesco "ne change pas grand chose". Par contre, il serait "fier" que la gravure, qui englobe "plein d'autres métiers", soit "davantage reconnue" au sein de la région.

En Libye, pays plongé dans le chaos depuis la chute et la mort du dictateur Kadhafi en 2011, les artisans se plaignent aussi d'un manque d'encouragement. "Le développement de cet artisanat est très limité, c'est la demande seulement qui encourage les artisans", pas les autorités, confie Youssef Chouchine à l'AFP soulignant que "la majorité des anciens artisans ont quitté ce métier" peu lucratif. "Pourquoi enseigner cet artisanat à mes enfants ? Pour qu'ils restent à la maison sans rien faire ? La situation n'est pas bonne", ajoute cet artisan sexagénaire, qui a pourtant tenté de transmettre son art à deux ou trois apprentis.

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