Election au secrétariat perpétuel de l'Académie française : duel amical entre Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin pour un nouveau fauteuil

Ils s'affrontent pour succéder à Hélène Carrère d'Encausse. Deux hommes, deux Prix Goncourt, deux septuagénaires : Amin Maalouf, le favori, et son challengeur Jean-Christophe Rufin seront départagés par leurs pairs le 28 septembre.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'écrivain franco-libanais Amin Maalouf (à gauche), alors nouveau membre de l'Académie française, posant avec l'historienne et immortelle française Hélène Carrère d'Encausse (au centre) et l'écrivain et immortel français Jean-Christophe Rufin (à droite) le 14 juin 2012 à l'Institut de France, à Paris. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin sont candidats au poste de secrétaire perpétuel de l'Académie française, vacant depuis la disparition de l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse. L'élection, qui aura lieu l'après-midi du jeudi 28 novembre, lors de la session de rentrée de l'institution, s'est transformée en un duel surprise entre deux amis.

Le secrétaire perpétuel de l'Académie française dirige l'institution chargée d'assurer la défense de la langue française. Seuls 35 des 40 sièges de l'Académie sont occupés : 28 hommes et 7 femmes. Le 33e secrétaire perpétuel sera ainsi désigné "à la majorité absolue" des suffrages exprimés qui départageront deux hommes dont les trajectoires se croisent.

Pur hasard, même les numéros de leurs sièges sous la Coupole font écho à la proximité des deux Immortels. Jean-Christophe Rufin, médecin et ancien diplomate, occupe le 28e fauteuil où il a été élu le 19 juin 2008 et reçu le 12 novembre 2009 par Yves Pouliquen. Quant au journaliste franco libanais, devenu romancier, il a été élu le 23 juin 2011 au fauteuil de Claude Lévi-Strauss, le 29e, et a été reçu le 14 juin 2012 par son ami Jean-Christophe Rufin.

Les deux écrivains sont également des Prix Goncourt. Amin Maalouf l'a obtenu en 1993 pour Le Rocher de Tanios. En 2001, Jean-Christophe Rufin le recevait pour Rouge Brésil. Trois ans séparent les deux hommes. Le premier est né au Liban le 25 février 1949. Le second a vu le jour le jour le 28 juin 1952 à Bourges (Cher).

Amin Maalouf, le favori

Le 21 septembre, il était encore l'unique candidat en lice au poste de secrétaire perpétuel de l'Académie française. Exilé en France depuis 1976, Amin Maalouf a fui la guerre civile qui a éclaté au Liban le 13 avril 1975. Elle a été déclenchée par une fusillade meurtrière qui s'est produite sous ses fenêtres. Son œuvre est empreinte de cette déchirure. "On écrit toujours à partir d'une blessure ", confiait-il à Franceinfo, en 2012, lors de la parution de son livre Les Désorientés.

En se lançant dans cette course pour diriger l'institution, Amin Maalouf se dote d'un nouveau levier pour concrétiser les ambitions exprimées en rejoignant l'Académie française, celle de sa vie d'écrivain. "Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes, et plus que tout peut-être mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence", disait-il.

Des rêves "malmenés", selon lui. "Un mur s’élève en Méditerranée entre les univers culturels dont je me réclame. Ce mur, je n’ai pas l’intention de l’enjamber pour passer d’une rive à l’autre. Ce mur de la détestation - entre Européens et Africains, entre Occident et Islam, entre Juifs et Arabes -, mon ambition est de le saper, et de contribuer à le démolir. Telle a toujours été ma raison de vivre, ma raison d’écrire, et je la poursuivrai au sein de votre Compagnie (...) Sous le regard lucide de Lévi-Strauss". Faire tomber les barrières, c'est l'un des objectifs du groupe de réflexion sur le multilinguisme que l'académicien a présidé, à l'invitation de l'Union européenne, entre 2007 et 2008. Ce groupe a produit un rapport intitulé Un défi salutaire : comment la multiplicité des langues pourrait consolider l’Europe.

Jean-Christophe Rufin, candidat de la dernière minute

Il avait jusqu'au lundi 25 septembre pour déposer sa candidature. Quelques jours plus tôt, dans les colonnes du Point, c'est au nom de son amitié avec Amin Maalouf que Jean-Christophe Rufin expliquait avoir renoncé à se lancer dans la course pour le secrétariat perpétuel. "Amin est un ami, il était inconcevable que nous nous affrontions". Pour Le Monde, l'Immortel aurait surtout été "découragé par le consensus qui était en train de s’établir autour de la candidature (d'Amin Maalouf), quasi unanimement perçu comme un 'homme de paix' et de 'dialogue' ".

Le grand favori de cette élection apparaît comme une source d'apaisement bienvenue "après un quart de siècle de règne de fer d’Hélène Carrère d’Encausse, surnommée 'la Tsarine' ", précise le journal. D'autant que ces dernières semaines, rapporte Le Monde, Jean-Christophe Rufin "avait fait l’objet d’une vive campagne contre lui menée par l’écrivain Marc Lambron" qui lui reproche son "absentéisme" et ses liens avec TotalEnergies, pour lequel le romancier a rédigé rapport sur le projet de gaz naturel liquéfié au Mozambique, et Sanofi.

Son amitié avec Amin Maalouf, Jean-Christophe Rufin, l'a de nouveau évoquée dans sa lettre de candidature, citée par Le Monde, a un poste qu'il a toujours convoité. Sa démarche serait motivée par la nécessité d'offrir "un véritable choix" aux membres de la Compagnie. "Il ne faut voir là nulle rivalité avec Amin Maalouf, affirme-t-il. Nous nous connaissons bien, nous sommes amis (…) Il s’agit plutôt de proposer à vos suffrages deux personnalités différentes, deux parcours singuliers, deux conceptions de l’action à mener".

Jean-Christophe Rufin a sillonné le monde en tant que médecin, humanitaire et diplomate. Au fil de ses séjours, en particulier sur le continent africain, sa pratique de la médecine se transforme. "Serait-il osé d’affirmer qu’à votre retour de Tunisie vous ne pouvez plus dissocier de votre pratique médicale une arrière-pensée politique, une réflexion qui comporte un taraudant défi ? Celui de transformer des situations que l’on juge inacceptables", s'interrogeait l'académicien Yves Pouliquen dans sa réponse au discours de réception de Jean-Christophe Rufin le 12 novembre 2009.

"Plus que des amis, des frères"

"Ne prenez pas ombrage de ce que l’Académie ait désigné le benjamin de ses membres pour vous souhaiter la bienvenue. Ce n’est pas un manque de considération mais au contraire une faveur qui nous est faite, à tous les deux", déclarait-il, lui, dans sa réponse au discours de réception d'Amin Maalouf. Rufin soulignait alors que l'Académie, qui avait établi "des règles strictes" sur l'accueil des nouveaux Immortels, avait ainsi dérogé au protocole en appliquant "un autre critère, plus difficile à définir, appelons-le la sympathie, l’amitié, la complicité intellectuelle".

Dans son texte, l'Immortel souligne la similitude de leurs sources d'inspiration "quoiqu’inverses". "Vous scrutez le parcours des hommes de l’Orient partis à la rencontre du monde et qui découvrent les forces et les faiblesses des civilisations occidentales". "Si nos chemins se sont souvent croisés, poursuit l'académicien, ceux de nos personnages l’ont fait encore davantage. Nos vies sont restées distinctes mais j’ai parfois l’impression que nos rêves ont fait de nous plus que des amis, des frères". Pour Rufin, Maalouf est même "un aîné".

C'est grâce à ce dernier que l'ancien ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie (2007-2010) se tourne vers le roman parce que ce format "reste plus que jamais un outil incomparable pour parler du monde"."Ainsi, sans le savoir, vous m’avez décidé à franchir ce Rubicon des écrivains qu’est le passage à la fiction", avouait-il en 2012 devant l'Académie qui accueillait l'auteur de Léon l'Africain. Les académiciens ont aussi en commun leur intérêt pour le continent africain, notamment la Corne de l'Afrique, qu'ils ont parcourue et avec lesquels ils ont des liens familiaux. L'Égypte est le pays de la mère d'Amin Maalouf et il y a passé sa petite enfance. Jean-Christophe Rufin a, quant à lui, rencontré en Erythrée sa compagne, Azeb Rufin, qui y est née.

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