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"Pendez les Blancs" : la polémique créée par le clip du rappeur Nick Conrad résumée en quatre actes

La chanson "Pendez les Blancs" était diffusée depuis mars dernier, et son clip ultraviolent, dans lequel un homme blanc est lynché, l'était depuis le 17 septembre. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Capture d'écran du clip "PLB" de Nick Conrad, le 26 septembre 2018, sur YouTube.  (NICK CONRAD / YOUTUBE)

Inconnu hier, Nick Conrad est au cœur d'une polémique qui agite la sphère politique et médiatique, jeudi 27 septembre. En l'espace de vingt-quatre heures, le clip de sa chanson PLB – pour "Pendez les Blancs" – a provoqué une forte polémique, amplifiée par les réseaux sociaux.

Tournée à Noisy-Le-Grand (Seine-Saint-Denis), la vidéo, d'une durée de plus de neuf minutes, s'ouvre sur une scène où le rappeur allume un cigare en toute décontraction, avec, en arrière-plan, un homme blanc pendu qui se balance au bout d'une corde. Dans ses paroles, Nick Conrad appelle à tuer "des bébés blancs" dans les crèches. "Attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps, divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands", poursuit-il.

Certaines scènes du clip sont difficilement soutenables : un homme blanc dénudé y est ligoté dans un coffre, puis traîné dans un parking, le rappeur et un autre homme lui enfonce un pistolet dans la bouche. Quelques minutes plus tard, entre deux refrains "Pendez-les tous, pendez les Blancs", on retrouve l'homme dénudé, suppliant et gisant la tête dans une rue. Le rappeur lui fait ouvrir la bouche sur le rebord d'un trottoir puis l'image suggère qu'il le frappe d'un grand coup de pied sur le crâne.

Même si le clip est une fiction, la violence des images est telle que l'affaire, qui a débuté sur les réseaux sociaux, a rapidement investi la sphère médiatique, politique et judiciaire. Franceinfo retrace le fil de cette polémique qui a explosé en quelques heures, alors que la chanson était diffusée depuis mars dernier et le clip depuis le 17 septembre. 

Acte 1 : Nick Conrad publie un clip violent et raciste (sans grand succès)

Nick Conrad était encore inconnu du grand public mardi. Il dénombrait 186 abonnés à sa chaîne Youtube, à peine un millier de fans pour sa page Facebook, et quarante abonnés sur l’application de musique Spotify. Ses vidéos dépassaient à peine les 3 000 visionnages sur Youtube, et la chanson PLB, diffusée une première fois en mars dernier, n'échappait pas à la règle, comptabilisant seulement 1 500 vues en plusieurs mois.

Lorsque le clip sort finalement, le 17 septembre, la vidéo n'a que quelques centaines de vues, malgré les efforts du rappeur pour en faire la promotion. Même le partage de son clip par Dieudonné (suivi par un million d'utilisateurs sur Facebook) ne fera pas décoller l'audience, note Le Monde.

Acte 2 : Le clip est repéré par l'extrême droite, la polémique naît

Si Nick Conrad n'a initialement pas réussi à "cramer la toile" (sic) comme il le souhaitait, des comptes proches de la sphère identitaire se sont chargés de lui donner un coup de pouce. Le 26 septembre, dès 6h30 du matin, un utilisateur de Twitter qui se décrit comme "israélien francophone pro-identitaire" repère la vidéo.

"Heureusement que le racisme anti-Blanc n’existe pas", ironise-t-il dans un message partagé plus de cinq cent fois. Dont, à 7h50, par l’avocat Gilles-William Goldnadel, également chroniqueur sur C8, qui partage le tweet sur son compte, en s’interrogeant : "Qui saura s’en émouvoir en notre temps de soumission ?" 

Un autre internaute, ensuite, qui se revendique pour sa part "K’ffar [kouffar, infidèle] et fier de l’être – islamistophobe – mâle blanc", interpelle une série d’acteurs dont la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et diverses figures médiatiques.  Dans la foulée, un responsable Rassemblement national (RN) très actif sur les réseaux sociaux, Grégory Roose, secrétaire départemental du RN, appelle à signaler le clip et publie un premier article sur son site, Adoxa.info, dans lequel il condamne "ce nouveau chantre de la victimisation" qui "ordonne le génocide des Blancs". 

"Si ce personnage correspondait à un mouvement puissant dans la société, vous imaginez bien que sur Twitter et YouTube, il aurait du succès, réagit sur franceinfo Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Or aujourd'hui, qui a fait la promotion de cette personne ? C'est précisément l'extrême droite."

Acte 3 : Le gouvernement réagit 

Une fois la polémique lancée, elle sort du champ de l'extrême droite : de nombreuses condamnations à l'égard de la violence des images et des propos du clip fusent rapidement de la part de toute la classe politique. A commencer d'abord par Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, qui, dès mercredi matin, dénonce dans un communiqué "des appels à la haine et au meurtre" : "Je demande au ministère public de poursuivre ce rappeur dans les plus brefs délais pour incitation à la haine et provocation au crime et d’ordonner le retrait immédiat de ce clip des plateformes internet où il a été hébergé."

Du côté de l'exécutif, Gérard Collomb réagit lors d'un déplacement à Tourcoing (Nord). "C'est totalement inadmissible des paroles comme cela, affirme-t-il. En plus lorsqu'on est rappeur on a des jeunes parmi ses auditeurs et donc, petit à petit, cela imprime les esprits et donc c'est comme cela qu'on aboutit ensuite aux pires perversions de notre société." Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, fait aussi savoir que l'intégralité du gouvernement condamne "avec la plus extrême fermeté les paroles haineuses et écœurantes" de Nick Conrad.

La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, tweete dans la foulée : "Il n'y a rien d'artistique dans ce qui est purement et simplement un appel à la haine et au meurte", écrit-elle, condamnant "un racisme anti-Blanc dont aucun expert autoproclamé ni média ne parle". 

Acte 4 : Nick Conrad défend son clip, "un message d'amour", pas de haine

Interrogé par RTL mercredi soir, Nick Conrad affirme que son clip n'est en rien un appel à la haine. Au contraire, selon lui, "c'est un message d'amour en profondeur". "J'ai décidé d'inverser le système de manière à ce que tout le monde, Blancs et Noirs, se rende compte de la situation qui nous marque tous", explique-t-il. "Pour moi, le choc était voulu, nécessaire, mais pas à un tel niveau. Les gens n'en retiennent que le négatif, ils surfent dessus", développe-t-il dans une interview au Parisien.

Le clip, argumente le rappeur, "avait pour vocation première de retracer l'histoire du peuple noir", pour "proposer une perception différente de l'esclavage". "Les phrases de mon morceau qui ont tant choqué, je ne les ai pas sorties de nulle part, poursuit-il, je me suis inspiré des propos tenus par William Lynch, un Américain du XVIIIe siècle qui expliquait à l’époque comment 'bien dresser un nègre'." 

Les personnes qui ont regardé la vidéo avaient peut-être besoin d’un éclairage supplémentaire, un rappel du contexte qui a nourri ma réflexion.

Nick Conrad

Le Parisien

Sauf que, selon les historiens qui se sont penchés sur le sujet, le fameux discours qu'aurait tenu William Lynch en 1712 est une pure invention. Il s'agirait d'un faux document apparu au début des années 1970 aux Etats-Unis. 

De son côté, Nick Conrad déplore dans l'entretien au Parisien que "certains sont restés bloqués sur le premier degré", et indique que si c'était à refaire il rajouterait "peut-être la mention 'ceci est une fiction' dans l'introduction". 

Il devra convaincre la justice : le parquet de Paris a annoncé mercredi dans l'après-midi l'ouverture d'une enquête pour "provocation publique à la commission d'un crime ou d'un délit". Brigitte Marsigny, la maire de Noisy-le-Grand, où a été tourné le clip, a décidé de porter plainte contre le rappeur, et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), a aussi indiqué avoir "saisi la justice".

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