Peter Gabriel de retour avec "I/O", un album en clair-obscur dévoilé sur scène et sur les réseaux au fil de l'année
Cette fois il est bien là, depuis vendredi 1er décembre, le neuvième album studio de chansons originales de Peter Gabriel, intitulé I/O, sorti sur son label Real World et riche de douze morceaux. I/O, c'est l'abréviation de "input/output" (entrée/sortie), une histoire de connectique, de connexions, mais aussi une réflexion sur le temps, la mort, le pardon, traversée de quelques pensées plus légères.
Ce nouvel opus, dont le titre avait été dévoilé il y a de nombreuses années, s'est fait tant attendre que certains fans avaient cessé d'y croire, jusqu'aux annonces de Manu Katché, batteur fidèle depuis 1986, puis la confirmation officielle de novembre 2022. Tout s'est concrétisé au début de l'année 2023 avec les premiers partages de nouvelles musiques sur les réseaux sociaux. Et au printemps, une grande tournée européenne a fait trois escales en France - Paris, Lille, Bordeaux - en mai et juin dernier.
Il faut se souvenir que le dernier album de chansons inédites de l'Archange remontait à vingt et un ans... Up, disque intime et sépulcral, est sorti en septembre 2002. Entre-temps, il y a eu d'autres projets musicaux - mais pas d'album de chansons nouvelles - et des engagements humanitaires et environnementaux.
Entre la lenteur légendaire de ce créateur méticuleux et l'âge qui avance, il y avait de bonnes raisons de penser que le chanteur de 73 ans s'était retiré de la scène. Peter Gabriel, c'est 55 ans de carrière depuis le premier 45 tours avec le groupe Genesis dont il a été le cofondateur et le premier chanteur. C'est une carrière solo à son apogée entre la seconde moitié des années 80 et une partie de la décennie 90.
À l'affût des innovations technologiques, il n'a eu de cesse d'habiller sa musique de nouveaux sons, climats et textures. En 1980 par exemple, il a popularisé le synthétiseur Fairlight CMI, et plusieurs artistes lui ont emboîté le pas, de Kate Bush à Daniel Balavoine - il était un grand fan du chanteur anglais. Fasciné par les musiques et rythmes d'autres continents, notamment africains, Peter Gabriel a été l'une des premières rock stars à promouvoir les musiques du monde auxquelles il a dédié un festival, Womad, puis un studio et un label, Real World. On pouvait donc penser que le chanteur septuagénaire avait pris un peu de recul. Il n'en est rien.
Douze chansons livrées à chaque pleine lune
Plus productif que jamais, l'auteur-compositeur-interprète de Solsbury Hill et Sledgehammer a marqué son retour sur différents formats : audio, remix, vidéos, et enfin la scène. À partir de janvier 2023, une fois par mois à la pleine lune, Gabriel a dévoilé une nouvelle chanson de ce projet coproduit par Brian Eno. Non seulement le chanteur s'amuse toujours avec ce que la technologie peut offrir, mais il invite d'autres créateurs à se joindre au jeu : différents mixages de ses chansons, signés d'artistes variés, ont été partagés sur son compte YouTube au fil des mois. L'occasion d'écouter différentes variations des chansons selon son humeur, via les mixages "bright-side" (lumineux) signés Mark "Spike" Stent ou les "dark-side" (sombre) signés Tchad Blake.
C'est dans le même esprit que certaines musiques de Peter Gabriel ont été mises en images. En avril 2023, le chanteur a organisé un concours invitant à élaborer des clips pour des titres de I/O. À partir de juin, les vidéos de différents lauréats (les vainqueurs des 1er, 2e et 3e prix), ont été partagées sur YouTube. Ainsi, un clip réalisé sur un extrait du mix "sombre" de The Court met en scène un Peter Gabriel aux diverses facettes, rajeuni par l'intelligence artificielle...
Retour sur scène de toute beauté
L'apothéose aura été la tournée européenne, la première depuis près de dix ans. Il y a bien eu un Rock Paper Scissors Tour associant Peter Gabriel et Sting durant l'été 2016, mais il s'était limité au continent nord-américain. En France, le dernier passage de l'Archange remontait à la saison 2013-2014 : la tournée "Back to Front" réunissait alors le casting de So (1986), le disque de tous les succès, et rejouait le programme de la tournée triomphale qui avait suivi en 1987. Avec un concert marquant à Bercy - la scène française où Peter Gabriel s'est le plus produit - le 15 octobre 2013.
Pour le grand retour sur scène du chanteur, presque dix ans plus tard, tous les admirateurs de l'ex-leader de Genesis n'ont pas pu s'offrir un billet (les prix s'échelonnaient entre 78 et 200 euros environ - on est bien loin des 140 francs du billet pour Bercy en juin 1987). Néanmoins, le spectacle était exceptionnel avec des dispositifs vidéo de toute beauté et des moments forts de partage avec le public.
Et surtout, un Peter Gabriel à la voix, la simplicité et l'humour immuables, entouré de huit musiciens dont les piliers Tony Levin (basse), David Rhodes (guitare) et Manu Katché (batterie). Un tour de chant majoritairement dédié au répertoire du nouvel album, en grande partie inédit à l'époque. Un choix audacieux, alors que Gabriel aurait pu se contenter d'enchaîner ses vieux classiques. Après l'Europe au printemps, le chanteur anglais est reparti en tournée à la rentrée, cette fois sur le continent américain.
Un album méditatif, grave, avec quelques traits de lumière
Et nous voilà à l'aboutissement de cette année faste : l'album I/O. Il succède à quatre opus sans titre entre 1977 et 1982, et à quatre autres à l'appellation minimaliste : So (1986), Us (1992), Ovo (2000), Up (2002). Bien sûr, il y a eu d'autres disques entre-temps, mais c'était des enregistrements live, des recueils de reprises (Scratch my Back), des réorchestrations (New Blood), des collaborations (Big Blue Ball)...
Qu'en est-il du nouveau répertoire, offert titre par titre sur les réseaux dans l'ordre narratif de l'album ? Le disque s'ouvre sur Panopticom, chanson évoquant à la fois le contrôle des données mondiales et l'état de la planète, partagée le 6 janvier 2023, et s'achève sur Live and Let Live, ballade douce et apaisante sur le pardon et la tolérance, dévoilée le 26 novembre dernier. Une formation orchestrale (celle qui était à l'œuvre sur New Blood) et deux chorales, les Sud-Africains du Soweto Gospel Choir et les Suédois d'Orphei Drängar, ont participé aux enregistrements. Melanie Gabriel, fille du chanteur et fidèle choriste, est également présente sur le disque.
Le propos général de l'album est sombre globalement dans sa première partie, et s'apaise et s'éclaire par la suite, à l'image du dynamique Olive Tree qui évoque notre connexion avec la nature. On retrouve la patte de Gabriel, avec des titres qui font parfois écho à certains de leurs prédécesseurs, comme des clins d'œil, voire des autocitations. Les premières notes et l'esprit de l'aérien Road to Joy rappellent Kiss that Frog (1992), mais le côté funk du morceau fait penser aussi au spectaculaire Big Time (1986) et à son successeur direct Steam (1992)...
De la même façon, l'émouvant Love Can Heal fait remonter le souvenir de Mercy Street (1986), l'un des joyaux de So, non seulement dans l'esprit et l'arrangement de la chanson, mais aussi dans sa vocation commémorative : Mercy Street était un hommage à la poétesse américaine Anne Sexton, Love Can Heal est dédié à la députée travailliste Jo Cox assassinée en 2016 par un militant d'extrême droite.
Différents thèmes sont évoqués ainsi au fil du disque, comme la justice, l'environnement, le temps qui passe, la mort, l'âge... Le Peter Gabriel de la maturité n'est jamais aussi touchant que dans les chansons introspectives ou mélancoliques. C'est le cas du bouleversant And Still qui rend hommage à sa mère (23 ans après l'inoubliable ode à son père, Father, Son), ou encore de So Much. Quant aux nuances distinguant les mixages "bright" et "dark", elles ne sont pas toujours criantes au premier abord pour certains titres. I/O va devoir se laisser apprivoiser au fil des écoutes, pour en savourer les subtilités et richesses.
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