Rage Against The Machine : retour sur six coups d'éclat politiques rageurs
Le groupe américain Rage Against The Machine a annoncé jeudi qu'il annulait, pour raisons médicales, sa venue, mardi 30 août, en tête d'affiche du festival Rock en Seine, leur seule date en France cette année. Pour ne pas se laisser abattre, rappel de quelques coups d'éclat rageurs contre la machine de ce groupe explosif aussi engagé qu'enragé.
Rage Against The Machine a toujours été un groupe intense et engagé, aussi bien dans sa musique et ses textes qu'en dehors. Composé du chanteur Zack de la Rocha, du guitariste Tom Morello, du bassiste Tim Commerford et du batteur Brad Wilk, le quatuor américain formé en 1991 à Los Angeles n'est jamais à court de justes causes à défendre. Le groupe a plaidé pour la libération de prisonniers politiques tels Mumia Abu Jamal pour lequel ils ont enregistré le titre Voice of the voiceless en 1999 et également soutenu activement la cause du militant amérindien Leonard Peltier dont ils documentent le cas dans le clip de Freedom. RATM a soutenu la cause des migrants et du climat et dénoncé aussi bien les violences policières que la finance folle, le racisme que la pratique institutionnalisée de la torture.
Cette année, la formation a réagi le 24 juin à la révocation par la Cour Suprême américaine du droit constitutionnel à l'avortement en récoltant des fonds durant plusieurs concerts de charité aux Etats-Unis (475 000 dollars distribués à deux organisations dédiées). Sur scène par écrans interposés et sur son compte Instagram, le groupe a exprimé son "dégoût" de cette décision en raison de "l'impact dévastateur qu'elle aura sur des dizaines de millions de personnes" et en particulier "sur les pauvres", concluant : "Nous devons continuer à résister".
Alors que Rage Against The Machine a annulé jeudi 11 août, pour raisons médicales, sa venue le mardi 30 août en clôture du festival Rock en Seine, décevant les milliers de fans qui attendaient l'unique halte en France de la première tournée du groupe depuis onze ans (repoussée qui plus est depuis 2020 en raison de la crise sanitaire), retour sur quelques-uns de ses plus gros coups d'éclat politiques.
1"Killing in the Name" : la déflagration inaugurale (1992)
Killing in the Name est un des, si ce n’est LE, morceau de rock le plus incendiaire des 30 dernières années. Avec son final explosif durant lequel le chanteur Zack de La Rocha répète à 16 reprises 'Fuck You I Won’t Do What You Tell Me" (Vas te faire foutre je ne ferai pas ce que tu me dis), le tout premier single de Rage Against The Machine, choisi contre toute attente par la maison de disques Epic, a lancé la réputation du groupe sur les chapeaux de roue en 1992. Le texte est inspiré en partie de l’affaire Rodney King, un Afro-américain victime en mars 1991 de violences policières, filmées en vidéo par un témoin (un an plus tard, l’acquittement des quatre policiers impliqués déclencha des émeutes majeures à Los Angeles). Les paroles évoquent le racisme des forces de l’ordre américaines avec une allusion limpide au Ku Klux Klan ('Some of those that work forces are the same that burn crosses", soit "Certains de ceux qui travaillent dans la police sont les mêmes que ceux qui brûlent des croix") et un questionnement plus large du contrôle et de la soumission. Musicalement, il s’agit d’une explosion de rage sonore peu commune, le morceau ménageant ses effets avec une montée en puissance ahurissante traversée d’un riff de guitare inoubliable signé Tom Morello. Enregistrée en studio dans les conditions du live comme tout le reste du premier album de Rage Against The Machine, cette chanson bannie en son temps des radios américaines, a d’abord décollé en Europe, en Amérique du Sud et au Japon. Cet hymne enragé a gardé intacte depuis toute sa charge politique et émotionnelle, reprenant régulièrement du service, y compris en 2020 après la mort de George Floyd.
2Nus contre la censure au Lollapalooza (1993)
Le set de RATM au festival itinérant Lollapalooza de juillet 1993 à Philadelphie a fait date. Pourtant il n’a pas duré longtemps. Le groupe n’est resté sur scène que 15 petites minutes et n’a pas joué une seule note, offrant à la place un mémorable happening silencieux. Les membres du groupe sont en effet montés sur scène entièrement nus, les bouches barrées d’un ruban de scotch noir, pour protester contre la censure. Chacun portait une lettre peinte sur la poitrine et les quatre côte à côte formaient l'acronyme PMRC (Parent Music Resource Center). Ce groupe de pression américain, alors tout juste né, lutte contre l’évocation du sexe, des drogues et de la violence dans la musique, et est à l’origine des stickers "Parental advisory – Explicit lyrics" (contenus explicites) qui figurent depuis sur nombre de CD. Comprenant au bout de dix minutes qu’ils allaient être privés de concert, les festivaliers, dégoûtés, avaient commencé à lancer des bouteilles et le groupe avait dû être évacué de scène par la police. Pour se faire pardonner auprès des fans dépités, le groupe avait reprogrammé un concert gratuit quelques mois plus tard à Philadelphie. (La vidéo de Take the Power Back ci-dessous est datée du 19 juin 1993 à George dans l'Etat de Washington, première étape du festival itinérant Lollapalooza, soit un mois avant le happening nu).
3Du rififi face à Steve Forbes au Saturday Night Live (1996)
Leur passage en 1996 dans le show comique américain ultra populaire Saturday Night Live a laissé des traces : Rage Against The Machine est depuis ce jour persona non grata "à vie" à l’émission. Il se trouve que l’invité principal du jour était Steve Forbes (multimillionnaire, éditeur de presse américain et politicien républicain, ex-candidat à la présidentielle cette année-là). Face à ce personnage faisant dans cette émission comique la promotion de ses intérêts, notamment une flat tax, le groupe avait saisi l’opportunité de faire entendre sa voix. Et cela passait par le fait d’arborer des drapeaux américains à l’envers sur leurs amplis durant le show. Mais les responsables de SNL, opposés à ce message politique, avaient fait décrocher les drapeaux avant l’entrée en scène du groupe pour une version de Bulls on Parade (ci-dessous). Pour se venger, le bassiste Tim Commerford s’était précipité dans la loge de Forbes pour y lancer des lambeaux de drapeau américain déchiré. A SNL, on ne leur a toujours pas pardonné.
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4Le tournage mouvementé à Wall Street d'un clip signé Michael Moore (2000)
Sleep Now in The Fire, chanson extraite du troisième album de RATM The Battle of Los Angeles paru fin 1999, est un brûlot où il est question de la colonisation de l’Amérique par les Espagnols, de l’esclavage mais aussi de l’agent orange ravageur utilisé par les Etats-Unis durant la guerre du Vietnam. Pour mettre en images cette dénonciation tous azimuts, le réalisateur engagé Michael Moore (Bowling for Columbine) est enrôlé par le groupe. Il décide de tourner "au cœur de la Bête", c’est à dire à Wall Street, précisément face au bâtiment du New York Stock Exchange, le 26 janvier 2000, devant plusieurs centaines de personnes, dont des fans prévenus à l'avance. "Quoi qu’il arrive, continuez à jouer", recommande au groupe le documentariste, qui est loin d’avoir toutes les autorisations nécessaires le jour du tournage. Au final, il sera arrêté par la police et détenu durant quelques heures, tandis que le groupe tentera de pénétrer avec quelque 200 personnes dans le bâtiment du New York Stock Exchange, avant d'être arrêté par le couperet des portes anti-émeutes. Ce cirque réussira tout de même à stopper les échanges financiers et à contraindre la première place boursière au monde à fermer prématurément ce jour-là, une première depuis des lustres. Le clip, réjouissant, est un montage des images de l’incident avec une parodie du jeu télévisé américain "Qui veut devenir millionnaire ?", rebaptisé pour l'occasion "Qui veut être un sale putain de riche ?"
5Concert dans la rue durant la convention démocrate de Los Angeles (2000)
Pour protester contre le système de bipartisme en vigueur aux Etats-Unis (parti démocrate vs parti républicain), Rage Against the Machine décide de donner en 2000 un concert gratuit, autorisé par les autorités, sur le trottoir face au Staple Center de Los Angeles le jour-même de l’ouverture mi-août de la convention nationale démocrate. Huit mille personnes viennent assister au concert et Zack de La Rocha galvanise la foule dès qu’il met le pied sur scène. "Notre démocratie a été piratée ! Nos libertés électorales dans ce pays ont été confisquées depuis longtemps et sont contrôlées par les grosses entreprises ! Nous n’allons pas laisser prendre ces rues par les démocrates ou les républicains !", lance-t-il avant d’entamer avec le groupe un set d’une quarantaine de minutes bien musclé. Des échauffourées éclatent ensuite entre spectateurs et policiers (2000 policiers en tenue anti-émeute avaient été déployés pour sécuriser la convention), qui après les sommations d'usage chargent la foule et arrêtent une poignée de personnes. Rage Against The Machine ne donnait ensuite que quatre autres concerts avant de se séparer le mois suivant pour sept longues années.
6Rage contre la torture (2009)
En octobre 2009, après avoir appris que leur musique avait été très probablement utilisée durant la torture de prisonniers au centre de détention militaire américain de haute sécurité de Guantanamo (jusqu’à 72 heures de musique non stop à volume sonore très élevé), Rage Against The Machine monte une coalition baptisée Rage Against Torture avec plusieurs groupes dont Nine Inch Nails, R.E.M., Pearl Jam et The Roots. La coalition, qui rejoint la campagne demandant la fermeture de Guantanamo, réclame par ailleurs la déclassification des documents militaires concernant l’utilisation de la musique pour les interrogatoires et la torture. "C’est peut-être l’idée de l’Amérique de Dick Cheney mais ce n’est pas la mienne", déclare alors le guitariste Tom Morello. "Le fait que de la musique que j’ai aidé à composer ait été utlisée pour des crimes contre l’humanité me rend malade. Nous devons arrêter la torture et fermer Guantanamo maintenant." L’année précédente, lors d’une poignée de dates en Europe, et notamment au festival de Reading (Grande-Bretagne) et au Pinkpop (Pays-Bas), Rage avait déjà commencé à protester contre ce camp ultra controversé. Les membres du groupe montaient sur scène au son d’une sirène carcérale glaçante, vêtus de combinaisons orange avec des sacs noirs recouvrant leurs visages, allusion aux détenus de Guantanamo. Silencieux durant une minute, ils attaquaient ensuite le concert avec leur titre Bombtrack ainsi vêtus, impressionnant durablement les spectateurs.
Le festival Rock en Seine se déroule à Paris du 25 au 28 août 2022 (consultez le programme complet)
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