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Félix Sabal-Lecco, batteur pour Prince: "Quand j’y repense, je bondis de joie"

Le CV de ce batteur ne manque pas de références. Des années de tournées au côté de Manu Dibango et des collaborations plus ponctuelles avec Sting, Peter Gabriel, Herbie Hancock, Paul Simon, Michel Jonasz… et Prince. Felix Sabal-Lecco a tenu le tempo à différentes reprises derrière le Kid de Minneapolis, à l’occasion de plusieurs concerts en France. Souvenirs de cette collaboration exigeante.
Article rédigé par franceinfo - Laurent Hakim
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le batteur Felix Sabal-Lecco
 (DR)
Votre première rencontre avec Prince est presque l’histoire d’un heureux hasard ?
C’était dans les années 80, j’étais en tournée avec Manu Dibango aux Etats-Unis. On devait jouer dans un Club de Minneapolis, le « First Avenue ». On passait devant pour aller a l’hôtel, à ce moment là le chauffeur du bus nous a dit : « C’est ici que vous jouez demain ? C’est la boite de Prince !», et il a ajouté : « Tiens, la limousine est dehors, ça veut dire qu’il est la !». Alors j’ai dit a mon frère, bassiste du groupe : le bus va nous déposer a l’hôtel, on range nos affaires, on s’habille, et on revient ici boire un coup ! Quand on est arrivé au Club, ça jouait déjà sur scène… Et quand est venu le temps de la jam (ndlr : l’improvisation), mon frère et moi avons demandé à y prendre part, les gens avaient l’air d’aimer ce que nous jouions. Nous, on regardait partout autour de nous en cherchant où pouvait bien être Prince ! Et puis il a fini par venir, et il a pris sa guitare…

Le courant est donc bien passé tout de suite avec lui ?
Pendant cette impro, on jouait a la fois très funk, et a la fois un style afro-caribéen qui me vient de mes origines camerounaises. Ça plaisait à Prince. Il a joué assez longtemps avec nous. Et puis quand il a trouvé qu’il avait assez joué, il a voulu poser la guitare et partir… Nous, on a essayé de le retenir pour parler avec lui. On a discuté un peu, il nous a offert un verre, mais il n’était pas du genre bavard convivial… Il devait aimer mon jeu de batteur car il disait : « This guy has something », ce type a quelque chose... A l’époque, ça ne m’impressionnait pas plus que ça, je me disais que c’était surtout une belle rencontre dans mon parcours de musicien. Mais aujourd’hui quand j’y repense, je me dis : Prince a dit ça de moi, et ça me fait bondir de joie! Quand il est parti, Prince nous a dit : « We keep in touch », on reste en contact… Juste après on a parlé avec son manager, qui nous a demandé nos coordonnées. De retour a l’hôtel avec mon frère, on s’est dit : super ! Il va sûrement nous appeler… On est restés plus de 10 ans sans nouvelles !
  (PASCAL GEORGE / AFP)
Dix ans plus tard, le hasard a-t-il encore favorisé vos retrouvailles ?
En France j’allais changer de maison, et de quartier, et ça voulait dire aussi que j’allais changer de téléphone ! Car a l’époque, il n’y avait pas encore de portables ! Son manager m’appelle des Etats-Unis, et à la façon très américaine – on te présente ça comme un honneur - il me demande si ça me plairait de jouer avec Prince. Je réponds bien sûr ! Parfois, Prince venait en effet en France sans musiciens, ou avec une partie seulement de son orchestre… Il m’a donc appelé à plusieurs reprises, c’était pour des événements privés, notamment a Monaco. J’ai dû faire 6 ou 7 scènes avec lui.

Comment se préparait un concert avec Prince ?
Il m’envoyait une centaine de morceaux, je bossais tout seul chez moi. J’écoutais attentivement ce que ses propres batteurs avaient fait sur les albums. Ensuite il arrivait pour répéter 4 ou 5 jours avant le concert. Là, il choisissait 50 morceaux sur la centaine du départ. Et au final, il en jouait seulement 20 sur scène ! Il était vraiment amical, il me disait « joue plutôt comme ça, fait comme ça… », il me laissait d’abord jouer pour voir ce que je pouvais apporter, et si ça n’était pas en complète osmose avec ce que jouaient les autres musiciens, alors là il donnait une directive. Ce qu’il jouait c’était de la funk pure, du binaire. Si on s’aventurait a jouer un peu ternaire, Prince se tournait vers nous et nous disait : « No, no, it’s too jumpy !», c’est trop sautillant !
 
Et il savait de quoi il parlait, car Prince lui-même - multi instrumentiste - était batteur, et il enregistrait souvent les parties de batterie sur ses albums…
Quand il se mettait a la batterie tu voyais qu’il savait jouer, ça tournait ! C’était carré a mort ! Alors quand il donnait des directives « joue le charley comme ça », « joue la grosse caisse ainsi », c’était précis. On dit que Prince était batteur, oui et non… Il jouait de tout, basse, guitare, batterie, synthés, etc…et il jouait bien. Mais il n’était pas allé a fond comme moi je suis allé dans mon instrument, mon métier c’est la batterie depuis des années. Prince savait jouer de la batterie, mais ce n’était pas un batteur.
  (BERTRAND GUAY / AFP)
Après ce gros travail de préparation, comment se passait l’accompagnement, Prince avait-il autant d’exigences sur scène ?
Quand tu joues du Prince, tu es content car tu ne joues presque que des tubes ! « Kiss », « Cream », « Crazy Mother fucker »… Tout le monde les connaît. Ceux que je jouais le moins bien d’ailleurs, c’était les morceaux qui n’étaient pas des tubes. Le plus dur avec Prince en Live c’était les transitions entre les morceaux. Parce qu’a la fin d’un morceau, tu partais tout de suite sur un autre, et pas au même tempo… Prince aimait bien enchaîner 3 ou 4 morceaux, façon medley. Alors le truc c’était de faire tourner un métronome clignotant a côté de moi, calé sur le prochain tempo. Ainsi à la fin du morceau, je pouvais enchaîner instantanément sur le suivant…

Il y avait des codes dans l’univers "Live" de Prince ?
Oui, comme d’autres grands musiciens… Peter Gabriel par exemple, peut faire des gestes évasifs à son orchestre qui veulent dire : « Ce morceau ne nous mène nulle part, à la prochaine tournerie on arrête », ou comme Manu Dibango un geste de sa main près de sa tête ça veut dire : « On reprend au début du morceau». Prince, lui, quand il était sur scène, faisait certains gestes qu’on attribue a sa chorégraphie, mais c’était en fait des signes pour ses musiciens pour lancer des moments de jeu différents. Par exemple, un certain geste de la main pouvait vouloir dire : « Joue plus haut, plus aigu en jouant ta cymbale, etc »…
  (DR)
Malgré cette rencontre, et ces expériences à ses côtés, vous dites que vous n’étiez pas « batteur de Prince »…
Aujourd’hui, je mène en parallèle à ma carrière de batteur, un nouveau projet en tant que chanteur, autour de la chanson française, des reprises de Brel, Brassens, Bécaud, Aznavour, Nougaro… Par le passé j'avais déjà chanté aux côtés de Peter Gabriel - une sacrée école de se retrouver ainsi devant des milliers de personnes - que j'avais parfois accompagné comme batteur. Et pour autant, je n'étais pas le batteur de Peter Gabriel ! Et si je fais ces mises au point, c’est parce que dans mon rôle de batteur, certains événements musicaux auxquels je participe me présentent régulièrement comme « batteur de Prince », pour faire un peu mousser les choses… Donc, je n'étais pas batteur de Prince. J’ai joué avec lui. Prince avait ses propres batteurs, de sacrés musiciens d’ailleurs – Michael Bland, John Blackwell, Sheila E., Chris Coleman, Bobby Z, Hannah Ford…. Quand tu étais batteur de Prince, tu ne faisais que cela, tu ne travaillais pas ailleurs, il t’appelait à n’importe quelle heure, même dans la nuit ! Et là, crois moi, tu débarquais, et tu jouais !
 
Felix Sabal-Lecco sera sur scène le 19 juin « Festival les Murs à Pêches » (Montreuil)

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